http://foncinelebas.free.fr


Les grands voyages des Chapelans

 


Chapelle des Bois a vu naître de nombreux missionnaires, hommes et femmes. L'abbé Léon Bourgeois reproduit quelques lettres dans lesquelles les intéressés racontent leurs voyages. En voici quelques-uns.

retour


Marie-Amélie Bourgeois-Damien (donc de notre branche) née à Abondance le 30 janvier 1804, devenue au monastère de Cluny, soeur Honorine, s'embarque en 1825 pour l'ile Bourbon avec d'autres religieuses. Le vaisseau qui les portait essuya une terrible tempête. Son retour en France ne fut pas moins mouvementé, mais elle revint quand même à Chapelle des Bois :


Ile Bourbon (la Réunion)

Elle s'embarqua pour l'ile Bourbon avec d'autres religieuses, parmi lesquelles se trouvait la nièce de Thérèse Javourey, fondatrice de l'ordre. Le vaisseau qui les portait essuya une terrible tempête au Cap de ce nom, ainsi que l'inscrivait soeur Honorine dans son journal de voyage, malheureusement disparu; le navire faisait eau de toutes parts et les passagers n'échappèrent à la mort qu'en se laissant emporter sur les épaules de quelques Cafres qui se jetèrent à la mer pour les sauver. Quand au bout de plusieurs semaines, le vaisseau fut radoubé, nos religieuses reprirent la mer et abordèrent heureusement à Saint Denis.

Pendant douze ans, soeur Honorine se dévoua avec un zèle qui ne se démentit jamais, à l'éducation et à l'instruction d'une multitude de jeunes créoles; longtemps elle lutta contre les fatigues de l'enseignement et les insalubrités du climat; ne pouvant plus faire l'école, elle dût, pendant quelques semaines, se retirer dans un hôpital de la ville dont elle accepta d'être directrice; elle ne devait y trouver que du repos, mais son dévouement lui joua de nouveaux tours et la malade épuisée se vit forcer de rentrer en France.

Le bâtiment qui la ramena fut jeté par les vents sur les côtes de Sainte Hélène, d'où elle rapporta quelques fleurs qui avaient crû sur la tombe de Napoléon. Le 10 septembre 1838, elle rentrait à Cluny, et le 4 octobre, elle était à Chapelle des Bois.


Sa soeur, Marie Victoire Appolonie, née à Abondance en 1819, partit aussi pour le monastère de Cluny. Elle devint soeur Férréol et s'embarqua à son tour à Marseille pour l'ile Bourbon (la Réunion). Une tempête persistante bloqua le navire. Quand le calme fut rétabli, il reprit la mer et la traversée fut heureuse jusqu'à Santiago où le navire se ravitailla. En quittant Santiago, le capitaine tomba malade et mourut. En arrivant à Saint Denis, il ne restait sur le navire que quatre jours de vivres.


En quittant Santiago, le capitaine tomba malade et mourut; l'équipage était consterné, car comme il n'y avait pas de second, on se demandait anxieusement qui serait capable de prendre la direction du navire.

Par son entrain, sa belle humeur, sa gaité fine et charmante, son intelligente initiative, soeur Férréol sut si bien remonter le moral des passagers, que tous la nommèrent capitaine. Cette jeune soeur, absolument ignorante de la manoeuvre d'un navire, mais secondée par les matelots qui avaient en elle toute confiance, prit donc résolument la direction du bâtiment voilier, et pleine de confiance en Dieu, elle aborda à Bourbon au commencement de mai, après trois mois d'une laborieuse et inoubliable traversée.

En arrivant à Saint Denis, il ne restait sur le navire de vivres que pour quatre jours. Après quelques semaines de repos, soeur Angélie qui avait souffert beaucoup, dut reprendre la mer pour se rendre à Pondichéry; soeur Ferjeux fut envoyée à Saint Leu et soeur Férréol demeura dans la capitale de l'île.

