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La vie au 15.1

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La nourriture

A la caserne, la nourriture n'était pas des meilleures. Elle était le principal sujet de préoccupation. Les pommes terre en constituaient l'essentiel et avec elles, la "corvée de patates". Lors de cet exercice, beaucoup en chapardaient en les glissant par la braguette dans les jambes de leur pantalon (on portait des culottes de golf). Elles étaient cuites le soir sur le poêle de la chambrée. Se faire prendre coûtait quatre jours de prison et cela arrivait souvent.

Après les pommes de terre vint le temps des topinambours, avec d'autres corvées de peluches plus fastidieuses encore. Les bosses de ces tubercules tordus partaient avec la peau dans les eaux grasses. Bientôt, par soucis d'économies, l'officier d'ordinaire supprima l'épluchage et ces légumes nous furent servis cuits à l'eau dans leur peau. Le sel et le vinaigre étaient en abondance sur les tables. Pas étonnant si nous cherchions ailleurs à améliorer l'ordinaire.

La première solution était d'aller dans un des restaurants de la rue des salines ("Basset" ou "Longin"). Pour 10 francs, on pouvait y manger une entrée de légumes, des frites et un morceau de viande. Ce tarif correspondait au prêt d'un jour pour les engagés. Les appelés qui terminaient leur temps ne touchaient que cinquante centimes. Restait le problème des tickets. Il était en général résolu grâce à une serveuse qui en glissait quelques-uns sous les assiettes et à la gentillesse de la patronne qui n'exigeait pas le reste.

Il y avait une autre manière de se procurer des tickets, en particulier pour le pain : Les permissionnaires recevaient, en partant, des tickets pour chaque jour d'absence. Il s'agissait de bandes de papier de un centimètre de large et dix de long portant 10 numéros, de 1 à 10. Le papier ressemblait à du papier journal. Le numéro 1 correspondait au pain. Un copain de la 4ème section s'était spécialisé dans la récupération ou la fabrication de ces petits carrés portant le numéro 1 et s'en allait à Macornay les échanger contre quelques kilos de vrai pain. Un autre se procurait, je ne sais comment, des tickets de viande et nous pouvions ainsi commander nos repas. Je crois me souvenir que le préposé aux tickets de pain finit par épouser la fille du boulanger.

Les manoeuvres

Heureusement il y avait les manoeuvres où la nourriture était améliorée ou facile à améliorer.

En 1941 il n'y eut pas de manoeuvres mais un camp de montagne en août dans le Haut-Jura. La 4ème compagnie était cantonnée à la Combe du Lac. La nourriture était meilleure. Nous ajoutions du lait que nous achetions dans les fermes et que nous mélangions à des myrtilles. Le résultat ne traduisit par ce qu'on appellerait aujourd'hui "la tourista".

Le 28 septembre, il y eut un défilé à Villefranche sur Saône devant Pétain. Toute la division était représentée. Nous fîmes un aller et retour par le train dans lequel nous couchions. Le train s'arrêta à à Bourg puis Macon pour avant d'arriver à Villefranche à 9 heures où nous fumes consignés jusqu'au début du défilé qui avait lieu à 14 heures.

L’amiral Darlan et le colonel Petitbon (° 1881 + 24.12.1942) à Lons le Saunier en 1942

Nous avons défilé entre un bataillon de chasseurs à pied et La Légion (difficile de garder la cadence entre le pas du chasseur et celui du légionnaire). Ensuite quartier libre. Nous fumes bien accueillis par la population qui nous offrit à boire plus qu'il n'aurait fallu. Malgré tout, tout le monde se retrouva à 23 heures 30 sur le quai de la gare. Les faisceaux de fusils avaient autant de peine à tenir debout que les hommes et les officiers mais le train partit à minuit 30 avec tout le monde.

Nous fumes réveillés pour le café, à 6 heures, en gare de Macon. Le commandant du bataillon et quelques officiers passèrent dans les wagons et les firent nettoyer. Le train arriva à Lons à midi 15. Et dès le lendemain pour ne pas perdre l'habitude et la forme, nous eumes droit au parcours Desré sur le stade Dumas.

