L'idée
que l'on se fait souvent de l'industrie jurassienne, et cela sur la
foi des manuels classiques les plus récents, ne correspond plus
guère aujourd'hui, à la réalité. Le travail
à domicile avec partage des activités entre l'agriculture
et l'industrie n'existe plus aujourd'hui dans le Jura français.
Des exemples en subsistent en Suisse, mais, en France, la coupure s'est
faite entre agriculteurs et artisans ou ouvriers. On n'y voit plus aucun
chef d'exploitation agricole consacrer une partie de son temps à
des tâches artisanales. Tout a plus, quelques très rares
jeunes filles ou femmes prennent-elles un peu de travail à faire
à domicile. Et si des enfants d'agriculteurs, assez nombreux,
vont travailler en atelier ou en usine, il y consacrent tout leur temps.
Les activités des Jurassiens
se donc simplifiées à la suite d'une option soit pour
l'atelier, soit pour la ferme. Deux groupes sociaux tendent à
s'individualiser, qui se combattent parfois passionnément au
sein des conseils municipaux. Pourtant ils sont l'un et l'autre issus
de ces anciens artisans-cultivateurs ou commerçants-cultivateurs,
qu'a connu autrefois le Jura.
C'est au XVIIIe siècle que ce
genre de vie complexe a eu son apogée. Tous les témoignages
que l'on possède en font foi, mais rares sont ceux qui permettent
l'étude précise de la société de cette époque.
Une source très riche de documentation est cependant fournie
par les rôles d'imposition dressés dans chaque communauté,
qui détaillent souvent, à la fin du XVIIIe siècle,
les biens possédés par chaque chef de famille en terres
et en bétail. Particulièrement intéressant du point
de vue qui nous occupe ici, est le rôle d'imposition de la communauté
des Foncines pour 1790 (le dernier de l'ancien régime) (Archives
Jura C suppl.), qui donne à la fois la profession du chef de
famille et le nombre de vaches qu'il possède. Ainsi est-il possible
de doser exactement le partage des activités dans cette communauté
à la fin du XVIIIe siècle.
Cette communauté des Foncines
est située dans le premier des vals du Jura que l'on rencontre
en venant des plateaux, à un endroit où le fond du val
est profondément défoncé par une rivière
transversale, la Saine, qui traverse en gorge l'anticlinal du NW fracturé
par de petits décrochements. Aussi l'altitude est-elle ici nettement
plus basse (800 mètres à Foncine le Bas, 850 mètres
à Foncine le Haut) que dans les prolongement du val de part et
d'autre. Au SW, le Grandvaux domine le creux des Foncines d'une centaine
de mètres, et il faut monter de 150 mètres pour atteindre,
à Chatelblanc, la haute vallée du Doubs. Le relief y est
aussi plus morcelé, surtout vers Foncine le Bas, où convergent
plusieurs petits cours d'eau.
C'est sans doute cette altitude plus
basse qui explique que les Foncines aient été peuplées
bien avant les régions qui les entourent. De nombreux indices
font penser qu'elles étaient déjà peuplées
à l'époque romaine. En tout cas elles ne furent point
comprises dans les vastes terres inhabitées données au
début du Moyen Age à l'abbaye de Saint-Claude. Le Grandvaux,
pourvu d'un monastère dès le VIe siècle, se peupla
sans doute assez tôt, mais c'est seulement au XIVe siècle
que les princes de Chalons, en accord avec Saint-Claude, fondèrent
Chatel-Blanc (en 1303) et tentèrent de coloniser les vastes forêts
qui jusque-là, désertes, n'étaient parcourues et
utilisées que par les "Fonssenier".
