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La guerre du lait à Foncine le Bas en 1784


menu"De vent" et "à bize"

Les difficultés que fit naître l'organisation des fruitières sous le contrôle des Intendants, sont illustrées par le litige qui jeta le trouble dans l'année 1784, et dans celles qui la précédèrent, parmi les habitants, si paisibles à l'ordinaire de Foncine-le-Bas.

Le bourg, à l'époque, est composé de plusieurs hameaux coupés et séparés par des ruisseaux, et quoique le village ne soit pas considérable, il ne laisse pas que d'être fort étendu à raison de l'éloignement des maisons qui se trouvent dans les extrémités. Deux fruitières y existaient, sans qu'il soit possible de préciser leur date de formation : l'une du coté "de vent", dite "Chez Jean-Jacques"; l'autre "à bize", dite "chez Dahi". La fruitière de chez "Jean-Jacques" ne possédant ni chalet, ni matériel, louait les chaudières et le local de fabrication au sieur Alexis Martin, gros fermier du pays qui, en 1783, a eu pour sa part environ 800 pesants de fromages.

Mais des habitants de Foncine-le-Bas estimèrent qu'il serait plus avantageux de n'avoir qu'une fruitière, ils pourraient faire "deplus gros et de meilleurs fromages" qui se vendraient environ dix livres de plus par cent, ce qui donnerait sur la totalité une somme considérable. Au surplus, il serait possible entre tous de construire un chalet, ce qui éviterait aux associés de "chez Dahi" de faire le fromage dans les maisons.

 

Vers 1782, les propriétaires se réunirent : ils décidèrent de ne former qu'une fruitière et nommèrent Alexis Martin et Pierre-François Jeunet "procureurs spéciaux" pour construire un chalet, également à portée de tous. Quelques-uns ne furent pas satisfaits du choix qui fut fait de l'emplacement. Alexis Martin ne parait pas avoir cherché un terrain d'entente. Espérant sans doute que de nouvelles dépenses empêcheraient la réalisation du projet et qu'il pourrait continuer à tirer revenu de la location, il retira brusquement à la fruitière sa chaudière et ses instruments de fabrication. Les associés, pour riposter, louèrent une autre maison. Alexis Martin quitta la fruitière dite chez "Jean-Jacques" et "mêla" son lait à celle "de Bize", dite "chez Dahi".

Ces agissements portaient un grave préjudice aux particuliers composant la fruitières du coté "de vent". Celle-ci, en effet, devenait trop faible et hors d'état de fabriquer dans des conditions normales : il ne lui restait que trente-six à quarante vaches, alors que celle où allait Martin avait fait en 1783 plus de dix milliers de fromages; la perte fut de près d'un tiers sur la vente des fromages au mois d'avril suivant.


menuLe chalet commun

La situation ne pouvant se prolonger, les associés de "chez Jean-Jacques" présentèrent requête à l'intendant, ils lui demandèrent d'obliger Alexis Martin à "mêler" avec eux, comme précédemment, et de lui enjoindre, en vertu de la procuration qui lui avait été donnée, de faire construire le chalet projeté. Mais la saison était trop avancée pour apporter des changements dans la formation des fruitières et les requérants ne donnèrent pas suite à leur demande. Ils espéraient aussi que l'on construirait pour l'année suivante le chalet au moyen duquel les deux fruitières se trouveraient réunies.

Les procureurs spéciaux cependant persistaient dans leur négligence et Alexis Martin paraissait résolu "à continuer" à la fruitière de "chez Dahi". Devant cette mauvaise volonté, au début de mars 1784, les associés de "chez Jean-Jacques" firent signifier requête audit Martin avec assignation pour répondre devant l'intendant; ils demandaient qu'il fût obligé de porter son lait à la fabrique du coté du midi et de construire un chalet dans le délai de trois mois. Le 7 mars, Jean-François Gauthier, subdélégué au département de Poligny, dressa procès-verbal des dires respectifs des parties. Alexis Martin protesta de sa bonne foi : il n'avait commis, à l'entendre, aucune négligence dans la construction du chalet; les habitants étaient trop divisés pour faire oeuvre utile et ils ne lui avaient pas remis l'argent nécessaire. Au surplus ajoutait-il, les demandeurs omettent de dire, parce qu'ils en sont un peu mortifiés, que leur fruitier n'est pas habile et qu'eux mêmes manquent d'attention.

Le subdélégué ordonna aux habitants de s'assembler pour délibérer sur la construction d'un chalet commun, le choix de son emplacement et sur l'unification possible de deux fruitières.