Le régiment était conscient que les engagés venaient en grand nombre de la zone occupée ou d'Alsace Lorraine et ne pouvaient pas se rendre dans leurs familles. Il avait demandé à ceux qui connaissaient la région, de rechercher des maisons où ces soldats pourraient passer leurs permissions en échange de quelques services. Beaucoup purent ainsi se rendre dans des fermes proches de Lons. Moi-même j'emmenais avec moi chez un oncle qui avait une petite exploitation à Uxelles, mon ami Juillerat originaire de Pont de Roide.

Le samedi, après les travaux de coutures et de propreté (ah ces sacrés treillis à laver !) et la revue de paquetage, nous partions vers 17 heures avec un vélo pour deux. A Pont de Poitte nous prenions les miches de pain commandées par mon oncle et dès notre arrivée, nous allions au travail. L'été c'était les foins qu'il fallait faucher, rentrer ou ranger. Le dimanche nous repartions après avoir pris un bon repas et en emportant des provisions pour la semaine.

En 1942, il y eu deux manoeuvres. La première, en Bresse du 9 au 28 avril. La seconde du 26 août au 16 septembre, en Bugey. La nourriture était meilleure d'autant que notre petite équipe se débrouillait pour manger souvent chez l'habitant. J'étais radio au PC du bataillon et cela me donnait une certaine autonomie. L'inconvénient c'était le poids de l'ER 17 qu'il fallait porter en plus du fusil.

Les manoeuvres du printemps commencèrent par une marche à travers la campagne, de Lons à Saillenard.

10 avril : Saillenard-Vincelles à travers bois et champs, dans la boue. La radio est défectueuse.

Les 11 et 12 avril se passent à Vincelles. Premier contact avec les paysans bressans. On leur achète des oeufs, des gaudes et des pommes de terre pour améliorer notre ordinaire de midi et le soir on se fait inviter par l'un d'eux qui nous prépare une omelette au lard, une salade au lard et du fromage blanc à la crème.

13 avril : Vincelles-Rancy où nous logeons tous dans la salle des fêtes. Là pas de cultivateurs donc nous mangeons à la cuisine roulante. Nous ajustons le réseau radio car les manoeuvres de la division commencent le lendemain.

Caserne Michel

15 avril : de Rancy à Cuisery avec franchissement de la Seille. Deux repas piteux. Nous couchons à Préty. Exercice de traversée de fleuve. Une barque chavire au milieu de la Saône. La barque préposée au sauvetage tarde à venir. Le Lt. colonel Gabriel qui observe depuis la berge, saute dans une barque qui se trouve à un mètre au-dessous de lui. Il tombe à l'eau et est évacué avec les autres naufragés.

La manoeuvre de division se termine le 17 avril au matin sous la pluie et le froid. Un petit malin avait remarqué‚ dans la cave du vigneron chez qui nous logions, un petit tonneau et avait pensé qu'il ne pouvait contenir qu'un vin de grande qualité. Il en avait empli son bidon. La déception ne tarda pas, c'était du vinaigre, du bon certes, mais du vinaigre. Nous revenons coucher à Rancy par Cuisery.

18 avril : Préty-Cuisery où nous couchons. A midi fromage fort seulement. Le soir repas chez un habitant : pâté, omelette au lard, salade à l'huile de navette, purée au lait, haricots, crème au chocolat, gâteau de maïs. Les bressans ne connaissent pas les restrictions. Le 20, toujours à Cuisery, repos en l'honneur du nouveau colonel. Le soir encore un bon repas gratuit chez un particulier : potage bressan, cotes de porc gros sel, frites pomme paille, salade mimosa, crème au chocolat.

21 avril : marche pénible de Cuisery à Curciat Dongalon; 22 kilomètres sous une chaleur orageuse.

23 avril : séjour à Curciat où l'on se ravitaille à bon marché. Chacun fait des provisions en vue du retour à Lons. Le soir nouvelle invitation chez l'habitant : choucroute, chevreau, fromage de chèvre, crème à la vanille.

24 avril : 22 kilomètres Curciat, Cuisia par Varennes St Sauveur. Nous y restons jusqu'au 28 en préparant une petite fête.

 

Enfin le 28 avril nous rentrons à la caserne Michel. Peu avant Montmorot, des voitures transportant des officiers allemands doublent lentement notre colonne. Aussitôt quelques-uns entonnent "Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine", rapidement suivis par tous. A la caserne, une surprise nous attend des civils sont là. Les voitures porte munitions sont mises de coté et fouillées. Toutes les victuailles récupérées en Bresse sont emportées par les contrôleurs du ravitaillement. Et - nous dit-on - sont portées à l'hôpital ... Après cela, la compagnie avait bien mérité une permission de 15 jours.