Ceux-ci surent se faire reconnaître,
par une charte de 1372, le droit d'usage dans les forêts "à
prendre dès le prioré et ville de Mothe jusu'au prioré
de Grandvaux et de Fort du Plasne, et depuis Foncine jusqu'à
la roche du Rizol et ce tant pour chauffer, maisonner, que pour toutes
autres nécessités, même le droit d'expoigner les
bois et joux pour y faire ancelles et tous autres marénages (instruments),
pour les mêmes pourter et charroyer où bon leur semblera,
pour en faire leur profit, moyennant toutefois la cense de 50 livres
de cire". Cette cense sera payée régulièrement
jusqu'en 1789.
Ces droits d'usage, qui prouvent l'ancienneté
de l'installation des Fonsseniers dans la montagne, avaient pourtant
été contestés en 1662 par les habitants de Chatel-Blanc.
Mais les Fonsseniers sortirent vainqueurs du procès et conservèrent
leurs droits d'usage dans toute l'étendue de la seigneurie de
Chatel-Blanc, sauf sur les terrains communaux proches des villages de
Chaux-Neuve et de Chatel-Blanc et sur 260 soitures (soit 86 ha) de bois
réservés aux "particuliers possédant grange
dans les bois" (voir carte 1)
Ainsi les Foncines apparaissent comme
une communauté créée très anciennement,
avant-poste peuplé dans le désert des joux, et échappant
par là même à la domination ecclésiastique
qui va marquer si fortement tout le Haut-Jura central.
Faut-il voir dans cette antiquité
l'explication du régime très particulier de la propriété
à Foncine où chaque hameau possède ses propres
communaux dont il peut disposer comme il l'entend sans l'intervention
de l'autorité municipale. Phénomène unique dans
le Jura d'après Rousset. Mais cette répartition des terres
est-elle vraiment antique ? Rien ne le prouve.
Les
Foncines, communauté du Haut-Jura
C'est que l'histoire des Foncines, en
conformité absolue, cette fois, avec celle des autres régions
de Haut-Jura, est caractérisée par des oscillations si
larges du nombre des habitants que la continuité du peuplement,
et par conséquent celle du mode de propriété n'est
rien moins qu'assurée.
En 1349, "année de la grande
mort" la peste ravage la Franche-Comté. Foncine ne fut pas
épargnée et il semble que sa population fut alors presque
entièrement renouvelée par des colons venus de Suisse,
du Bugey, de la Savoie comme l'indique un acte de 1373 signé
des 30 chefs de famille qui composaient alors la communauté et
dont l'origine (Genève, Saint-Gall, Gex, le Valais ...) est indiquée.
En 1634, le nombre des chefs de famille
est passé à 101, mais bientôt les dévastations
de la guerre de 10 ans s'abattent à nouveau sur le pays. La peste
qui les accompagne aurait fait 200 morts à Foncine en 1638 (Munier,
p. 199). Pourtant un dénombrement précis de la population,
fait en 1657, compte 112 chefs de famille correspondant à 544
habitants (Arch. Doubs C 271). C'est alors que commence le grand essor
démographique du Haut-Jura. En 1790, 596 chefs de famille dirigent
une population de 2496 habitants. En 1806 on arrivera même au
chiffre de 2695, malgré les absences probables dues aux guerres
de l'empire. En 150 ans la population a quintuplé.
Comment expliquer cet accroissement
prodigieux ? Par l'immigration ? le recensement de 1657 indique 2 familles
étrangères, "savoyardes". C'est le seul indice
que l'on possède de l'installation d'étrangers, et il
est peut-être accidentel, consécutif au dépeuplement
du à la guerre de 10 ans. Par une forte natalité ? le
même recensement de 1657 dénombre :
11
familles sans enfant |
8
familles ayant 1 enfant |
15
familles ayant 2 enfants |
28
familles ayant 3 enfants |
44
familles ayant 4 enfants |
4
familles ayant 5 enfants |
2
familles ayant 6 enfants |
soit quelque 224 "parents",
330 "enfants" (mais combien parmi ceux-ci, sont-ils eux-mêmes
des adultes vivant sous le toit de leurs parents ?).
