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Une communauté jurassienne au XVIIIe siècle les Foncines

 


Suzanne Daveau a publié dans la revue de géographie de Lyon (numéro 2 de 1954), une intéressante étude sur "une communauté jurassienne au XVIIIe siècle, les Foncines". Cette communauté couvre alors, on le sait, les deux Foncines et les Planches, sauf le Châtelet et Montliboz qui relevaient de la Chaux des Crotenay. Sa population était de 2496 habitants répartis en 596 familles. Elle avait quintuplé depuis 1657, époque où elle comptait 544 habitants et 112 familles.

Voici son étude :



L'idée que l'on se fait souvent de l'industrie jurassienne, et cela sur la foi des manuels classiques les plus récents, ne correspond plus guère aujourd'hui, à la réalité. Le travail à domicile avec partage des activités entre l'agriculture et l'industrie n'existe plus aujourd'hui dans le Jura français. Des exemples en subsistent en Suisse, mais, en France, la coupure s'est faite entre agriculteurs et artisans ou ouvriers. On n'y voit plus aucun chef d'exploitation agricole consacrer une partie de son temps à des tâches artisanales. Tout a plus, quelques très rares jeunes filles ou femmes prennent-elles un peu de travail à faire à domicile. Et si des enfants d'agriculteurs, assez nombreux, vont travailler en atelier ou en usine, il y consacrent tout leur temps.

Les activités des Jurassiens se donc simplifiées à la suite d'une option soit pour l'atelier, soit pour la ferme. Deux groupes sociaux tendent à s'individualiser, qui se combattent parfois passionnément au sein des conseils municipaux. Pourtant ils sont l'un et l'autre issus de ces anciens artisans-cultivateurs ou commerçants-cultivateurs, qu'a connu autrefois le Jura.

C'est au XVIIIe siècle que ce genre de vie complexe a eu son apogée. Tous les témoignages que l'on possède en font foi, mais rares sont ceux qui permettent l'étude précise de la société de cette époque. Une source très riche de documentation est cependant fournie par les rôles d'imposition dressés dans chaque communauté, qui détaillent souvent, à la fin du XVIIIe siècle, les biens possédés par chaque chef de famille en terres et en bétail. Particulièrement intéressant du point de vue qui nous occupe ici, est le rôle d'imposition de la communauté des Foncines pour 1790 (le dernier de l'ancien régime) (Archives Jura C suppl.), qui donne à la fois la profession du chef de famille et le nombre de vaches qu'il possède. Ainsi est-il possible de doser exactement le partage des activités dans cette communauté à la fin du XVIIIe siècle.

la source de l'Ain, en juillet 2003, à sec !

Cette communauté des Foncines est située dans le premier des vals du Jura que l'on rencontre en venant des plateaux, à un endroit où le fond du val est profondément défoncé par une rivière transversale, la Saine, qui traverse en gorge l'anticlinal du NW fracturé par de petits décrochements. Aussi l'altitude est-elle ici nettement plus basse (800 mètres à Foncine le Bas, 850 mètres à Foncine le Haut) que dans les prolongement du val de part et d'autre. Au SW, le Grandvaux domine le creux des Foncines d'une centaine de mètres, et il faut monter de 150 mètres pour atteindre, à Chatelblanc, la haute vallée du Doubs. Le relief y est aussi plus morcelé, surtout vers Foncine le Bas, où convergent plusieurs petits cours d'eau.

C'est sans doute cette altitude plus basse qui explique que les Foncines aient été peuplées bien avant les régions qui les entourent. De nombreux indices font penser qu'elles étaient déjà peuplées à l'époque romaine. En tout cas elles ne furent point comprises dans les vastes terres inhabitées données au début du Moyen Age à l'abbaye de Saint-Claude. Le Grandvaux, pourvu d'un monastère dès le VIe siècle, se peupla sans doute assez tôt, mais c'est seulement au XIVe siècle que les princes de Chalons, en accord avec Saint-Claude, fondèrent Chatel-Blanc (en 1303) et tentèrent de coloniser les vastes forêts qui jusque-là, désertes, n'étaient parcourues et utilisées que par les "Fonssenier".

