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Victoria Cordier


Dans son livre "Ce que je n’oublierai jamais", Victoria Cordier raconte simplement et sans gloriole, sa vie et celle de son équipe de1941 à 1945. De Foncine le bas, en passant par la Grange à l’Olive, Combe David, la Norbière, jusqu'au Risoux et le Gy de l’Echelle, c’est un plaisir de retrouver ces sentiers qu’elle a parcourus à pied, à vélo, à cheval avec son équipe de "passeurs".

Victoria Cordier (source photo : http://souslerisoux.blogspot.com)

Victoria est née et a grandi Sous le Risoux. Ses études terminées, elle se trouve à Champagnole, comptable chez Girardet, le marchand de vin. Une de ses sœurs travaille chez maître Falcoz. Ensemble, chaque week-end, elles montent vers leur maison familiale; 45 kilomètres en vélo ! Le lundi elles repartent à 5 heures 30 pour être au travail à l’heure dite.

Bientôt des amis champagnolais les accompagnent, puis des suisses viennent les rejoindre. Le Mont-Noir et le Risoux n’ont pas de secrets pour cette équipe. Ils font de la contrebande. Ni les douaniers, ni les allemands ne leur font peur.
Fin 1942, les juifs, devenus interdits en France, et les chefs de la Résistance, qui ont besoin de la Suisse pour communiquer avec Londres, ont besoin de passeurs. Qui, mieux que ces jeunes, pouvaient être chargé d’une telle mission ?

.En 1943 le chef du réseau "Corvette" de Lyon, engage Victoria dans sa filière suisse. Elle s’y retrouve avec ses amis et la Résistance va resserrer encore leurs liens d’amitié.

De Lyon, de Paris elle porte en Suisse des documents parfois lourds ou des messages codés et écrits sur des papiers minuscules prêts à être avalés en cas de danger; elle conduit des familles, souvent avec de jeunes enfants qui cherchent un refuge. Elle partage avec ses amis, ses peurs, ses angoisses, ses émotions, surtout lorsqu’elle apprend les arrestations (Bernard Bouveret et d’André Bochy entre autres), et souvent le plaisir de passer à la barbe des allemands.

Voici, tirées de son livre, le récit de deux de ses actions dangereuses et pittoresques :


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Le Risoux


La générale MELLIES

C’est un phénomène !

"Grande, leste dégourdie, peur de rien, elle était faite pour emboîter le pas derrière les officiers. En 14 avec son premier mari, elle avait fait la guerre dans les tranchées (comme infirmière).
Elle avait mis les allemands dans sa poche. Elle était connue à Champagnole. On l’entendait élever la voix face aux agents de la gestapo à qui elle tenait tête sans concession.
Elle allait voir souvent le chef de la Kommandantur de Besançon qui l’accueillait en s’inclinant avec un "Madame la Générale, que puis-je pour vous?".

Le Gy de l'échelle  (source photo : http://souslerisoux.blogspot.com)

Âgée de plus de 65 ans, intelligente et courageuse, son audace, son goût du risque la faisaient passer partout. Elle recevait les autorités allemandes dans sa jolie maison (une ferme restaurée), les faisait boire parfois jusqu’à l‘enivrement, et leur faisant signer des libérations de détenus.
Elle avait le général de Gaule, en grande photo, dans son salon, ainsi que Foch et Clémenceau. Quand elle recevait le général allemand, il avait tout cela sous les yeux et tout en buvant le "Roussillon capiteux", il lui disait "Foch grand français ! ... Clémenceau grand français! ..." et elle ajoutait "de Gaule grand français! ...". L'allemand ne répondait rien.

Elle était connue en zone libre, passait la ligne de démarcation en hiver avec un cheval et un traîneau; recevait des agents, cachait des évadés. La petite porte de service de sa vieille demeure rendait possible des allées et venues de toutes les nuits. Les allemands, eux, entraient par la grande porte.
Cette dame devint une amie pour nous. Elle nous confia des transmissions de documents sur les mouvements de troupe, des documents sur le gouvernement de Vichy".

Un jour, la générale s’invita à passer en Suisse avec Victoria. Elle devait porter des documents passionnants. Rendez-vous fut pris à la gare de la Savine.

."Ce jour là je l’accueillis à la gare. Elle avait par devers elle, un grand sac et des chaussures de marche. Elle m’embrassa, remit son billet à la dame qui attendait en disant: "J’arrive mais je ne sais pas si je reviendrai". Elle ne cessait d’être imprudente, avait toujours tendance à trop parler. Sûre d‘elle, personne ne pouvait la changer.
A peine avions-nous atteint le col de la Savine, qu’elle me dit, "La route descend, je vais monter sur votre porte bagage". Je pliai ma veste et elle s’installa en amazone. Quel voyage ! Elle se tenait à ma ceinture de cuir, ravie. "Je vous disais bien que ça marcherait !". Il fallut pourtant, à trois ou quatre reprises, mettre pied à terre. Elle était lourde et la route montait.

Arrivées aux Mortes, je m’éloignai un peu pour cacher mon vélo, et bras dessus, bras dessous nous mîmes le cap droit sur le Risoux à travers champs. Vers chez Louis Cordier, je la fis asseoir sous un gros frêne. Elle avait l’air ravie "On monte là haut ce soir !".

A la tombée de la nuit, nous nous mîmes en route. Elle criait, dans le silence de la nuit "A bientôt !". Dans le Gy, elle suivait mes ordres, ne craignait pas les glissades. Elle parcourut allègrement les 13 kilomètres. Elle parlait et riait. Dans la témérité et le courage de cette grande dame, il y avait un brin d’enfantillage".