On peut aussi calculer que pour passer
de 544 habitants en 1657 à 2695 en 1806, soit une augmentation
de 2151 habitants en 149 ans, il faut, en supposant qu'il n'y ait eu
ni émigration, ni immigration et que la différence entre
les taux de natalité et de mortalité reste constante pendant
tout ce temps, que cette différence soit égale à
:
soit 10,7 pour mille.
Ce qui est très considérable,
si l'on songe que le taux moyen le plus élevé de la France
depuis 150 ans, en 1806-1811, n'a été que de 0.5 pour
mille.
De 1770 à 1789 , les Archives
du Doubs (C 172-72) donnent le tableau des naissances et des décès
pour Foncine le Haut et Foncine le Bas. L'excédent total en 20
ans est de 465. La population de ces deux villages, en 1790, est approximativement
de 2200. On peut donc faire le calcul :
soit 12 pour mille.
La correspondance des deux nombres obtenus
est telle, malgré l'approximation des calculs, que l'on peut
supposer qu'en effet, selon l'hypothèse, émigration et
immigration, ou bien se balancent, ou bien sont à peu près
nulles.
Et il semble bien que l'émigration
ait été réellement faible. Les Fonsseniers ont
en effet été mainmortables jusqu'en 1756 où le
comte de watteville, baron de Foncine, signa leur affranchissement.
Délivrés de cette "macule" un peu plus
tôt que les sujets de l'abbaye de Saint-Claude qui attendirent
leur affranchissement jusqu'à la nuit du 4 août, ils n'en
durent pas moins, jusqu'en plein XVIIIe siècle résider
en principe dans la maison de leurs parents pour pouvoir en hériter.
La main-morte n'empêchait cependant ni les ventes, ni même
l'émigration puisqu'un acte de vente daté de 1693 et portant
sur un bien "consistant en maix, maison, champs, pels et pasquiers",
situé à Foncine est passé entre "Jeannin
Girard de Foncine", vendeur, et "Jobard de Foncine,
demeurant à Poligny, vigneron", acheteur. Que le régime
de la mainmorte, même si son application n'a pas été
très rigoureuse, ait contribué pourtant à maintenir
les habitants dans les terres inhospitalières du Haut-Jura, cela
n'est pas douteux. Mais l'explication est certainement insuffisante
puisque la population continue à augmenter jusqu'aux premières
années du XIXe siècle.
Il est vrai qu'alors l'ingéniosité
des habitants avait mis au point un système complexe de ressources
qui a suffit à retenir une population croissante pendant quelques
années encore (années qui coïncident, notons-le,
avec guerres et révolutions, ce qui ne devait guère pousser
les Jurassiens à quitter leurs tranquilles vallées pour
des villes agitées et affamées).
En résumé, l'extraordinaire
croissance de la population au XVIIIe siècle et l'entassement
humain qui en résulte (57 hab/km² en 1806) ont pour cause
vraisemblable une très forte natalité que ne compense
pas, comme cela semble normal en montagne, une émigration importante.
Jusqu'à quel point la mainmorte a t'elle fixé les Fonsseniers
dans leurs montagnes et est-elle ainsi la cause indirecte de l'industrialisation,
c'est ce qui est difficile de savoir, étant donné l'absence
actuelle de toute étude détaillée de cette question
obscure et compliquée.
Le
développement de l'industrie aux Foncines
les Foncines semblent n'avoir jamais
été un centre d'industrie véritablement indépendant.
On ignore d'ailleurs à peu près tout de son développement
industriel avant la fin du XVIIIe siècle. a charte de 1372 citée
plus haut mentionne la fabrication "d"ancelles" et autres
instruments et le charrois de bois pour la vente à l'extérieur.
L'humaniste Gilbert Cousin dit de Foncine, au milieu du XVIe siècle,
que c'est un "bourg très important et composé
d'un grand nombre de maisons ... il y a 27 roues, tant de moulins que
de scieries. On y fabrique des vases de bois, propres au service et
à l'usage de l'homme" (Cousin, 1552).