Ceux-ci surent se faire reconnaître, par une charte de 1372, le droit d'usage dans les forêts "à prendre dès le prioré et ville de Mothe jusu'au prioré de Grandvaux et de Fort du Plasne, et depuis Foncine jusqu'à la roche du Rizol et ce tant pour chauffer, maisonner, que pour toutes autres nécessités, même le droit d'expoigner les bois et joux pour y faire ancelles et tous autres marénages (instruments), pour les mêmes pourter et charroyer où bon leur semblera, pour en faire leur profit, moyennant toutefois la cense de 50 livres de cire". Cette cense sera payée régulièrement jusqu'en 1789.

Ces droits d'usage, qui prouvent l'ancienneté de l'installation des Fonsseniers dans la montagne, avaient pourtant été contestés en 1662 par les habitants de Chatel-Blanc. Mais les Fonsseniers sortirent vainqueurs du procès et conservèrent leurs droits d'usage dans toute l'étendue de la seigneurie de Chatel-Blanc, sauf sur les terrains communaux proches des villages de Chaux-Neuve et de Chatel-Blanc et sur 260 soitures (soit 86 ha) de bois réservés aux "particuliers possédant grange dans les bois" (voir carte 1)

Ainsi les Foncines apparaissent comme une communauté créée très anciennement, avant-poste peuplé dans le désert des joux, et échappant par là même à la domination ecclésiastique qui va marquer si fortement tout le Haut-Jura central.

Faut-il voir dans cette antiquité l'explication du régime très particulier de la propriété à Foncine où chaque hameau possède ses propres communaux dont il peut disposer comme il l'entend sans l'intervention de l'autorité municipale. Phénomène unique dans le Jura d'après Rousset. Mais cette répartition des terres est-elle vraiment antique ? Rien ne le prouve.


menuLes Foncines, communauté du Haut-Jura

C'est que l'histoire des Foncines, en conformité absolue, cette fois, avec celle des autres régions de Haut-Jura, est caractérisée par des oscillations si larges du nombre des habitants que la continuité du peuplement, et par conséquent celle du mode de propriété n'est rien moins qu'assurée.

En 1349, "année de la grande mort" la peste ravage la Franche-Comté. Foncine ne fut pas épargnée et il semble que sa population fut alors presque entièrement renouvelée par des colons venus de Suisse, du Bugey, de la Savoie comme l'indique un acte de 1373 signé des 30 chefs de famille qui composaient alors la communauté et dont l'origine (Genève, Saint-Gall, Gex, le Valais ...) est indiquée.

En 1634, le nombre des chefs de famille est passé à 101, mais bientôt les dévastations de la guerre de 10 ans s'abattent à nouveau sur le pays. La peste qui les accompagne aurait fait 200 morts à Foncine en 1638 (Munier, p. 199). Pourtant un dénombrement précis de la population, fait en 1657, compte 112 chefs de famille correspondant à 544 habitants (Arch. Doubs C 271). C'est alors que commence le grand essor démographique du Haut-Jura. En 1790, 596 chefs de famille dirigent une population de 2496 habitants. En 1806 on arrivera même au chiffre de 2695, malgré les absences probables dues aux guerres de l'empire. En 150 ans la population a quintuplé.

Comment expliquer cet accroissement prodigieux ? Par l'immigration ? le recensement de 1657 indique 2 familles étrangères, "savoyardes". C'est le seul indice que l'on possède de l'installation d'étrangers, et il est peut-être accidentel, consécutif au dépeuplement du à la guerre de 10 ans. Par une forte natalité ? le même recensement de 1657 dénombre :

11 familles sans enfant
8 familles ayant 1 enfant
15 familles ayant 2 enfants
28 familles ayant 3 enfants
44 familles ayant 4 enfants
4 familles ayant 5 enfants
2 familles ayant 6 enfants

soit quelque 224 "parents", 330 "enfants" (mais combien parmi ceux-ci, sont-ils eux-mêmes des adultes vivant sous le toit de leurs parents ?).

