Des
Fonciniers en Savoie
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René Favre,
membre de la commission du patrimoine de la commune de Massongy (74),
a lu "Les Comtois dans la tourmente" du père
Doudier, avec d'autant plus d'intérêt que lui aussi
fait des recherches sur l'immigration des fonciniers vers son village
au cours de la guerre de dix ans. Ce sont quinze familles bourguignonnes,
dont beaucoup de Foncine, qui s'y sont réfugiées. Elles
ont échappé aux recherches du père Doudier, et
les fonciniers seront sans doute intéressés par ce qu'écrit
René Favre. Voici copie d'un article qu'il a publié dans
la revue municipale de Massongy.
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C'est sous le ministère de Révérend Bénédict (1611 - 1644) que des habitants de l'ancien Comté de Bourgogne, appelé aujourd'hui Franche-Comté, quittent leur région en proie aux guerres, aux épidémies et à la famine, pour venir se réfugier dans les provinces voisines de Suisse ou de France, en quête d'un asile leur permettant d'échapper à une mort certaine. Nous sommes en pleine guerre de Trente ans (1618 - 1648), opposant une grande partie de l'Europe continentale à la double puissance des Habsbourg d'Autriche et d'Espagne.
Alors possession espagnole, la Franche-Comté est le passage obligé des grandes armées qui parcourent l'Europe. Elle est successivement occupée par les espagnoles, les français, les armées impériales et même par les suédois. Tous les occupants s'ingénient à la ruiner, d'une part pour assurer le ravitaillement journalier et la solde de leurs troupes, mais aussi pour éviter qu'elle ne serve de réservoir aux armées adverses. De ce fait, tous ses châteaux sont systématiquement incendiés, ses villages pillés, sa population brimée, torturée, massacrée ... Comble de malheur, une redoutable épidémie de peste sévit au cours des années 1635, 1636 et 1644, période que les historiens ont appelée "Guerre de Dix Ans" (à tord puisque ne durant en fait que huit ans). Décrivant la situation près de Champagnole, Raoul Sebile écrit : "le pauvre peuple était partout affligé de famine et de maladie qu'on le voyait périr par la campagne, à la recherche de racines qu'il mangeait, pensant se tirer de la mort". Gérard Louis, historien de la "Guerre de Dix Ans", estime de son côté, que cette "décennie" s'est soldée, en Franche-Comté, par "la disparition de 250000 habitants, soit 60% de la population de l'époque". La moitié d'entre eux a été "victime de la formidable épidémie de peste qui a ravagé la contrée entre 1635 et 1637. Sur cette pandémie sont venues se greffer la guerre, puis à partir de 1638, les crises économiques qui ont décuplé les prix frumentaires et entraîné la famine. Il y eut des scènes de nécrophagie, et une bonne dizaine de cas d'anthropophagie certfiés par les archives ...". Et il ajoute : "toute cette désolation est due aux invasions ennemies, bien sûr, mais aussi à l'abandon des terroirs par la population qui a fui la misère et s'est réfugiée à l'étranger". De fait, nombre de survivants ne doivent leur salut qu'à l'exil vers les contrées étrangères proches de France, de Suisse ou de Savoie. Les provinces septentrionales du Comté de Savoie (Chablais, Faucigny et Genevois), sont particulièrement attractives. Dans le village de Viuz En Sallaz, un hameau porte encore le nom de "Chez les Bourguignons". Et rien qu'à Massongy, selon Monseigneur L.E Piccard, c'est pas moins d'une quinzaine de familles bourguignonnes, qui s'installent entre 1620 et 1645. Le peuplement de notre paroisse, évalué alors à près de 70 feux (soit un peu plus de 400 habitants), se trouve ainsi, en l'espace de deux décennies, porté à 85 feux (un peu moins de 500 habitants), ce qui représente, tout de même un accroissement de 25%. Ces chiffres sont largement corroborés par une lecture attentive des registres d'état civil. Ainsi, parmi les bourguignons qui s'installent dans la paroisse de Massongy, plusieurs familles sont originaires des villages de Foncine le Haut et Foncine le Bas. C'est le cas de :
Tous ces gens viennent donc du village de Foncine, l'un des plus dévastés de toute la Franche-Comté. Selon Suzanne Daveau, au plus fort de l'épidémie de peste, la petite agglomération est méconnaissable. Un rapport des officiers de police y dénombre près de 20 décès et 50 familles infestées au cours du seul mois d'août 1638. La localité est "barrée", c'est à dire que l'accès en est rendu interdit au moyen de détachement de police, postés à l'entrée et à la sortie de la vallée. Viennent également de Bourgogne :
En 1644, c'est plusieurs centaines de villages bourguignons, qui, à l'image de ce qui s'est passé à Foncine, se retrouvent entièrement dépeuplés. Il faudra plus d'un siècle pour que la province de Franche-Comté se remette de cette catastrophe démographique. Et ce n'est que vers 1730 qu'elle retrouvera un chiffre de population équivalent à celui de 1620. Que sont devenues, une fois la paix revenue, après 1648 (Traité de Westphalie mettant fin à la "guerre de Trente Ans"), les populations réfugiées à l'étranger ? Il semble que la plupart de ces exilés soient retournés dans leur patrie d'origine, et que très peu d'entre eux ai fait souche dans le pays d'accueil. C'est en tout cas l'impression qui ressort, concernant ceux qui sont venus à Massongy, et dont on ne retrouve pas trace dans l'état civil. Nombreux sont même les étrangers, savoyards principalement, qui partirent à leur tour s'installer en Franche-Comté, pour "combler les vides" d'un peuplement saigné à blanc. Dans sa monographie sur la paroisse de Massongy, Mgr Piccard écrit : "Le Chablais fournit une bonne partie des émigrants parmi lesquels on trouve des Dubouloz, des Fillion, des Duchêne, des Jacquier, des Bondaz, des Durand, des Piccard, des Picut, des Mathieu etc ... Quelques-uns de ces derniers revinrent plus tard au pays de Savoie" et de citer l'exemple d'un certain sieur Michel Piccard tenant une auberge à Douvaine et né à Lons le Saunier. |