Très vieille industrie du bois
par conséquent, que continuent les modernes scieries, et qui
trouvait son inépuisable source de matières premières
dans les vastes joux qui enserrent le val.
C'est sans doute à l'imitation
de Morez, où la première horloge fut construite en 1660,
que Foncine se mit à l'horlogerie. Mais il faut attendre le rôle
d'imposition de 1790 et les descriptions du Conventionnel Le Quinio
qui visita Foncine en 1800, pour pouvoir, à l'aide aussi de vieux
actes conservés dans les familles de Foncine, dresser un tableau
à peu près exact et complet de ses activités.
Les
Foncines à la fin du XVIIIe siècle
Le tableau des chefs de famille, qui
rassemble et analyse les données fournies par le rôle de
1790, appelle tout d'abord quelques remarques.
Pour 135 chefs de famille, aucune profession
n'est indiquée. Dans combien de cas s'agit-il de négligence
de la part de l'employé qui confectionna le rôle ? On peut
supposer que dans beaucoup de cas, il s'agit de familles n'ayant pas
de profession bien définie, c'est à dire vivant d'un peu
d'élevage, de rentes, de la location de leurs biens ... Dans
20 cas au moins, ces gens sans profession ont des "fermiers".
Ces derniers constituent la catégorie
la plus énigmatique du rôle. Aucun d'entre eux n'est imposé
pour du bétail. Dans 91 cas sur 109, ils sont cités immédiatement
après un chef de famille qui, lui, possède presque toujours
du bétail, et le nom du fermier est suivi de la mention "fermier
dudit". Dans les autres cas, le nom du fermier est suivi de
"fermier du sieur Untel". Les fermiers ne sont jamais
imposés pour quelque propriété que ce soit, mais
seulement, parfois pour quelques "accessoires". on
serait tenté de les prendre pour des sortes de journaliers si
le rôle n'attribuait ce titre à 10 personnes (dont 3 possèdent
des vaches). S'agirait-il de métayage ? Celui-ci existe à
la même époque dans le Jura Neuchatelois où beaucoup
d'horlogers confient leurs terres à des "grangers",
qui sont des fermiers partiaires. Mais les actes de location de cette
époque , indiquent un prix de location fixe.
Sur 91 "fermiers" dont on
sait de qui ils sont locataires, 20 le sont de gens de profession non
connue, 19 le sont d'horlogers, 10 le sont de laboureurs, les autres
se répartissent, par groupe de 1 à 4, entre les divers
autres métiers.
Un seul domestique est imposé.
C'est que la plupart d'entre eux font partie de la "famille"
des imposés. En 1657 on en comptait 65 pour une population de
544 habitants, soit un sur 8 habitants.
34 personnes ont le titre de laboureur.
Il est assez curieux de constater que 4 d'entre elles ne possèdent
pas de vaches. Pourtant c'est, avec les notaires, la catégorie
sociale la plus riche en bétail : 6,2 vaches par laboureur, en
moyenne. Selon Le Quinio, Foncine le Bas et Foncine le Haut "sont
tous deux à peu près également nuls par leurs produits
agricoles". Il s'apitoie aussi sur l'aspect des forêts,
citant "une montagne pelée" (le Bayard) qui
"fut autrefois couverte de bois", mais "les
bestiaux en ont dévoré plusieurs fois les renaissances
et le bois à totalement péri". Il est vrai qu'il
avait admiré, entre les Planches et Foncine "un bois
de hêtre en futaie". Peut-être le conventionnel
breton est-il trop sévère dans son jugement. Il s'agit
d'un mode d'exploitation du sol si différent de celui auquel
il est habitué ! Et puis toutes ses admirations vont à
l'industrie : il est tentant alors d'exagérer la misère
naturelle du pays, "l'ingéniosité" des habitants
n'en ressortira que mieux !
L'élevage ne semble pas si médiocre,
si l'on songe qu'au lieu de 24 vaches au km², comme en 1790, c'est
10 seulement qu'on trouve en 1944 (mais les 2 périodes sont-elles
comparables du point de vue de la crainte des réquisitions et
de la sincérité des déclarations ?).