On peut aussi calculer que pour passer de 544 habitants en 1657 à 2695 en 1806, soit une augmentation de 2151 habitants en 149 ans, il faut, en supposant qu'il n'y ait eu ni émigration, ni immigration et que la différence entre les taux de natalité et de mortalité reste constante pendant tout ce temps, que cette différence soit égale à :

soit 10,7 pour mille.

Ce qui est très considérable, si l'on songe que le taux moyen le plus élevé de la France depuis 150 ans, en 1806-1811, n'a été que de 0.5 pour mille.

De 1770 à 1789 , les Archives du Doubs (C 172-72) donnent le tableau des naissances et des décès pour Foncine le Haut et Foncine le Bas. L'excédent total en 20 ans est de 465. La population de ces deux villages, en 1790, est approximativement de 2200. On peut donc faire le calcul :

soit 12 pour mille.

La correspondance des deux nombres obtenus est telle, malgré l'approximation des calculs, que l'on peut supposer qu'en effet, selon l'hypothèse, émigration et immigration, ou bien se balancent, ou bien sont à peu près nulles.

Et il semble bien que l'émigration ait été réellement faible. Les Fonsseniers ont en effet été mainmortables jusqu'en 1756 où le comte de watteville, baron de Foncine, signa leur affranchissement. Délivrés de cette "macule" un peu plus tôt que les sujets de l'abbaye de Saint-Claude qui attendirent leur affranchissement jusqu'à la nuit du 4 août, ils n'en durent pas moins, jusqu'en plein XVIIIe siècle résider en principe dans la maison de leurs parents pour pouvoir en hériter. La main-morte n'empêchait cependant ni les ventes, ni même l'émigration puisqu'un acte de vente daté de 1693 et portant sur un bien "consistant en maix, maison, champs, pels et pasquiers", situé à Foncine est passé entre "Jeannin Girard de Foncine", vendeur, et "Jobard de Foncine, demeurant à Poligny, vigneron", acheteur. Que le régime de la mainmorte, même si son application n'a pas été très rigoureuse, ait contribué pourtant à maintenir les habitants dans les terres inhospitalières du Haut-Jura, cela n'est pas douteux. Mais l'explication est certainement insuffisante puisque la population continue à augmenter jusqu'aux premières années du XIXe siècle.

Les pertes de l'Ain

Il est vrai qu'alors l'ingéniosité des habitants avait mis au point un système complexe de ressources qui a suffit à retenir une population croissante pendant quelques années encore (années qui coïncident, notons-le, avec guerres et révolutions, ce qui ne devait guère pousser les Jurassiens à quitter leurs tranquilles vallées pour des villes agitées et affamées).

En résumé, l'extraordinaire croissance de la population au XVIIIe siècle et l'entassement humain qui en résulte (57 hab/km² en 1806) ont pour cause vraisemblable une très forte natalité que ne compense pas, comme cela semble normal en montagne, une émigration importante. Jusqu'à quel point la mainmorte a t'elle fixé les Fonsseniers dans leurs montagnes et est-elle ainsi la cause indirecte de l'industrialisation, c'est ce qui est difficile de savoir, étant donné l'absence actuelle de toute étude détaillée de cette question obscure et compliquée.


menuLe développement de l'industrie aux Foncines

les Foncines semblent n'avoir jamais été un centre d'industrie véritablement indépendant. On ignore d'ailleurs à peu près tout de son développement industriel avant la fin du XVIIIe siècle. a charte de 1372 citée plus haut mentionne la fabrication "d"ancelles" et autres instruments et le charrois de bois pour la vente à l'extérieur. L'humaniste Gilbert Cousin dit de Foncine, au milieu du XVIe siècle, que c'est un "bourg très important et composé d'un grand nombre de maisons ... il y a 27 roues, tant de moulins que de scieries. On y fabrique des vases de bois, propres au service et à l'usage de l'homme" (Cousin, 1552).

