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La cinquième colonne

 

L'Abbaye en Grandvaux

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C‘était la veille de la Pentecôte, et de trois jours de vacances.

C’était aussi la fin de la drôle de guerre et la veille de la débâcle. J’avais prévu de monter jusqu’à  Foncine depuis Saint-Claude. La gendarmerie m’avait remis une carte de circulation, indispensable puisque nous étions en zone des armées. Mon vélo était lourd; il faisait chaud; j’avais soif.

Un peu avant Saint-Laurent, vers Salave, je ne pus résister à l’eau fraîche qui coulait d’une fontaine dans une jolie cour fleurie et ombragée. A peine avais-je plongé les mains dans la vasque qu’une dame sort de sa maison et me demande sèchement et gestes à l’appui, de quel droit je pénétrais chez elle. Fatigué et surpris d’une telle réception, je ne parvenais pas à lui répondre tout de suite.

Par bonheur, son mari, un peu plus calme, la suivait. A son tour, il s'adressa à moi  : "D’où venez-vous ? Depuis combien de temps êtes vous en route ? Quelle est votre destination ? Voyagez-vous seul ?". Voilà un interrogatoire en règle qui commençait et qui allait durer de longues minutes.

J’étais alors surveillant dans une école libre, et je remplaçais un professeur mobilisé.  La conversation, ou plutôt le questionnaire se poursuivait, sur un ton toujours aussi désagréable  : "Vous êtes professeur ? Quels sont les livres que vous utilisez ? et pour la grammaire ?".

Je répondis facilement à cette dernière question en donnant le nom du manuel scolaire le plus répandu à cette époque : "le Lyonnet".

L'homme enchaîna : "Et que pensez-vous de ce livre ?".

Ceci commencait à prendre une tournure qui me déplaisait. Pressé par le ton et les questions, j ’avais encore du mal à répondre et je me demandais où ces gens voulaient en venir.
Cela dura ainsi encore un moment, avant de comprendre, enfin, le pourquoi du comment.

Après 10 minutes, l'homme m’annonça : "Je suis Antoine Lyonnet, l’auteur de ce livre.".

Il ajouta "Excusez notre méfiance. On ne parle ici que de cinquième colonne, cela nous rend prudents".

Je partis aussitôt, sans un mot ni d’excuses, ni d’au revoir.
Et surtout sans avoir étanché une soif qui me poussa un peu plus rapidement encore jusqu’à Foncine.
Ce n’est qu’après que j’appris qu’Antoine Lyonnet était grandvallier et inspecteur d’académie. Je ne savais pas encore ce qu’était la "cinquième colonne", je le découvris plus tard.

C’était l’époque où l’on voyait des espions partout. Des parachutistes déguisés en religieuses, de faux gendarmes, des signaux louches durant la nuit, des Français qui tout à coup parlaient allemands … Pour désigner cet ennemi invisible, ces espions et ces traitres qui, disséminés dans l’armée, parmi les civils, dans l’administration, auraient semé la crainte, le doute, la désorganisation, le mensonge, ... une expression fit fortune : la cinquième colonne.

A peine un mois plus tard, c’était la débâcle et la traversée des gorges de Malvaux puis de Foncine par une noria de véhicules, mais cela est déjà raconté dans la page Juin 1940 à Foncine le Bas.


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