La fin du 15.1 en novembre 1942 |
La fin de l'Armée d'Armistice, le 27 novembre 1942 est souvent relatée et donc bien connue. Le 8 novembre les américains débarquent en Afrique du Nord. Les allemands pensent qu'ils débarqueront rapidement en France. L'état-major français est persuadé que les allemands vont traverser la zone libre et le général Verneau ordonne aux régiments de quitter leurs casernes en tenue de campagne et avec armes et munitions. Pour les uns il faut éviter les troupes allemandes, pour d'autres il faut les attendre et les arrêter. Les régiments sortent, puis le contre ordre arrive et ils rentrent et attendent tout en restant en alerte. Le 27 novembre "les allemands se ruent à l'assaut des casernes. Les soldats sont dans leurs lits, les officiers sont chez eux, c'est un jeu pour les pillards de jeter dehors, en chemises ces français mal réveillés, de s'emparer avec de gros rires, de leurs armes et de les humilier un peu plus" ( Etienne Anthérieux). Cela ne s'est pas passé tout à fait comme ça à la caserne Michel à Lons. Voici un extrait d'un récit que mon père avait écrit vers 1950 et envoyé à l'amicale des amis du 15.1 en 1997 lors de la dissolution de ce régiment. "Tout avait commencé le 8 novembre, lorsque les américains avaient débarqué au Maroc puis en Algérie. Les allemands persuadés qu'il s'agissait d'une tête de pont et que la prochaine étape allait être le midi de la France, avaient franchi la ligne de démarcation le 11 novembre pour occuper toute la côte méditerranéenne. Vichy craignait qu'ils n'accaparent la flotte de Toulon, que certains marins auraient préféré saborder. D'autre part, les allemands cherchaient à entraîner la France dans leur guerre contre les anglo-américains. Le 12, un accord avait été conclu : "le gouvernement allemand acceptait que la place forte de Toulon ne soit pas occupée et que sa défense soit confiée au haut commandement de la marine française". En échange, les marins s'engageaient "à défendre Toulon contre les anglo-saxons et les français ennemis du Maréchal". Une zone libre était ainsi constituée, qui allait de Ollioule, Bandol, à Solliès, Cuers, Borme. La France mettait en place 20 bataillons pour protéger cette zone. Le premier bataillon du 151eme RI auquel j'appartenais, faisait partie de ces bataillons. J'étais en permission à Uxelles le dimanche 8 novembre quand tout a commencé. Les gendarmes de Clairvaux sont venus m'apporter un télégramme m'enjoignant de rejoindre Lons d'urgence. Nous sommes partis le 9 au matin; mon vélo a crevé; nous avons pu prendre de justesse le tram à vapeur Saint-Claude - Lons. Dès le matin nous touchons un paquetage neuf et les toiles de tente et nous attendons dans l'ignorance totale de l'avenir. Le 10, on nous emmène au plateau de Mancy, parceque, nous laisse t'on entendre, nous devons laisser les casernes aux allemands, ou parceque, selon d'autres, nous allons nous frotter à eux. Finalement, on nous ramène à la caserne Michel en fin de journée. Les 11, 12 et 13, nous attendons toujours, mais les hommes mariés peuvent rentrer chez eux le soir. Le 14, nouveau branle bas : le bataillon embarque en gare de Lons avec matériel roulant, cuisine et armement, destination inconnue. Nous ignorons bien entendu, l'accord signé le 12. Départ du train à 18heures 58. On reconnaît en passant, Vienne, Montélimar, Toulon. Les arrêts sont fréquents, le train doit se garer pour laisser passer les convois allemands. Nous arrivons dans une gare appelée Saint-Martin un peu après Toulon. Nous finissons la nuit dans le train, et le 16 novembre nous partons à pieds pour notre destination, l'hôtel Albion à Costebelle, près du Mont des oiseaux, à Hyères, où nous arrivons vers 10 heures. Dans cet hôtel sont logées les élèves d'une école de monitrices d'éducation physique. Celles-ci sont évacuées le lendemain sur le massif central. C'est la première fois que je vois la mer, et je ne suis pas le seul. Le 18, les allemands n'ont plus confiance dans l'armée d'armistice et exigent le renvoi des bataillons venus dans la zone de Toulon. Le 19, Hitler signe l'opération "Lila" : Toulon et toutes les casernes devront être occupées par surprise à l'aube du 27. Aucune autorité française ne sera prévenue avant le début de l'opération. L'armée d'armistice sera dissoute. Le 20 au soir, nous devons tout plier pour partir le lendemain. Une dizaine de camarades, en majorité alsaciens, décident d'aller faire un tour en ville. Au pied de Costebelle, ils arrivent devant un café où sont attablés des soldats italiens. Une bagarre éclate, ils en sortent vainqueurs et en remontant, versent dans les fossés toutes les voitures des vaincus. Le 21, nous embarquons une fois encore, pour