Très vieille industrie du bois par conséquent, que continuent les modernes scieries, et qui trouvait son inépuisable source de matières premières dans les vastes joux qui enserrent le val.

C'est sans doute à l'imitation de Morez, où la première horloge fut construite en 1660, que Foncine se mit à l'horlogerie. Mais il faut attendre le rôle d'imposition de 1790 et les descriptions du Conventionnel Le Quinio qui visita Foncine en 1800, pour pouvoir, à l'aide aussi de vieux actes conservés dans les familles de Foncine, dresser un tableau à peu près exact et complet de ses activités.


menuLes Foncines à la fin du XVIIIe siècle

Le tableau des chefs de famille, qui rassemble et analyse les données fournies par le rôle de 1790, appelle tout d'abord quelques remarques.

Pour 135 chefs de famille, aucune profession n'est indiquée. Dans combien de cas s'agit-il de négligence de la part de l'employé qui confectionna le rôle ? On peut supposer que dans beaucoup de cas, il s'agit de familles n'ayant pas de profession bien définie, c'est à dire vivant d'un peu d'élevage, de rentes, de la location de leurs biens ... Dans 20 cas au moins, ces gens sans profession ont des "fermiers".

Ces derniers constituent la catégorie la plus énigmatique du rôle. Aucun d'entre eux n'est imposé pour du bétail. Dans 91 cas sur 109, ils sont cités immédiatement après un chef de famille qui, lui, possède presque toujours du bétail, et le nom du fermier est suivi de la mention "fermier dudit". Dans les autres cas, le nom du fermier est suivi de "fermier du sieur Untel". Les fermiers ne sont jamais imposés pour quelque propriété que ce soit, mais seulement, parfois pour quelques "accessoires". on serait tenté de les prendre pour des sortes de journaliers si le rôle n'attribuait ce titre à 10 personnes (dont 3 possèdent des vaches). S'agirait-il de métayage ? Celui-ci existe à la même époque dans le Jura Neuchatelois où beaucoup d'horlogers confient leurs terres à des "grangers", qui sont des fermiers partiaires. Mais les actes de location de cette époque , indiquent un prix de location fixe.

Sur 91 "fermiers" dont on sait de qui ils sont locataires, 20 le sont de gens de profession non connue, 19 le sont d'horlogers, 10 le sont de laboureurs, les autres se répartissent, par groupe de 1 à 4, entre les divers autres métiers.

les forges de Syam

Un seul domestique est imposé. C'est que la plupart d'entre eux font partie de la "famille" des imposés. En 1657 on en comptait 65 pour une population de 544 habitants, soit un sur 8 habitants.

34 personnes ont le titre de laboureur. Il est assez curieux de constater que 4 d'entre elles ne possèdent pas de vaches. Pourtant c'est, avec les notaires, la catégorie sociale la plus riche en bétail : 6,2 vaches par laboureur, en moyenne. Selon Le Quinio, Foncine le Bas et Foncine le Haut "sont tous deux à peu près également nuls par leurs produits agricoles". Il s'apitoie aussi sur l'aspect des forêts, citant "une montagne pelée" (le Bayard) qui "fut autrefois couverte de bois", mais "les bestiaux en ont dévoré plusieurs fois les renaissances et le bois à totalement péri". Il est vrai qu'il avait admiré, entre les Planches et Foncine "un bois de hêtre en futaie". Peut-être le conventionnel breton est-il trop sévère dans son jugement. Il s'agit d'un mode d'exploitation du sol si différent de celui auquel il est habitué ! Et puis toutes ses admirations vont à l'industrie : il est tentant alors d'exagérer la misère naturelle du pays, "l'ingéniosité" des habitants n'en ressortira que mieux !

