http://foncinelebas.free.fr


De Vauthier à Lacuzon, autour du Hérisson

retour


Château de l'Aigle

"Castor a découvert une vieille maison inhabitée. Coïncidence symbolique, c'est l'ancienne demeure du capitaine Varroz. De hautes cheminées de pierre, des plafonds à la française, des fenêtres à menauts gardent à cette maison campagnarde une allure très quinzième siècle … Je me plais à rêver, à imaginer, à trois siècles de distance, le Capitaine Varroz revenu chez lui entre deux embuscades. Ne sont-ils pas tout près les uns des autres ces maquisards du XXème siècle qui lutent pour la libération de leur sol et ces héros de l'indépendance comtoise".

C'est Vauthier qui écrit ces lignes, dans sa préface au petit livre où Edouard Camuset ("Castor") raconte ses "80 jours dans les griffes de la Gestapo".

Vauthier c'est maître Paul Vuillard (1), jurassien de naissance, avocat à Lyon. En 1940 il a "fait" Narvik avec le général Bethouard, un dolois. En 1944 "grillé" à Lyon il revient dans le Jura. Il cache sa famille à l'hôtel Mouillard à la Chaux des Crotenay, et il prend le commandement du maquis de la Fruitière où se retrouvent avec bien d'autres lédoniens, les rugbymen de Ricard, les pompiers de Jaillet, les lignards de Bauduret et plus tard les gendarmes de Danaud.

A gauche, Edouard Camuset qui logeait à la Fruitière, dans une maison où, selon maître Vuillard, le capitaine Varroz avait habité. Après la libération, Edouard Camuset a été chef du camp d'internement de Crotenay.

A droite, Pierre Fromond, un des "alevins de Castor". Il est mort à 18 ans en sautant sur une mine début avril 1945. Engagé volontaire dans le 27e régiment d'infanterie, Pierre Fromond avait commencé son combat dans les maquis de Fontenu . Né à Champagnole en 1927, un an après son frère Daniel, son père Paul Fromond était clerc de notaire chez maître Falcoz. Sa mère décédée en 1939, tenait le café du Centre dans la grande rue. A 15 ans il gagne la clandestinité au sein du groupe Vauthier, à Marigny, la Fruitière et Fontenu. Ces gosses, que leurs camarades appellent les alevins, jouent un rôle important au sein de ces unités où tout adulte, est pour l'occupant, un terroriste en puissance. Tous restent en short et utilisent leurs allures juvéniles pour acheminer les ordres, regarder, renseigner. C'est Pierre qui, au combat d'Ilay, sera désigné pour alerter sous les balles, le chef du groupe Achille, dont les hommes à la pointe du combat, risquent l'encerclement. Dans la confusion de la retraite, il se perdra et errera toute la nuit au fond des bois. Après la libération de Lons, il sera incorporé au 2e bataillon du Jura. En janvier 45, sous l'impulsion des frères Fromond, un groupe de volontaires quittaient secrètement leur section basée à la frontière Suisse pour gagner au nord de la Haute-Saône, le 2e bataillon du 1er régiment de Franche-Comté. Daniel et Pierre Fromond feront partie des unités d'éclaireurs skieurs qui combattront cet hiver là sur les Vosges et en haute Alsace. Ils participeront jusqu'à la fin mars à la libération complète de l'Alsace. C'est début avril, sur le Rhin, en mission commandée, que Pierre sauta sur une mine. Il fut tué sur le coup, il n'avait pas 18 ans.

Raoul et Magui veulent rejoindre Lacuzon , au Trou des Gangones

La Fruitière est un hameau de Menetrux en Joux, proche du Hérisson. C'est là que Castor le rejoint. Son domaine d'action se situe entre les RN 5 et 78; mais c'est entre Ilay et Bonlieu, c'est à dire encore à cheval sur le Hérisson que survient, les 3, 4, et 5 août 1944 l'opération la plus dure. Les allemands ont de grosses pertes. Vauthier aussi : 8 jeunes du groupe Pierre, de la Chartreuse de Bonlieu, sont tués ou plutôt assassinés. Ils sont inhumés à Songeson.

Trois sections sont sur le point d'être encerclées. Grâce à Hassan qui parvient, presque seul, à arrêter les allemands, ces sections peuvent s'échapper par les gorges. Le soir de la journée la plus dure, un parachutage a lieu sur l'autre rive de la rivière.

Vauthier connaît l'histoire. Il connaît aussi "le médecin des pauvres" (2) de Xavier de Montepin qui fut longtemps le livre de chevet de tous les haut jurassiens.

Le Hérisson c'est le domaine de Lacuzon et de ses deux adjoints, le capitaine Varroz et le curé Marquis. Leur refuge c'est l'imaginaire trou des Gangônes (3).

Le rapprochement que fait Vauthier n'est donc pas surprenant. Voici quelques paragraphes tirés de ce livre :

" Raoul et Magui veulent rejoindre Lacuzon , au Trou des Gangones. Ils arrivent par Saint-Laurent, et la Chartreuse de Bonlieu. Ils ont évité le château de l'Aigle, repaire d'Antide de Montaigu. Le sentier devenait incroyablement périlleux. A peine tracé dans les flancs d'une roche à pic qui surplombait un précipice plein de brume, il se transformait par endroit en une sorte d'escalier irrégulier, et enfin il finissait par n'être qu'un mince rebord d'un pied tout au plus, ayant au dessus et au dessous une muraille parfaitement lisse de deux cents pieds au moins, et dominant une cascade qui tombait dans un effroyable fracas dans un précipice habité par le vertige aux doigts crochus.