Les habitants ne se réunirent pas, mais le 22 mars, Pierre-Antoine Jacquet se rendit devant le subdélégué et lui exposa que les associés de la fruitière "de bize" ne voulaient pas faire construire un chalet commun, "attendu que plusieurs des mêlants en seraient trop éloignés et qu'il y aurait des ruisseaux à traverser". Il ajouta que les deux fruitières étaient d'égales importance. Alexis Martin comparut lui aussi le même jour pour soutenir qu'il était en droit "de mêler" avec la fruitière "de bize", et que s'il avait fait partie autrefois de la fruitière dite "chez Jean-Jacques", c'est "parce que les fromages ne se faisaient que dans sa maison, les "mêlants" ayant pris d'autres arrangements, il a de son coté trouvé son avantage de s'associer à la fruitière de "chez dahi ...".

Les sociétaires de "chez Jean-Jacques" répondirent que le nombre des vaches n'étaient pas aussi élevé qu'on le prétendait et que Alexis Martin était plus à portée de la fruitière "de vent" que de celle "de bize".


menuAssemblée après la messe

Le subdélégué estima impossible de se décider sur les dires respectifs des parties et il transmit le dossier à l'intendant. Celui-ci, par ordonnance du 30 mai 1784, décida que la saison étant déjà un peu avancée, les deux fruitières resteraient telles qu'elles étaient établies en la présente année pour la fabrication des fromages. Mais il ordonna que , dans le courant du mois prochain, il serait convoqué par-devant notaire, à la diligence des échevins et sur la place publique, une assemblée générale des associés des deux fruitières. Tous seraient tenus de s'y rencontrer, ceux qui s'en absenteraient sans excuse légitime seraient punis de 20 livres d'amende, qui seraient encourues de plein droit sur la simple déclaration des échevins. Les associés devraient délibérer tant "sur la construction d'un chalet et sur son emplacement" que sur la composition des fruitières; ils donneraient "leurs avis par ordre sans confusion et sans invective ni mauvais propos, ce dont le notaire ferait mention dans son acte, et dans le cas où lesdits intéressés ne pourraient se concilier soit sur la construction d'un chalet et de son emplacement, soit sur la formation des fruitières, le notaire en dressera procès-verbal en distinguant par deux colonnes différentes les particuliers qui seraient de sentiments contraires".

Selon la coutume, l'intendant ajoutait que son ordonnance serait lue à l'issue de la messe paroissiale et qu'en même temps le jour et l'heure de l'assemblée seraient annoncés à haute et intelligible voix pour un des jours de la semaine suivante. L'avis serait en outre renouvelé par un billet affiché à la porte de l'église et l'assemblée convoquée au son de la cloche à la manière accoutumée le jour où elle devait se tenir.

Le 15 août 1784, à l'issue de la messe paroissiale, l'ordonnance fut publiée et l'assemblée annoncée pour le 18 août. Les archives du Jura possèdent encore un billet signé "Oudet, échevin", renouvelant la convocation dans la forme prescrite.

Le 18 août, treize associés seulement sur vingt-quatre assistaient à la réunion; Alexis Martin était absent. Par mesure d'indulgence et pour sanctionner une première désobéissance, l'amende infligée à chacun ne fut que de cinq livres. Après cette décision, l'échevin harangua l'assemblée; il déclara que c'était réellement "le grand profit et avantage" des associés des deux fruitières de n'en former qu'une seule, et d'édifier un chalet en raison de la petitesse des cuisines et des cheminées. Malgré quelque opposition, il en fut ainsi décidé, mais en raison du nombre des absents, on ne peut fixer l'emplacement du chalet; une nouvelle réunion était nécessaire. En attendant la construction, il serait pris les arrangements qui paraîtraient bons.

Que se passa-t-il ensuite ? On l'ignore. Les archives de l'intendance sont muettes, parce que sans doute, ni le subdélégué de Poligny, ni l'intendant lui-même ne durent intervenir à nouveau. Leur influence salutaire avait rétabli la paix.


menuLes Fruitières

En appendice "F" de son "Villages comtois sous la révolution et l'empire", le père DOUDIER donne un tableau des quantités de fromages fabriqués chaque année pour la répartition du sel ordinaire dans la communauté des Foncines (document daté du 19 décembre 1793). parmi les fruitières citées, 6 sont de Foncine le Bas.

Fruitières de gros fromages
 
Fromages
"Serat" en livres
Chez DAYT
8000
2666
Pres la cure du bas
4200
1400
Sur le Moulin
4000
1333
Vers le lac
6000
2000
Fruitières de petits fromages
Grange à l'Olive
2200
6734
Les Serrettes
1800
600

Selon Suzanne DAVEAU (mais cela s'appliquait il à toutes les fruitières ?) les fruitières ne fonctionnent que pendant l'été car les vaches ne donnent alors que bien peu de lait l'hiver. On affirme en l'an VIII, que "au 18 octobre toutes les associations sont dissoutes".

Le lait d'hiver servait à la consommation familiale, complètant les maigres repas des montagnards. "Ils ne vivent que de pain d'orge, de laitage et d'un peu de lard". L'excédent était transformé en petits fromages de fabrication familiale, les tomes.


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