L'été 1944 entre Bonlieu et Saint-Laurent |
Au début de 1944, les allemands sont aux abois; sur tous les fronts leurs troupes reculent. En France, les trains sautent, les voies ferrées sont sabotés, les routes sont piégées, des corps francs les attaquent. Ils passent à l’action, et les 15 et 16 avril ce sont les rafles, les assassinats, les déportations que le Grandvaux a connus. Plusieurs articles de Serge Gay relevés sur un morceau de journal dont le titre et la date m’échappent, racontent ce qui s’est passé ensuite entre Saint Laurent et Ilay. En voici quelques paragraphes : |
Panique chez l'ennemiDepuis un an environ un feldwebel nommé Konrady, ayant six hommes sous ses ordres, s’est installé à Saint-Laurent. Il a recruté sur place une dizaine de civils français. Sa tâche consiste à expédier par chemin de fer vers l’Allemagne des milliers de grumes provenant des magnifiques forêts du Haut-Jura. Il s’en acquitte d’ailleurs méthodiquement, usant, comme il se doit, de l’autorité que lui confèrent son uniforme, son grade et sa haute stature. Hélas, les trains ne partent plus et Konrady se voit réduit à l’inaction. Quand on est inactif, on pense trop, et quand un feldwebel inactif se met à trop penser, il devient nerveux. Devant la menace que les corps francs font peser sur l’armée du grand Reich, notre homme est pris d’une panique incontrôlable et il s’enferme avec ses six hommes dans l’hôtel Rechardy, situé environ à 1 km de Saint-Laurent sur une éminence sur la route de Champagnole. Il barricade portes et fenêtres, aménage les meurtrières et fait surveiller les abords nuit et jour, observant particulièrement le chemin d’accès qui rejoint la R.N.5, à une centaine de mètres. Ce jour de 1er juillet il fait un temps radieux. Aux environs de 16 heures, un convoi allemand est intercepté à la Savine; un chauffeur français réquisitionné par l’ennemi, est grièvement blessé dans la fusillade. Il fait chaud. Est-ce la raison pour laquelle il enlève son casque ? Ou bien a-t-il voulu donner le change et semer le doute chez ses adversaires pour le cas où il leur servirait de nouveau de cible ? Cette seconde hypothèse parait plausible. Il traverse Saint-Laurent en trombe. A l’hôtel Rechardy, Konrady sur ses gardes entend s’approcher un camion; il le voit s’engager sur le chemin d’accès; le conducteur a les cheveux au vent: plus de doute, c’est le maquis ! c’est l’attaque tant redoutée; "Feuer !". On devine la suite : le camion arrêté, le moteur qui tourne encore, Ernst Baumgartner affalé sur le volant. Il a un trou noir au milieu du front. La Pierre Carrée Le 4 juillet au matin, un détachement de l’armée d’occupation, réinvestit Saint-Laurent. Désormais, cette ville sera truffée de sentinelles, les armes à la main, jusqu’à la libération. Mais les incidents vont se multiplier et le passage de la Pierre Carrée deviendra un véritable traquenard pour les allemands. Ils y seront attaqués les 7 et 18 juillet : 3 morts le 7, 4 morts et 6 blessés le 18. Cependant c’est le 25 juillet au soir qu’ils y essuieront l’échec le plus retentissant. Leur convoi attaqué à la grenade, sera immobilisé pendant une heure et ils ramèneront à Saint-Laurent, vers 23 h, une trentaine de morts et 17 blessés, dont un chauffeur français réquisitionné qui succombera de ses blessures. Les habitants de Saint-Laurent, calfeutrés derrière leurs volets n’ont pas oublié cette soirée lugubre du 25 juillet : L’hôtel du Commerce transformé en morgue, les portes démontées pour servir de civières, la plainte lancinante des blessés qui s’exhalait des camions, et la voix, en français, du malheureux chauffeur à l’agonie qui doucement comme un enfant, appelait sa mère. Représailles à IlayDans la matinée de ce jeudi 3 août, les allemands, qui ont reçu des renforts, se dirigent vers Chaux du Dombief où ils se livrent à un pillage en règle. Tous les postes récepteurs de radio et les vélos sont enlevés. Le 4 au matin, dix camions d’allemands venant de Champagnole et cinq de Morez se regroupent à Saint-Laurent. Les soldats se rendent chez Mr Delatour, contrôleur des contributions indirectes qui a juste le temps de s’enfuir. Par contre l’infortuné Jean Vergne, jeune père de famille est appréhendé, conduit près d’un bosquet, où il subit les pires brutalités avant d’être abattu. A 11 heures, la colonne s’ébranle pour Bonlieu. Toute l’abbaye de Bonlieu avec son hôtel et ses magnifiques villas, au total huit immeubles sont incendiés ainsi que l’habitation de Mr Conus dont la ferme avait été brûlée la veille. Au retour ils incendient tout le hameau d’Ilay sauf deux maisons. Vers 18 heures, les allemands prennent le chemin du retour et tombent dans le piège. Au cours de cet engagement, l’ennemi a des tués, laisse des prisonniers ainsi qu’une camionnette contenant du matériel pillé. Pour forcer le passage, il rappelle au moyen de fusées l’un de ses groupe qui s’était aventuré jusqu’au Puy, hameau de Saugeot. Ce détachement se retourne avec la plus grande célérité. Le samedi 5 août, les allemands sont très excités. Dès le matin ils se dirigent vers Saint-Pierre, aux Dadonnins. Ils pénètrent chez l’aubergiste Philippe Ferrez, pillent son auberge avant de l’incendier, puis ils l’abattent devant sa maison en flammes. Les embuscades sur la RN5 se multiplient. Le 14 août les alliés débarquent dans le midi. Les allemands se replient. Une colonne venant de Savoie, et passée par les Rousses où elle a fusillé treize habitants, est bloquée entre le Pont de la Chaux et la Billaude. Ils ont trois tués dont un colonel. Ils se vengent en incendiant la ferme Chagre et fusillent deux personnes.
D’autres convois passent encore, emportant leur pillage. La garnison reste. Elle a ordre de protéger les arrières de la Wermacht. Mr Lyonnais, inspecteur d’académie, se présente à son commandant pour l’inciter à la reddition. C’est un refus, fier. Ses 40 hommes sont barricadés dans l’hôtel du Commerce. 80 russes viennent les seconder. Ils barrent les routes. Les rues sont désertes. Les habitants voient, le soir, les incendies de Chatelblanc et de Foncine le haut. On craint que le village soit un nouvel Ouradour. Le 2 septembre à 16 heures, des "américains" - qui parlent tous français - arrivent à Salave. C’est le troisième régiment de spahis algériens. Les allemands sont rassemblés devant l’hôtel du commerce et jettent leurs armes. Leurs officiers lèvent les bras. C’est la reddition. Ces extraits complètent le chapitre "Le Maquis Vauthier". Monsieur Lyonnais, qui a invité le commandant des troupes allemandes de Saint-Laurent à se rendre, résidait à Salave. La veille de la Pentecôte de 1940, je me rendais à vélo, de Saint-Claude à Foncine. Je voulu calmer ma soif à une fontaine située au centre de sa cour. Madame Lyonnais me l’interdit fermement. Je dus répondre à un long questionnaire de son mari et lui démontrer que je connaissais bien ses manuels de grammaire pour pouvoir avoir le droit de repartir, ... sans goutter à son eau. Il m’avait pris pour un agent de la 5ème colonne. |