Les manoeuvres d'automne se déroulèrent du 27 août au 16 septembre dans un pays tout à fait différent.

Du 27 au 31 août, la compagnie reste à Publy.

31 août : marche de nuit jusqu'à Thoiria où l'on passe la nuit.

1er septembre : marche de Thoiria à Crenans, où nous séjournons le 2.

3 septembre : marche vers Dortan par Moirans, Epercy, Jeurre sur une route magnifique.

4 septembre : par 10 kilomètres de montagne, nous arrivons à Izernore. Les roulantes arrivent trois heures après nous. Les cultivateurs acceptent de nous vendre des pommes de terre à 10 francs le kilo, le prix d'un repas à Lons.

5 septembre : toujours par de mauvais chemins de montagne, mais dans des paysages superbes, nous arrivons à Villereversure.

7 septembre : route vers Neuville sur Ain. On manoeuvre toujours. Le plastron (l'ennemi) est le 5 ème dragons qui nous charge à cheval quand il nous surprend. Febvre, le chef du peloton cycliste nous venge. Il surprend la corvée de repas d'une section, culbute les légumes et emporte vin et viande. Une heure plus tard, un commandant du 5 ème vient se plaindre au commandant Fayard patron de notre bataillon. Celui-ci appelle Febvre et lui promet une punition, puis, le dragon étant parti, il lui dit "n'en parlons plus".

Des années plus tard, le commandant Fayard devenu inspecteur général des réserves, passait par Nevers où nous étions Febvre et moi. Nous avions demandé à le rencontrer. Il nous avait très bien reçus et se souvenait parfaitement de cet anecdote.

8 septembre : la manoeuvre continue, avec artillerie et aviation, et nous arrivons à Saint Maurice de Remens. Nous y restons pour nous mettre en état d'être présentés à Pétain, qui doit présider une prise d'arme sur le terrain d'aviation d'Ambérieu le samedi 12. Les soirées sont occupées à marauder pèches et noix et même des feuilles de tabac.

16 septembre : nous rentrons à Lons par le train.

18 septembre : nous préparons le départ de 55 camarades qui partent faire les vendanges à Bergerac. Je suis transféré du peloton de transmissions au bureau de la 1ère compagnie le 13 septembre et j'ai du travail.

Le 14 octobre je pars en permission pour 27 jours. Cette permission est signée depuis le 2 octobre. Elle avait été retardée en raison du travail. Elle se terminera plus tôt que prévu puisque je serai rappelé le 8 novembre, après le débarquement des américains en Afrique du Nord, pour une période riche en événements puisque nous serons " licenciés" le 29 novembre après un voyage de huit jours à Hyères.

Autres exercices

Lorsqu'il n'était pas en manoeuvre, le 151 était soit au sport sur le stade Dumas (et son parcours Désré !), soit à la piscine du puits salé, soit au tir à Montciel, soit au plateau de Mancy. C'est sur ce plateau que le capitaine Le Henry, qui remplaçait le commandant Fayard à la tête du 1er bataillon, n'avait pas reconnu son cheval.

La compagnie y était venue faire un exercice. Les officiers étaient arrivés ensuite à cheval. Ils avaient laissé leurs montures à la garde de trois éclopés, dispensés d'exercice, et ils avaient suivi à pied. Les gardiens avaient alors voulu monter les chevaux. L'un d'entre eux était tombé et le cheval était parti à travers les vignes puis par la route de Macornay jusqu'à la caserne. Son cavalier l'avait suivi de loin et l'avait rejoint à l'écurie.

Mais le cheval était blessé et le palefrenier avait refusé de le laisser repartir. Il avait cependant eu la gentillesse d'en prêter un autre, presque de la même couleur et le retour à Mancy s'était bien passé avant la fin de la manoeuvre. Mais il avait bien fallu avouer au capitaine Le Henry, que le cheval sur lequel il était, n'était pas le sien.

Les jeunes seront peut-être étonnés d'apprendre encore, que le 151 organisait des corvées de bois (il en fallait bien pour l'hiver) et de tilleul.


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