L'élevage ne semble pas si médiocre, si l'on songe qu'au lieu de 24 vaches au km², comme en 1790, c'est 10 seulement qu'on trouve en 1944 (mais les 2 périodes sont-elles comparables du point de vue de la crainte des réquisitions et de la sincérité des déclarations ?).

Surtout, Foncine a une production excédentaire de foin. En 1776, Chaux-Neuve se plaint de ce que "le produit des fromages, seul revenu de l'endroit, est presque absorbé par l'achat des fourrages qu'on tire des territoires de Mouthe, Foncine, Bellefontaine, et ... par le prix de l'hivernage du bétail qu'on y met ..." (Rôle d'imposition, Arch. Jura C suppl.). Ce contraste entre Foncine et Chaux Neuve s'explique aisément : le val se rétrécit beaucoup vers l'est et avec lui les prés de fauche, tandis que les étendues pâturables croissent démesurément dans la seigneurie de Chatel-Blanc. Aussi Foncine peut-elle hiverner plus de bêtes qu'elle n'en peut estiver et inversement.

En 1784, Badoz de Foncine déclare avoir vendu à Gilliard de Chaux-Neuve "tous les foins, paille et même toute la feuille de frêne qui sont présentement logés dans la maison à moi ... appartenent ... à charge par Gilliard de faire consommer toute la récolte par son bétail d'ici au 6 mai prochain ... à charge pour moi de fournir à Gilliard la location de ma maison communément avec moi pour loger et chauffer la personne qui gouvernera le bétail ...lequel bétail sera logé dans les écuries de Badoz sans que Gilliard puisse distraire aucun fourrage". Dans ce texte, et dans d'autres analogues, on note les précautions prises pour que le fumier reste sur les terres qui ont produit le foin. Dans les baux de fermage, se manifeste un souci semblable d'entretien des terres.

Voici par exemple, en 1776, une location qui se fait "à charge par le retenant de bien et duement tenir, soigner, cultiver, labourer, maltrasser (fumer), éparoyer (épierrer), remener les terres et molard, le tout à la coutume de ce lieu de Foncine. Les barres qui servent à enclore les héritages seront laissées au retenant ... à condition que le retenant les rendra d'égale valeur et bonté à sa sortie ...". En 1759,, un autre bail fait par un certain Michaud, horloger de Foncine, précise que le locataire devra "gouverner les héritages à la coutume du lieu ... sans les pouvoirs changer de nature, écorcher ni brûler, si ce n'est dans deux pièces de terre ... qu'il pourra écorcher et brûler convenablement sans cependant en pouvoir ouvrir aucun endroit plus qu'il n'en pourra fumer après deux semences".

Rousset indique que les anciennes fruitières furent abandonnées après les guerres du XVIIe siècle. La première aurait été rétablie à Foncine le Bas en 1747, et remplacée par deux autres en 1763. Les 14 fruitiers que mentionne le rôle (dont un "surnuméraire"), permettent de penser que le nombre de fruitières s'était rapidement accru vers la fin du siècle. En 1855 on compte 4 chalets à Foncine le Bas, 10 à Foncine le Haut, 1 aux Planches.

pertes de l'Ain (juillet 2003)

En résumé, exploitation du sol soigneuse, soucieuse de l'entretien des terres, tournées vers la production de foin pour les bêtes du pays et la vente dans la seigneurie de Châtel-Blanc, beaucoup plus que vers la culture, production de fromage dans de multiples petites fruitières installées dans les nombreux hameaux, mais exploitation quelque peu désordonnée des forêts, tant pour le pâturages du bétail que pour l'industrie.