Celle-ci écrivait à ses parents, à la date du 14 juillet : "Le voyage à Bourbon est long et pénible, il est vrai, mais comment ne ferait-on pas pour la gloire de Dieu, ce que font tous les jours tant de personnes pour acquérir un peu de fortune ?

Si, par mes efforts, je pouvais contribuer au salut d'une seule âme, n'est ce pas Maman, que vous vous trouveriez heureuse ? Oh ! ne vous ai-je pas vu sourire lorsque je vous ai dit que je ne reviendrais pas avant d'aller à Madagascar dont le climat semble plus meurtrier. Ce que je vous dis pour cette île est seulement pour causer, car il n'y a encore aucune apparence qu'on y envoie des soeurs; plusieurs missionnaires ont voulu y aller, mais ils ont été contraints de revenir à cause des fièvres qui y règnent en toute saison. On ne m'a pas encore donné d'emploi; je fais la classe avec une ancienne soeur, une heure par jour, et le reste du temps je me repose; c'est venir de bien loin pour ne presque rien faire; il parait que je vivrai ainsi jusqu'aux vacances ... "

Le 25 septembre 1843, les soeurs Férréol et Ferjeux furent chargées de fonder une école à Sainte Suzanne, petite ville à distance d'une lieue de la capitale; soeur Ferjeux n'y resta que quelques mois et revint à Saint Denis. Trois ans après son arrivée à Bourbon, en octobre 1846, soeur Férréol écrivait à l'une de ses amies :

"La mer me plait, je ne me lasse pas de la voir; je n'aime guère à faire mes promenades que sur ses rives, j'aime à voir tous ces navires qui sont en rade; j'en distingue une quarantaine de la chambre d'où je vous écris. Il en arrive, il en repart à chaque instant.

Quand je vois en haut d'un mât, un pavillon, je me trouve toute émue, surtout si je découvre le drapeau de mon pays tant aimé. Tout là-bas, bien loin de l'autre côté de l'océan, j'ai laissé des souvenirs si chers ! mais c'est pour Dieu ! Cependant quand je vois un vaisseau aux couleurs françaises, je ne puis m'empêcher d'espérer qu'il m'apporte peut-être des nouvelles de France".

De jour en jour, soeur Férréol perdait de son entrain et de sa gaité; la maladie de consomption qui devait lui enlever ses frères et ses soeurs commençait à atteindre notre religieuse et la jetait parfois dans de mélancoliques et sombres rêveries. "C'est dommage que nous soyons si loin l'un de l'autre" écrivait-elle à son frère Ferjeux; j'avais un cardinal que je t'aurais donné, mais il s'est envolé; je possédais une tourterelle, le chat l'a mangée; j'avais aussi une jolie cocote que j'élevais pour Télesphore (son neveu), je lui apprenais à parler, elle vient également de périr. Je ne veux plus rien, puisque tout meurt entre mes mains; depuis on m'a offert un magnifique martin huppé qui parle, je n'en ai pas voulu. A quoi bon ! pour le voir mourir encore !".

A mesure que cette religieuse avançait vers le terme de sa carrière, les pensées de l'autre vie lui étaient presque constamment présentes. Le 18 juillet 1849, elle disait dans une lettre :

"Elle est belle et désirable la mort qui nous met en possession du ciel; je ne passe jamais d'instant plus délicieux que lorsque je médite sur la mort, quand ma méditation sur ce sujet est terminée, il me parait que je quitte le ciel pour revenir sur la terre. Qu'il me semble que je serai heureuse lorsque je serai arrivée à la fin de ma vie !"

Et le 18 janvier 1851 : "C'est un désir louable que celui de la mort, pourvu toutefois qu'on la souhaite afin de voir Dieu et de jouir de sa présence. Quant à moi, je soupire après mon dernier jour et je ne le crois pas très éloigné. J'ai 31 ans, c'est à peu près l'âge où sont morts mes deux frères, je pourrais bien faire comme eux; je tousse depuis quatre ou cinq mois, néanmoins je fais toujours la première classe. J'aimerais bien vous revoir une fois encore !".