Mission accomplie, la générale et Victoria rentrèrent à Champagnole. A Morbier elle offrit un cigare au chef de gare. A la Chaux des Crotenay on fit descendre tous les voyageurs. Les FFI allaient faire sauter un train. Elle s’empressa de descendre et finit la route avec un chargement de planches."

Un cheval vient à Foncine par le tram

"J’avais acheté, près d’Arbois, un cheval destiné à passer la frontière.

Un soir à 18 heures, comme je m’apprêtais à quitter le bureau et à prendre le tram, on m’amena ce cheval dans la cour face au lazaret des allemands (hôtel Ripotot).
Il avait heureusement une bride. Je me rendis à la gare demander un wagon de marchandises. Le cheval dépaysé ne voulut pas monter sur le pont du wagon. Par contre je le fis facilement monter à reculons (mes cousins m’avaient toujours dit que lorsque un cheval à peur, il recule plus facilement qu’il n’avance). On roula la porte; je pris mes billets, m’installai à côté des voyageurs. A tous les cahots; tous les arrêts, tous les à coups, je songeais à mon cheval. Dans quel état allais-je le trouver à Foncine ?

A l’arrivée, je remis mes billets à une femme (Madame Chevassus), qui vint m’ouvrir la porte du wagon. Le cheval cabré, affolé, les yeux exorbités, refusa de sortir. J’entrai dans le wagon et le fis encore sortir à reculons.
Je le pris par la bride et nous suivîmes la route du Mont-Noir. Les gens me regardaient passer, jupe plissée, écossaise et sandales blanches. Quelle tenue de cavalière ! J’avais peine à le suivre, car sous l’effet de la peur, il filait.

la maison des Cordier, sous le Risoux  (source photo : http://souslerisoux.blogspot.com)

A mesure que nous prenions les petites routes, celle de la Grange à l’Olive, puis les chemins de terre du Mont-Noir, mon cheval se calmait. Avant de pénétrer sous la route majestueuse de la forêt, je lui lâchais la bride et le laissai brouter un peu. L’herbe était courte mais il parvenait à en arracher. Il me regardait et semblait tout à fait rassuré. Les chevaux sont comme les chiens; ils sentent très vite quand on les aime et qu’on n’a pas peur d’eux.

Le temps s’assombrissait. Un orage approchait. Au sommet de la Roche du Palais je le fis stopper, près d’un gros caillou. En retournant la bride, je montai sur son dos. Je m’installai bien, étalant ma jupe en corolle. Nous passâmes Combe David et la petite chapelle, sans s’arrêter, pour une fois. L’orage était imminent. Déjà des éclairs rayaient le ciel. Des grondements, d’abord lointains puis rapprochés, se succédaient. Le cheval allait bon train, mais à chaque craquement, il levait la tête en la secouant de droite et de gauche, comme contrarié.

La pluie se mit à tomber, une pluie d’orage. J’étais littéralement collée au dos du cheval. Nous avions atteint la Norbière, traversions les champs. Le cheval s’arrêta brusquement. J’insistai pour le remettre en route. Il tourna sur lui-même. Je vis alors une grande flaque d’eau qui coupait toute la route. Je sautai à terre et le repris en main. Je dus faire un grand détour dans les prés trempés pour retrouver la route un peu plus loin.
Après les pâturages des "Murgers"; il fallait avancer avec précaution. Je guidai mon cheval sur les bords du chemin, dans le sable ou la boue pour éviter à ses fers de heurter une pierre. Dans les champs je visai le bas des "Antoines". Il me fallait une fois de plus couper la route et pénétrer en zone interdite.

L’orage semblait calmé. Je fis très doucement avancer mon cheval. Il semblait comprendre; ne fit aucun bruit. Maman fit une drôle de tête. Elle venait d’ouvrir la porte et aperçut une grande tête noire vers elle. La grange devint son écurie. Avec les moutons et les poulets, ma mère avait un compagnon de plus.

Le 14 juillet Bijou passa la frontière. Le sentier ne présentait aucun problème. Il ne fit aucune difficulté à suivre pour continuer la route avec un inconnu;

Le passage de ce cheval m’a valu la réputation d’avoir fait le trafic des chevaux pendant la guerre; car je fus dénoncée, la guerre finie. Je vis le rapport à Pontarlier chez l’inspecteur des douanes. Quels rires cette fois encore !".

Sur un autre chapitre elle raconte comment elle a pu sauver un "client" en le cachant dans une cuve à gentiane de son oncle mais il ne faut pas tout dire ici.

On trouve sur internet sa réponse à quelqu'un qui l'interrogeait sur sa vie :


"Sur un plan religieux, dit-elle, on n’avait pas le choix; ils avaient besoin de nous, on devait agir.
Sur un plan politique et philosophique, on avait le choix: on pouvait agir (résister) ou ne pas agir (suivre la raison d’état);
Sur un plan personnel, on est jeune, on a le goût du risque, on veut être libre.

Quand on est jeune, on fait n’importe quoi ! On m’aurait demandé d’aller chercher, dans une caverne, un ours de Berne, j’serais allé en chercher un à condition que je puisse le ramener ! C’était toujours faisable ! Même pour passer des gens, on aurait un gars avec une jambe de bois, on l’aurait fait. On disait oui pour tout, parce qu’on voyait qu’on pouvait;on y arrivait ! C’est parce qu’on a senti des gens qui allaient presque se faire tuer, ça compte ! Ça a commencé comme ça ...".

Hubert Bourgeois, grand connaisseur de l'histoire du secteur Mouthe-Chapelle des bois, consacre 3 pages de son site (http://www.bourgeoischatelblanc.net), à la période 1940-1945 : contrebande,douaniers, allemands, déportation, libération, etc ... Il est très précis et cite souvent des évenements oubliés. Il faut le lire. 


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