Surtout, Foncine a une production excédentaire
de foin. En 1776, Chaux-Neuve se plaint de ce que "le produit
des fromages, seul revenu de l'endroit, est presque absorbé par
l'achat des fourrages qu'on tire des territoires de Mouthe, Foncine,
Bellefontaine, et ... par le prix de l'hivernage du bétail qu'on
y met ..." (Rôle d'imposition, Arch. Jura C suppl.).
Ce contraste entre Foncine et Chaux Neuve s'explique aisément
: le val se rétrécit beaucoup vers l'est et avec lui les
prés de fauche, tandis que les étendues pâturables
croissent démesurément dans la seigneurie de Chatel-Blanc.
Aussi Foncine peut-elle hiverner plus de bêtes qu'elle n'en peut
estiver et inversement.
En 1784, Badoz de Foncine déclare
avoir vendu à Gilliard de Chaux-Neuve "tous les foins,
paille et même toute la feuille de frêne qui sont présentement
logés dans la maison à moi ... appartenent ... à
charge par Gilliard de faire consommer toute la récolte par son
bétail d'ici au 6 mai prochain ... à charge pour moi de
fournir à Gilliard la location de ma maison communément
avec moi pour loger et chauffer la personne qui gouvernera le bétail
...lequel bétail sera logé dans les écuries de
Badoz sans que Gilliard puisse distraire aucun fourrage". Dans
ce texte, et dans d'autres analogues, on note les précautions
prises pour que le fumier reste sur les terres qui ont produit le foin.
Dans les baux de fermage, se manifeste un souci semblable d'entretien
des terres.
Voici par exemple, en 1776, une location
qui se fait "à charge par le retenant de bien et duement
tenir, soigner, cultiver, labourer, maltrasser (fumer), éparoyer (épierrer), remener les terres et molard, le tout à
la coutume de ce lieu de Foncine. Les barres qui servent à enclore
les héritages seront laissées au retenant ... à
condition que le retenant les rendra d'égale valeur et bonté
à sa sortie ...". En 1759,, un autre bail fait par un
certain Michaud, horloger de Foncine, précise que le locataire
devra "gouverner les héritages à la coutume du
lieu ... sans les pouvoirs changer de nature, écorcher ni brûler,
si ce n'est dans deux pièces de terre ... qu'il pourra écorcher
et brûler convenablement sans cependant en pouvoir ouvrir aucun
endroit plus qu'il n'en pourra fumer après deux semences".
Rousset indique que les anciennes fruitières
furent abandonnées après les guerres du XVIIe siècle.
La première aurait été rétablie à
Foncine le Bas en 1747, et remplacée par deux autres en 1763.
Les 14 fruitiers que mentionne le rôle (dont un "surnuméraire"),
permettent de penser que le nombre de fruitières s'était
rapidement accru vers la fin du siècle. En 1855 on compte 4 chalets
à Foncine le Bas, 10 à Foncine le Haut, 1 aux Planches.
En résumé, exploitation
du sol soigneuse, soucieuse de l'entretien des terres, tournées
vers la production de foin pour les bêtes du pays et la vente
dans la seigneurie de Châtel-Blanc, beaucoup plus que vers la
culture, production de fromage dans de multiples petites fruitières
installées dans les nombreux hameaux, mais exploitation quelque
peu désordonnée des forêts, tant pour le pâturages
du bétail que pour l'industrie.
217 artisans ! Cela représente
plus du tiers de la population (et aussi plus du tiers des vaches possédées).
Que les professions sont diverses ! Outre les fruitiers, 3 tanneurs,
10 relieurs et 9 cordonniers travaillent les produits d'élevage.