Pauvre soeur, elle ne devait pas rentrer en France, elle allait mourir sur une terre éloignée, loin de tout ce qu'elle aimait le plus après Dieu, victime de son dévouement. Elle avait tant désiré la mort, et la mort arrivait à grands pas. La mourante dut cesser tout travail et enfin s'aliter; sa patience inaltérable ne se démentit pas un seul jour, sa résignation fut constamment sublime.

Une religieuse de Cluny, soeur Aglaé, que je vis en 1874 et qui assista aux derniers moments de soeur Férréol, m'a raconté que lorsque l'agonisante fut sur le point d'expirer, elle se souleva sur sa couche, et ses yeux fixés sur un objet qu'elle seule apercevait, les bras en avant, elle s'écria "Oh ! ma mère, ma mère qui vient me chercher !", puis elle retomba et expira. C'était le 12 janvier 1852. Or ce jour-là même, une lettre de Chapelle des Bois arrivée à Saint Denis, annonçait le décès de sa mère, survenu le 10 novembre 1851.

Un Monsieur Piton de Mouthe avait été durant quelques années, gendarme à Bourbon. De retour au pays, il raconte qu'à Saint Denis, soeur Férréol était tellement aimée que les habitants se seraient certainement soulevés si on avait cherché à leur enlever leur bonne religieuse.


Louis Bourgeois Philippet, né le 21 décembre 1864 à Annondance, après des études à Notre Dame de Consolation puis aux missions étrangères à Paris, part pour la Mandchourie en décembre 1888. Dans un journal de voyage qu'il envoie à son père en janvier 1889, il écrit :


le vapeur "l'Ava"

"Le 16 décembre à 4 heures 1/2 du soir nous montons sur le vapeur l'Ava; quelques instants après, le bâtiment quittait le port et s'avançait en pleine mer; tous les missionnaires à genoux à l'arrière du navire et les yeux fixés sur la belle et colossale statue de Marie, récitent du plus intime du coeur les prières de l'Itinéraire, chantent l'Ave Maris stella, se relèvent, entonnent le Magnificat et le Te Deum, puis récitent le Rosaire.

Le jeudi 20, la mer est fort agitée; je commence à ressentir les premières atteintes du mal de mer, mais avec mes compagnons malades comme moi, je chante : " les douleurs sont des folles et quiconque les écoute est encore plus fou".

Le 21, anniversaire de ma naissance et de mon baptême. Le lendemain dans la nuit, nous débarquons à Alexandrie; nous devons en repartir à 9heures du matin; quelques missionnaires descendent pour voir la ville; je préfère rester sur le bâtiment et réciter le Rosaire. la description que nous ont faite les arabes, à bord de l'Ava, était si intéressante que j'aurais bien voulu que vous fussiez là pour en juger, il faut vous figurer une meute de chiens furieux se disputant une proie et toujours prêts à se dévorer.

Canal de Suez

Notre Ava ne s'occupe guère de tout cela, il continue tranquillement sa marche et longe le canal de Suez pendant toute la journée du dimanche 23. Nous arrivons à Suez lundi à une heure du matin et nous entrons dans la mer Rouge par un temps magnifique.

Le 24 au soir, un comte autrichien prépare un splendide arbre de Noël et je suis désigné pour chanter un cantique à Marie et le minuit chrétien, qu'accompagne sur son piano le consul de France. J'ai eu ce jour-là, la satisfaction bien grande de célébrer la sainte messe.

26 décembre, je suis malade, fatigué, tout ce que je mange sert bientôt de déjeuner aux poissons qui s'ébattent autour du navire; je vais me coucher, non pas sur un bon matelas, mais sur des tonneaux placés debout à l'arrière du bâtiment; tel sera mon lit jusqu'à Shanghaï, que Dieu en soit mille fois béni !