une destination inconnue, et le 22 au soir nous sommes à Lons, toujours en état d'alerte. Le 26, vers 17 heures, les allemands se présentent à la porte de la caserne. Notre colonel a du être prévenu, tous les officiers sont absents. Le plus haut gradé de la caserne est un aspirant qui explique aux arrivants que le bataillon étant récemment rentré de Hyères, tout le monde est parti se reposer, que les armes n'ont pas encore été rangées au magasin, que les soldats n'ont aucune sympathie envers les allemands et que faute d'avoir été prévenus, ils risquent de tirer sur ceux qu'ils verront entrer dans la caserne. Du coup, les allemands décident de se retirer et de remettre au lendemain matin leur arrivée. Pendant cette nuit, le commandant Chauvelot fait sortir de la caserne tous les chevaux et les fait conduire dans des fermes proches. Toute la nourriture non périssable est également évacuée de Lons. Le lendemain matin, on verra des meules de gruyère brisées sur la rue Rouget de L'Isle. Les hommes mariés avaient pu coucher chez eux. En passant devant la gare, je vois des soldats de la Valbonne débarquer sans bandes molletières ni ceinturon. Les allemands ont envahi leur caserne et les ont mis à la porte sans ménagement. Quand j'arrive à la première compagnie, le sergent major Chaffangeon me réquisitionne pour l'aider à fabriquer des faux papiers pour les alsaciens, nombreux, qui risqueraient d'être considérés comme allemands et mobilisés comme tels. Le 28, les allemands consentent à laisser les sous officiers rentrer dormir chez eux. Pour la garde allemande, un sous officier est celui qui porte un képi. Tous les képis du magasin disparaissent alors. Le capitaine nous autorise à emporter tous les vêtements et linges encore en stock. Chacun de nous sort avec deux ou trois chemises, deux pantalons, enfilés les uns sur les autres ... et beaucoup comme moi, font plusieurs voyages, avec des draps roulés autour du corps, sous la capote. Nous sortions énormes, nous rentrions maigres. Le dernier matin, les allemands qui se sont rendu compte des disparitions, confisquent la clé du magasin et mettent un garde à la porte. A midi, le sous-lieutenant chargé des sports, fait remarqué qu'on a oublié d'enlever un stock de chaussures de foot toutes neuves. Un ami, qui a passé une bonne partie de son temps en prison, entend cela et propose de sauver cette cargaison de chaussures. Il a une fausse clé, le garde est parti manger. Il dit au sous-lieutenant "je peux bien vous faire ce cadeau, cette clé m'a permit de piquer tellement d'autres choses". Il monte au magasin, jette les chaussures par la fenêtre en direction de la cour d'une villa qui se trouve de l'autre côté de la rue Rousseau, où une amie les récupère et les cache. Le 29, chacun reçoit un "costume Pétain" (drap kaki, coupe civile), un titre de permission de trois mois, et sa solde de la quinzaine. Je suis toujours au bureau, j'ai donc du travail. Les soldats quittent la caserne le soir après une cérémonie d'adieux présidée par le colonel Petitbon (1), tout le monde est ému par son discours. Pour ma part, je reviendrai le lendemain matin, pour repartir aussitôt. Le 27 à l'aube le port de Toulon a été envahi comme les casernes mais l'amiral avait donné ordre de saborder la flotte Lorsque les allemands sont arrivés pour occuper la caserne Michel, il y a eu une relève de la garde presque habituelle mais surprenante. La garde montante, allemande s'est placée en face de la garde descendante, française et a présenté les armes. La garde descendante n'a pas répondu à ce "présentez armes". Le sergent Naffrechoux qui avait manifestement été choisi en raison de son expérience, a commandé: "A gauche -- gauche" puis "en avant marche" et il a emmené ses hommes au bâtiment A de la caserne. Je crois me souvenir que ce geste a été relaté vers 1950 dans un livre dont j'ai oublié le titre et que je n'ai pas pu retrouver". 1) André Besson, dans "Une poignée de braves" publié en 1965, écrit dans les évènements de février 1943 : "puis ce furent les arrestations manquées du colonel Petibon commandant le 151 RI à Lons ..." Marcel Naffrechoux Soixante sept ans après la fin du 15.1, dont il a été un témoin particulier, je retrouve le nom de Marcel NAFFRECHOUX sur le site d’un de ses amis. En 1945 il était l’un des premiers parachutistes (brevet N° 5538) qui appartenaient alors à l’Armée de l’air, et qui constitueront, en 1945, le 1er R.C.P. Trois séjours en Indochine; une blessure sérieuse, des citations, la Médaille Militaire et la Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur. Il a bien mérité sa retraite à quelques kilomètres de Pic du Midi.
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