217 artisans ! Cela représente plus du tiers de la population (et aussi plus du tiers des vaches possédées). Que les professions sont diverses ! Outre les fruitiers, 3 tanneurs, 10 relieurs et 9 cordonniers travaillent les produits d'élevage. Le Quinio remarquait en 1800 à la sortie de la messe à Foncine le Haut, les magnifiques livres d'heures reliés dont les jeunes filles n'étaient pas peu fières. Plus importante encore sont les industries dérivées du bois : Un "marchand de poix" permet de deviner qu'on tire encore la résine des "fuves" (épicéas), comme à l'époque lointaine où les "fourgs" à poix fonctionnaient dans les forêts encore désertes, fours qui devaient laisser leur nom à tant de lieux-dits jurassiens, 5 tourneurs, 5 charrons, 7 boîtiers, 8 charpentiers, 10 menuisiers, 10 tonneliers, 34 couvreurs (on couvrait les toits de fins tavaillons ou de gros ancelles de bois, comme l'indique un bail de 1776 qui impose au retenant la fourniture de "un demi-millier de gros ancelles annuellement ... au devant à la maison sy laissé pour l'entretien d'icelle").

Cette abondance d'artisans aurait de quoi étonner si Le Quinio (p. 134) ne nous apprenait pas que ce sont des artisans ambulants. "Deux genres particuliers d'industrie ... donnent lieu tous les ans à des émigrations réglées, ce sont l'art du couvreur et celui du tonnelier. Les couvreurs se répandent à la belle saison dans la montagne et ne rentrent qu'au moment où le froid les oblige à quitter leur haut et glacial atelier. Les tonneliers descendent les uns dans le pays de Vaud, les autres dans le vignoble du Jura et des départements voisins; ils ne s'occupent presqu'exclusivement qu'à relier les tonneaux et, quand le jus précieux qui doit les remplir est exprimé, vous les voyez remonter". Voici deux émigrations d'été. Et cependant couvreurs et tonneliers possèdent des vaches, peu il est vrai (1,6 et 1,2 en moyenne). L'agriculture est donc ici complètement négligée, confiée à la famille, au profit du métier artisanal.

Le Quinio parle encore de la "lecterie en bois de hêtre" (layeterie), d'un moulin "mu par le courant de la Saine qui scie la planche à deux lignes au plus d'épaisseur", des échalas de sapins qui "se vendent au pays de Vaud".

L'industrie essentielle est certainement l'horlogerie : 76 chefs de famille sen occupent, qui possèdent en moyenne près de 3 vaches (2,85). Le Quinio nous dit qu'on travaille "l'horlogerie en gros et en menu. A Foncine le Bas, on trouve de plus une fabrique de cadrans en émail pour les pendules et pour les montres". Nous n'avons malheureusement pas d'autres renseignements sur cette branche d'industrie, rien en particulier, sur l'organisation sociale, ni sur les relations avec Morez, sur le commerce ...

Les autres artisans, les commerçants satisfont sans doute aux besoins du pays. Pourtant les 9 "marchands", les 7 voituriers, le "multier", devaient sen aller au loin vendre le bois, le fromage, les grandes horloges ..., tous les produits de 'industrie des Fonsseniers. Nous avons déjà eu connaissance de relations avec le vignoble jurassien, avec le Pays de Vaud et sans doute, à l'instar des Grandvalliers, leurs voisins, les Fonsseniers poussaient-ils leurs voyages beaucoup plus loin, dans toute la France.