Le 27, mer houleuse qui maintient à mon estomac son opiniatreté à rejeter tout aliment. Le 28, nous arrivons à Aden, à onze heures du matin; l'équipage prend un repos de huit heures, ce qui me rend mes forces qui s'en allaient grand train; cette ville d'Aden et ses environs, sont affreux; la végétation y est inexistante; pas un arbre, pas un brin d'herbe. Le 29, le navire flotte en plein océan indien.

Le 30, dimanche, beau temps; cependant je n'ai jamais été aussi malade; je ne quitte pas mes tonneaux de toute la journée. Le 31, la mer est redevenue mauvaise et je suis bien souffrant.

Le 1er janvier 1889, je souhaite la meilleure année à tous mes amis dont je suis déjà si loin, à tous ceux qui pensent au pauvre missionnaire.

Le mercredi 2, le temps est meilleur. Le 3 et le 4 ont été les plus beaux jours de la traversée. C'est le 4 que nous débarquons à Colombo. Le 5 au matin, après avoir dit la sainte messe, nous gagnons le rivage et nous faisons une petite excursion dans la ville. La végétation est magnifique, à 10 heures nous remontons sur l'Ava.

De l'île de Ceylan à Singapour, temps et mer superbe entre ces deux pays, on rencontre de charmants petits ilots que le Créateur semble avoir placé au milieu des mers comme des corbeilles de fleurs pour nous souhaiter la bienvenue. Le 7, le temps est très beau et l'océan uni comme une glace. Le 8, tous les prêtres peuvent célébrer.

Le 9, journée ravissante. Le 10, nous arrivons sur le soir à Singapour par une chaleur de 35 degrés; et dans ce pays, c'est l'hiver, nous allons souper à la Procure, puis nous faisons visite à Mgr Gasner, vicaire apostolique de la province de Mallaco. A 10 heures du soir, après la visite au Saint Sacrement, les missionnaires se retirent dans les chambres qu'on leur destine; il y a des fenêtres, mais sans vitres; nous pourrions peut-être dormir sans l'agréable ramage des grenouilles qui, certainement, font autant de bruit qu'une centaine de veaux qu'on égorgeraient.

Le 11, nous reprenons la mer par une chaleur atroce. Le 12, je fais connaissance avec deux élèves du séminaire de Pi-Nang; nous nous entretenons en latin, et ils s'offrent gracieusement à servir ma messe.

Le 13, dimanche, nous arrivons à Pi-Nang où nous visitons la cathédrale qui est fort belle; ayant voulu y réciter le bréviaire, j'ai été contraint d'en sortir; la chaleur y était telle que je suais à grosses gouttes.

Nous nous embarquons le soir, et nous ne tardons guère à arriver à Saïgon. Après une entrevue forcée avec le mandarin, je cherche à voir l'abbé Jules Bourgeois que je croyais encore établi dans cette ville, comme professeur, mais depuis près de deux ans, il était missionnaire à quelques lieues de là. Nous quittons Saïgon à 10 heures du soir. Le mardi 15, la mer est calme, mais vers les quatre heures et toute la journée du lendemain, elle est si agitée que je suis contraint de regagner ma couche moëlleuse.

Le 17, la tempête s'apaise, le vent fraîchit et le 18, nous abordons à Hong-Kong.

Le 19 à 11 heures, nous quittons cette île, et l'Ava reprend le large pour Shangaï. Le dimanche 20, la violence des vagues est telle, qu'aucun d'entre nous ne peut célébrer; ce qui nous est bien pénible; la tempête continue les deux jours suivants, et le 23, nous abordons enfin à Shangaï où je vais me reposer pendant deux mois".

Après un repos bien nécessaire, sur la fin de mars, l'abbé Bourgeois reprenait la mer pour se rendre au poste que la providence lui destinait en Mandchourie; nous n'avons pas la suite de son journal à travers les mers de Chine; nous savons seulement que ce fut le 13 avril qu'il arriva à Lien-Houa-Chan, capitale du district de sa mission.

haut de page