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Des femmes battantes


Extraits des "Recherches sur Chapelle des Bois" de l'abbé Léon BOURGEOIS-MOINE.

En 1794, le gouvernement avait ordonné qu'on fasse disparaître "tous les signes extérieurs du fanatisme, existants sur les clochers et les grandes routes". Cet ordre n'avait pas été entièrement exécuté à Chapelle des Bois. En 1798, JOUFFROY, chargé de cette mission pour le canton de Mouthe, constate qu'on relève, qu'on ré édifie les croix, qu'on veut absolument sonner les cloches malgré ses défenses réitérées.

Au commencement de novembre, il conclut un marché avec l'italien Matteo FREZZA, de Domo d'Ossola, "ouvrier fumiste très adroit pour des opérations périlleuses, telles que l'abattis des croix"; il s'engage à lui donner 36f s'il voulait amener en bas la croix du beffroi de Chapelle des Bois. FREZZA accepta la proposition; il se rendit donc dans ce village le mercredi 11 novembre; mais il ne fut d'abord pas plus heureux que les ouvriers envoyés en 1795 pour la même besogne. Le dimanche 15 courant, il adressait à QUIROT la lettre suivante : "par cet ordre du citoyen JOUFFROY, commissaire, je me suis rendu le 16 brumaire, à Chapelle des Bois, au domicile du citoyen POUX-LANDRY, agent, pour faire enlever sur le champ la croix du clocher. L'agent et l'adjoint m'accompagnèrent et au moment où nous commencions l'opération, nous fumes assaillis par une troupe de femmes que je ne connais pas, mais qui ont été certainement connues par l'agent et l'adjoint. Pendant que nous étions forcés de nous retirer, ces femmes briseront l'ouvrage que nous avions fait. L'agent et l'adjoint offrirent de requérir douze gardes nationaux pour me protéger, ce que j'acceptais; mais avant que la garde fut arrivée, les femmes commencèrent à se répandre en menaces, de sorte que je ne voulu ni la protection de la force armée, ni autrement, continuer mon travail".

Deux soeurs, Jeanne-Rose et Claudine PAGNIER-BEGUET qui habitaient le village, écorchaient une génisse quand elles apprirent que des ouvriers étaient arrivés pour renverser la croix du clocher; hors d'elles-mêmes, elles se précipitèrent dans la direction où devaient se trouver les personnes chargées d'une si lâche besogne : "Où sont-ils donc ces misérables ? Il faut que nous les éventrions". Voyant arriver ces deux femmes, les yeux pleins de rage, les vêtements maculés de sang et le long couteau de boucher à la main, les ouvriers trouvèrent prudent de se tenir cachés jusqu'à l'arrivée de FREZZA et de l'agent Joseph POUX-LANDRY Ceux-ci ne tardèrent guère à paraître. Pendant ce temps, quelques femmes, parmi lesquelles nous retrouvons nos deux soeurs PAGNIER, l'institutrice Marie-Joseph MICHAUD, Marie Claudine PAGNIER du BOURG, Marie-Françoise BOURGEOIS-MOINE, Marie-Françoise CORDIER, Catherine GUY-BOUCATON surnommée la grande Catherine et d'autres dont les noms ne nous sont pas parvenus, se réunirent et prirent la généreuse décision d'empêcher à tout prix l'érection des échafaudages. Aussi, dès que les ouvriers se présentèrent de nouveau avec leurs échelles au pied des murs de l'église, nos vaillantes chrétiennes se mirent à renverser les ponts commencés et c'est alors qu'eut lieu cet incident signalé par JOUFFROY; les ouvriers furent menacés, l'agent souffleté et jeté à terre, l'adjoint bousculé et insulté, les matériaux sciés, brisés et jetés loin, et que FREZZA dût s'enfuir à travers bois. Au rapport de JOUFFROY, QUIROT répondit qu'on s'assurerait par la force de l'éxécution des édits. En effet, le 15 décembre, le département décréta que la gendarmerie de Pontarlier se rendrait incessamment à Chapelle des Bois pour y faire enlever les signes de la superstition en présence du commissaire, du président, des agent et adjoint, et aux frais de ces derniers, sauf à eux à en poursuivre le recouvrement contre les femmes révoltées et incriminées. Le même jour, JOUFFROY faisait savoir que l'agent avait fini par s'exécuter.

Ce fut le lundi 30 novembre, en la fête de Saint André, malgré les protestations et l'indignation de tout le peuple, que la croix fut jetée en bas. JOUFFROY avait triomphé, mais son souvenir est encore aujourd'hui un objet d'horreur pour les habitants du canton de Mouthe. J'aime à croire que la croix du cimetière resta debout.

Le 10 brumaire an VIII, Napoléon renverse le Directoire. On s'empresse de relever les croix abattues. Quelques personnes montrent un dévouement admirable; pendant que Jean-Pierre BLONDEAU et MArie-Joseph MICHAUD parcouraient les maisons et quêtaient pour cette sainte oeuvre, les familles s'empressaient de fournir des aides, des matériaux, des corvées, des vivres et de l'argent pour les maçons et ouvriers employés à ce travail.

La croix du clocher avait été jetée en bas, une réparation d'honneur s'imposait, on voulut la faire plus haute que l'ancienne, et pour qu'on la vit mieux, le beffroi fut élevé d'une dizaine de mètres de maçonnerie.

L'hiver était providentiellement très doux et quoique on se trouva au milieu de novembre, le sol n'était pas encore encombré par les neiges. Maçons et charpentiers se mirent donc à l'ouvrage avec ardeur (a); la croix avait été jetée par terre le 30 novembre; ce dut être aux environs de ce jour qu'elle s'éleva de nouveau dans les airs, plus belle et plus triomphante que jamais.

(a) en élevant la nouvelle croix, une poutre énorme tomba des échafaudages et vint briser, au côté sud de l'église, la tombe de Jacques PROST grand père de Théodore; on eut heureusement pas à déplorer d'autres accidents.

Les PAGNIER cités sont des PAGNIER du BOURG qui quitteront Chapelle pour la Chevrie puis pour Foncine le Bas et enfin pour la scierie de Morillon. Ils sont marchands de bois.

A Foncine le Bas, ils donneront à la paroisse le terrain où a été créé le nouveau cimetière. Il reste dans un coin de ce cimetière une croix en bronze où on peut lire "famille PAGNIER". Une de leur fille, Anna, est marraine de l'une des cloches de l'église.

A Foncine le Haut aussi il fallu faire disparaître tous les signes ostentatoires de la religion :

Le 24 nivose An II, deux cloches sont descendues du clocher. Leur poids : 3500 livres; le salaire de ceux qui ont opéré : 35 livres.

Et une question d'un révolutionnaire de service : "Que fait cette croix au milieu du cimetière ? Enlevez ! Vous savez bien qu'ordre en a été donné ... ". Et le 25 janvier un certain PETETIN accepte de scier la croix. On le surnommera "Sareillon", mot patois qui veut dire "petit mauvais scieur". Un an après, dit-on, il sera frappé par la foudre sur le seuil de sa porte.

(source : "villages comtois sous la révolution et l'empire" du père Pierre Doudier)


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