http://foncinelebas.free.fr


Qui êtes vous Monsieur Asantcheeff ?

 


C'est le titre d'un dossier de 23 pages, oeuvre de Gérard Hartmann, trouvé au cours d'une promenade sur internet.

Ce titre est suivi de ce préambule :


"Entre 1930 et 1940 , le bureau d'études "hydravions" de la firme Lioré et Olivier, alors la plus grande société de constructions aéronautiques en France, situé à Argenteuil, a imaginé et réalisé les plus beaux  hydravions  jamais construits. A sa tête un ingénieur de 30 ans choisi  pour ses compétences et ses capacités phénoménales de calcul : Paul Asantchéeff.
Ce dossier est un hommage aux milliers de russes blancs qui ont trouvé refuge en France en 1917 et qui ont apporté leur fantaisie, leur talent et leur compétence."


Les fonciniers qui se souviennent de monsieur Asantcheeff qui vivait discrètement avec sa famille sur les bords du Galaveau, se sont peut-être posé la même question. Voici la réponse de Gérard Harmann, tirée de son dossier, les parties trop techniques étant  écartées :


Jardin de Paul Asantcheeff, à Foncine le Bas, au bord du Galaveau.


Paul Asantcheeff au travail.

Paul Borissovitch Asantchéeff est né en Russie le 1er janvier 1900 à Ribinsk, une ville située à 300 km de Moscou. Son père Boris Natvéevitch Asantchéeff est propriétaire du domaine Ajérovo. Noble de longue date, il a épousé Catherine, la fille du diacre Favstovna Troïsky qui lui a donné sept enfants.


Après des études primaires brillantes, Paul passe son diplôme de fin d'études en 1916 et il reçoit une médaille d'or pour avoir obtenu la plus forte  note dans toutes les matières. Comme tous les jeunes russes de bonne famille, il parle le français et l'allemand.
Il s'inscrit ensuite à Ribinsk dans une école de commerce. En même temps, il travaille à la construction de la ligne de chemin de fer de Mourmansk avec son frère aîné, Boris et son oncle.


Paul Asantchéeff s'oriente vers une carrière d'ingénieur dans les travaux publics; Lorsque se produit la Révolution (en 1917), il étudie la construction des barrages de Saint-Pétersbourg. Avec quelques amis étudiants comme lui, il rejoint à Kiev un régiment de cavalerie "blanc" pour lutter contre les bolcheviques rouges.

La première guerre mondiale s'étend à la Russie.  Asantchéeff est mobilisé dans l'armée blanche. Au cours de l'été 1918, il est fait prisonnier par les allemands à Wunsdorf. Il y demeurera deux ans. Il travaille dans une ferme. Quand les américains contrôlent le camp où il est retenu prisonnier, il est déjà parvenu, tant bien que mal, à reprendre ses études. Il obtient un diplôme d'ajusteur-tourneur en langue allemande en 1920. Il se rend en France. Il est embauché en 1923, avec dix de ses compagnons comme ajusteur chez Renault. Il n'y reste que six mois. La société Breguet lui propose un emploi de dessinateur au bureau d'études de Villacoublay-Velizy. En 1924 il s'installe à Chaville et peut enfin correspondre avec ses parents restés en Russie. Expulsés d'Ajérovo, ces derniers vivent maintenant en Sibérie. Il leur explique qu'il a trouvé sa voie; il veut être ingénieur dans l'aéronautique.

En 1925, il quitte la société Breguet et achève ses études d'ingénieur à Nancy où il rencontre Zoïa Kabloukow, émigrée russe également, étudiante et bientôt diplômée en agronomie, qu'il épouse en 1926.

En 1930, à trente ans, Paul Asantchéeff  entre comme ingénieur en chef chez Lioré et Olivier en tant que chef de service au bureau d'études d'Argenteuil nouvellement crée. Pour être près de son travail, il s'installe avec sa famille au 72 rue Duguay à Argenteuil.  Il va y rester onze ans. Il est chargé de l'étude et de la construction des hydravions géants de transport. Son équipe comprend trente-cinq personnes, une vingtaine d'ingénieurs et quinze dessinateurs. Elle est composée de quelques "russes-blancs", comme lui  excellents mathématiciens, qui réalisent les calculs  généraux de structure, de jeunes ingénieurs pleins de talent, spécialisés dans l'aérodynamique. C'est à cette équipe qu'on doit entre 1930 et 1940 les plus beaux hydravions de la firme Lioré et Olivier.