Il côtoyait pas à pas le lit du torrent et par une pente rapide sur laquelle de grosses pierres semées ça et là formaient comme une ébauche d'escalier, descendait jusqu'au niveau du bassin dans lequel le Hérisson, lancé de cent pieds de haut, s'engouffrait, pour en ressortir bouillonnant, large et majestueux, et plutôt fleuve que rivière. Sous la cascade même, tous deux se trouvaient debout sur une étroite saillie entre le rocher et la chute d'eau, dont la nappe incessante formait comme un voile étrange qui, malgré sa transparence, ne permettait point de distinguer les objets placés de l'autre côté.

le trou des Gangones

Au sommet du talus et à la naissance du roc s'ouvrait une large ouverture dont les arceaux de plus en plus sombres et finissant par se perdre dans une obscurité complète, indiquait la profondeur. C'était l'entrée du trou des Gangones".

Puisqu'on est dans l'imaginaire, voici, toujours relevé dans ce livre, un extrait du discours que Xavier de Montepin met dans la bouche du curé Marquis, prisonnier des gris, s'adressant à Louis XIV :

"Oui la Comté est franche ! elle est libre, elle veut rester libre !

La liberté, depuis cinq cents ans, n'est-elle pas le but unique de ses efforts, souvent ensanglantés ? La France veut la Franche-Comté, mais emploie-t-elle le bon moyen pour la conquérir et la conserver ? Est-ce en accablant une province sous le poids de tous les malheurs, de toutes les misères, de tous les fléaux qu'on s'y fait des partisans et qu'on s'y ménage des sympathies ?

 

Est-ce notre faute à nous si les noms seuls de français et de suédois sont pour la montagne tout entière, un objet d'épouvante et d'exécration ? Vous voulez faire de la Comté une chose à vous et vous dépeuplez le pays par le feu et la famine, vous le ruinez par le pillage et l'incendie. Jamais dans leurs barbares invasions des siècles passés, jamais les Huns ni les Vandales ne sont allé si loin que vous !

A-t-il un cœur ce duc de Longueville qui après avoir triomphé en 1637 de l'héroïque résistance de Poligny, saccage et brûle la ville conquise et passe au fil de l'épée tous les habitants ? A-t-il une âme ce marquis de Vallois qui, forcé de lever le siège de Salins et furieux de ce revers, vient s'abattre devant Dole et fait faucher pendant quinze jours les blés verts sur les bords du Doubs ?

Ce Villeroi qui rase la château de Vire-Châtel, brûle cinq villages de la baronnie, incendie les châteaux de la Villette et de Frétigney qui contenaient plus de vingt mille écus de grains ! Le feu et la famine, voilà les armes de ces illustres chefs … Un soir, le duc et le comte, le maître et le valet, le futur roi du Jura et le colonel, exaspérés par l'héroïque résistance d'une poignée de braves gens qui avaient juré de mourir plutôt que de se rendre, et désespérant de s'emparer de Salins, levèrent le siège et se dirigèrent vers Pontarlier, la nuit tombante …

Comment firent-ils pour éclairer, leur marche ? Neron, jadis, l'empereur infâme, faisait allumer dans ses fêtes, torches vivantes, des chrétiens et des esclaves enduits de résine et de poix ! Weimar et Guébriant dépêchèrent en avant des éclaireurs avec l'ordre d'embraser tous les villages !

Cet ordre monstrueux fut exécuté ! L'incendie prit de telles proportions que, pendant cette horrible nuit, depuis les hauteurs de Nozeroy, on put voir les flammes implacables qui dévoraient plus de deux cents hameaux !

Les suédois et les français traversèrent la contrée sur cette flamboyante auréole et ils commencèrent leur œuvre d'enfer en brûlant aussi Pontarlier, qui peu de jours auparavant avait cru se racheter du feu en leur payant une somme énorme. Voilà ce qu'ils ont fait Monseigneur …

Pauvre province, autrefois si belle… Voilà ce qu'elle est devenue. Un amoncellement de ruines fumantes, partout la dévastation, partout la famine !"

En relisant ces quelques lignes on est tenté de faire un autre rapprochement.

Les 3 et 4mai 1945 à la cour de justice du Jura, maître Vuillard, a défendu - avec succès - le lieutenant Charles Weber qui avant d'être son courageux Hassan, avait été infiltré par le commandant Foucaud comme interprète à la gestapo de Lons. Dans son style, dans sa fougue, dans ses apostrophes et ses répliques percutantes, il y avait, semble-t-il, du curé Marquis.

Tout cela mutatis mutandis bien sûr.

1) Le bâtonnier Paul Vuillard, décédé le 27 décembre1993 à Lyon état Commandeur dans l'Ordre de la Légion d'Honneur, dans l'Ordre National du Mérite et dans l'ordre norvégien de Saint-Olaf.

2) Le "médecin des pauvres" vient d'être réédité.

3) Dans le patois de nos montagnes, les cloches s'appellent des gangones, à cause sans doute ,du bruit qu'elles font, et que le mot cherche à imiter. Quand on applique son oreille contre le rocher, dans la grotte, on entend le son des cloches.


le Capitaine Vauthier devant une de ses compagnie (au premier rang à droite Ricard), au départ du défilé de la victoire à Lons, rue des Salines.


haut de page