le pont de Syam

Y avait-il donc des routes aux Foncine ? Les cartes de l'époque n'en montrent guère. La carte de Cassini ou la carte annexée au volume de Le Quinio n'indiquent qu'une route dans la région, celle qui par Saint-Laurent, Morez, Les Rousses, mène au col de Saint-Cergues. Seule, une "Carte itinéraire de la généralité de Besançon" dressée en 1788, indique une route qui, venant de Champagnole atteint le "Bas de Foncine". Mais les routes officielles n'étaient pas nécessaires aux longues voitures à quatre roues des Jurassiens. Le Quinio décrit la "grande route" qui mène des Planches à Foncine. "A une demi lieue des Planches, dit-il, le grand chemin se reploie par un angle aigu pour décrire une sinuosité qui adoucit l'ascension". Du côté de la montagne, vers la Suisse, il était bien facile aussi de passer. En 1816 (Arch. Aff. Etr.) On compte, sur le seul territoire de Châtel-Blanc et Chaux-Neuve trois chemins traversant la frontière. Ils sont, à la vérité, "mauvais" et seulement "praticables aux charrettes du pays", mais ils suffisent tels quels aux relations ...plus ou moins honnêtes avec la Suisse. Le Quinio n'indique t'il pas que "en favorisant le commerce interlope, le voisinage de la Suisse a contribué puissamment à la fortune des habitants". Les activités multiples des Fonsseniers ont-elles suffi à les enrichir, ou au moins à leur permettre une vie décente ? "L'industrie, le travail et le commerce" ont-ils, comme l'affirme Le Quinio "substitué la richesse produite péniblement par l'art, à celle dont la nature a si généreusement partagé de plus fortunés climats" ? Lui-même, décrivant le village des Planches, indique que "quoique le village soit fort petit, on y voit quelques maisons très bien bâties, on y trouve quelques familles opulentes". Les notaires, avocats, médecins, une partie des sans professions, forment sans doute un noyau de bourgeoisie dont l'aisance se marque d'ailleurs non pas par un détachement de l'agriculture, mais au contraire par un bétail bien fourni (6,2 - 4,3 et 2 vaches en moyenne). La dot d'Anne Françoise Berthet Mantenet qui épouse en 1793 Ignace Ducez, charpentier, ne semble pas dénoter la pauvreté. Anne Françoise apporte "133 livres, 2 paires d'habits de drap de marchand tout à neuf, un troussel complet de 4 chemises, 4 couvrechefs, 4 tabliés et 4 mouchoirs de col, une couverte à trapointe, 2 linceuls et une toille de coussin, des rideaux de Bergame, un coffre de bois dur et un petit de sapin ferré et fermant à clef, douze chemises, onze tabliés, six mouchoirs de col et six couvrechefs, une paillasse de deux draps, trois serviettes, une nappe et seize bonnets assortis de bande de dentelle".


menuDécadence

L'activité des Fonsseniers, comme leur nombre, a décru peu à peu au cours du XIXe siècle. Vers 1855, Rousset décrit encore les mêmes activités, auxquelles il ajoute une émigration des "jeunes gens des deux sexes, les filles surtout ... pour être domestiques à Lyon ou à Paris ou instituteurs primaires dans le département". Le pays commence à laisser partir ses habitants. Il résistera mal au passage nécessaire du travail à domicile au travail en atelier. Après avoir abandonné l'horlogerie pour la lunetterie, toujours sous l'influence de Morez, il verra les ateliers se fermer les uns après les autres, obligeant les ouvriers à partir vers Morez, souvent, ou vers les grandes villes. L'élevage lui même diminue, les fermes sont abandonnées une à une. Un peu de tourisme, qui fut longtemps retardé avec méfiance par les habitants trop fiers pour ce métier de "serviteurs", n'apporte un peu d'animation qu'en été. La décadence du val est lente, il a fallu 150 ans pour que la population diminue de moitié, mais à la différence de bien d'autres pays, où elle fut soudaine, elle ne parait pas achevée. Vente d'usine, abandon de ferme, se produisent encore chaque année. Ce pays favorisé autrefois par son altitude relativement basse, montre peut-être, aujourd'hui, moins de résistance, moins de faculté d'adaptation que telles hautes vallées qui l'entourent. Son isolement à l'écart des grandes routes et des grandes voies ferrées explique pour partie cette décadence, mais pour partie seulement, comme le suggère le graphique de population de Bois-d'Amont qui, beaucoup plus mal placé encore, a su conserver cependant son industrie.

Foncine le Bas (vue du clocher)


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