Paul Asantchéeff va vivre l'évolution et les progrès des hydravions depuis les dix tonnes et quatre places jusqu'aux géants de l'Atlantique de soixante dix tonnes, huit moteurs, quarante passagers et trois tonnes de courrier.
 Les mouvements sociaux de 1936, les nationalisations de 1937, le transfert du montage à Antibes et des essais à Berre , la débacle de 1940, puis l'invasion de la zone libre en 1942 vont conduire à la fin des hydravions. Les derniers construits pour Air France seront hors service vers 1941 à défaut de pièces détachées. Ceux de la Marine enlevés par les allemands seront abattus par les américains.
Paul Asantchéeff, écoeuré, quitte la SNACE, nouveau nom de sa société.

Il laisse cependant une méthode de construction  qui permet de réaliser en quelques mois des travaux qui, selon les procédures classiques, demandaient deux ans. C'est pour consulter cette méthode que le grand constructeur américain Igor Sikorsky s'est déplacé en France en février 1940. Elle n'a pourtant rien de scientifique. C'est une méthode de construction plutôt pratique – voire empirique - développée pour faire face aux impératifs de l'époque. Elle est restée la "méthode Asantchéeff".

Gérard Hartmann termine son dossier par ces lignes :

"Paul Asantchéeff est décédé à 80 ans, dans l'anonymat, le 13 août 1979 à Foncine le Bas, petite localité du Jura".

Le Galaveau, à Foncine le Bas

Mais qu'a fait Paul Asantchéeff après 1942 et comment est-il arrivé à Foncine le Bas ? 

Madame Nathalie Annenkoff, sa fille et madame Asantchéeff, sa belle-fille ont bien voulu nous le dire :

Après son départ de la SNCASE,  Paul a passé quelques années comme directeur de la SNCT (fabrication de téléphones) puis a terminé sa carrière à la tête d'un bureau d'études d'aérodynamique. Il a aussi visité la France. Et c'est le Jura qu'il a choisi.

Bonlieu, Les Planches, le Frasnois, l'hôtel Michaud, puis la maison Gense à Foncine le Bas. Paul cherchait les lacs et les rivières. Son épouse  retrouvait la  nature et  la vie de son pays natal. Le village les a séduits. Un petit pré et un coteau ombragé, entre les deux le Galaveau, tantôt torrent, tantôt ruisselet, qui, en traversant ce pré, cesse brusquement de cascader, comme s'il voulait participer à la beauté de ce paradis.

Avant la construction des ponts, ce ruisseau faisait frontière entre les  deux parties du " bas de Foncine".  

Foncine, vue depuis le "Tatchet"

Chacune de ces parties - "de vent" dite "chez Jean-Jacques" et "de bize" dite "chez Dayt" - avait ses fonciniers, ses troupeaux et son chalet.

Entre elles, la guerre était permanente (voir "la guerre du lait"). mais depuis, il avait fourni au village l'énergie hydraulique, ou simplement l'eau, nécessaires à deux scieries, à un moulin, à une tannerie, à un chalet, à un maréchal ferrant, etc … Il ne  lui reste maintenant que son charme. C'était un voisin idéal pour une maison fleurie où la famille Asantchéeff a pu vivre une retraite calme et discrète.

Madame Asantchéeff, son épouse, puis Mathias son fils ont rejoint Paul au cimetière de Foncine le Bas. Ils étaient de religion orthodoxe et c'est un pope venu de Genève qui a célébré les obsèques. Seule reste maintenant dans cette jolie maison  Madame Asantchéeff, la veuve de Mathias.  

Nathalie Annenkoff, sa fille, apporte cette précision :

Asantchéeff s'écrivait avec un accent jusqu'en 1951, où un jugement du tribunal de Nancy a supprimé cet accent pour que tous les papiers officiels soient orthographiés de manière identique.


haut de page