Le Quinio remarquait en 1800 à la sortie de la messe à
Foncine le Haut, les magnifiques livres d'heures reliés dont
les jeunes filles n'étaient pas peu fières. Plus importante
encore sont les industries dérivées du bois : Un "marchand
de poix" permet de deviner qu'on tire encore la résine des
"fuves" (épicéas), comme à l'époque
lointaine où les "fourgs" à poix fonctionnaient
dans les forêts encore désertes, fours qui devaient laisser
leur nom à tant de lieux-dits jurassiens, 5 tourneurs, 5 charrons,
7 boîtiers, 8 charpentiers, 10 menuisiers, 10 tonneliers, 34 couvreurs
(on couvrait les toits de fins tavaillons ou de gros ancelles de bois,
comme l'indique un bail de 1776 qui impose au retenant la fourniture
de "un demi-millier de gros ancelles annuellement ... au devant
à la maison sy laissé pour l'entretien d'icelle").
Cette abondance d'artisans aurait de
quoi étonner si Le Quinio (p. 134) ne nous apprenait pas que
ce sont des artisans ambulants. "Deux genres particuliers d'industrie
... donnent lieu tous les ans à des émigrations réglées,
ce sont l'art du couvreur et celui du tonnelier. Les couvreurs se répandent
à la belle saison dans la montagne et ne rentrent qu'au moment
où le froid les oblige à quitter leur haut et glacial
atelier. Les tonneliers descendent les uns dans le pays de Vaud, les
autres dans le vignoble du Jura et des départements voisins;
ils ne s'occupent presqu'exclusivement qu'à relier les tonneaux
et, quand le jus précieux qui doit les remplir est exprimé,
vous les voyez remonter". Voici deux émigrations d'été.
Et cependant couvreurs et tonneliers possèdent des vaches, peu
il est vrai (1,6 et 1,2 en moyenne). L'agriculture est donc ici complètement
négligée, confiée à la famille, au profit
du métier artisanal.
Le Quinio parle encore de la "lecterie
en bois de hêtre" (layeterie), d'un moulin "mu
par le courant de la Saine qui scie la planche à deux lignes
au plus d'épaisseur", des échalas de sapins qui
"se vendent au pays de Vaud".
L'industrie essentielle est certainement
l'horlogerie : 76 chefs de famille sen occupent, qui possèdent
en moyenne près de 3 vaches (2,85). Le Quinio nous dit qu'on
travaille "l'horlogerie en gros et en menu. A Foncine le Bas,
on trouve de plus une fabrique de cadrans en émail pour les pendules
et pour les montres". Nous n'avons malheureusement pas d'autres
renseignements sur cette branche d'industrie, rien en particulier, sur
l'organisation sociale, ni sur les relations avec Morez, sur le commerce
...
Les autres artisans, les commerçants
satisfont sans doute aux besoins du pays. Pourtant les 9 "marchands",
les 7 voituriers, le "multier", devaient sen aller au loin
vendre le bois, le fromage, les grandes horloges ..., tous les produits
de 'industrie des Fonsseniers. Nous avons déjà eu connaissance
de relations avec le vignoble jurassien, avec le Pays de Vaud et sans
doute, à l'instar des Grandvalliers, leurs voisins, les Fonsseniers
poussaient-ils leurs voyages beaucoup plus loin, dans toute la France.
Y avait-il donc des routes aux Foncine
? Les cartes de l'époque n'en montrent guère. La carte
de Cassini ou la carte annexée au volume de Le Quinio n'indiquent
qu'une route dans la région, celle qui par Saint-Laurent, Morez,
Les Rousses, mène au col de Saint-Cergues. Seule, une "Carte
itinéraire de la généralité de Besançon"
dressée en 1788, indique une route qui, venant de Champagnole
atteint le "Bas de Foncine". Mais les routes officielles
n'étaient pas nécessaires aux longues voitures à
quatre roues des Jurassiens. Le Quinio décrit la "grande
route" qui mène des Planches à Foncine. "A
une demi lieue des Planches, dit-il, le grand chemin se reploie par
un angle aigu pour décrire une sinuosité qui adoucit l'ascension".
Du côté de la montagne, vers la Suisse, il était
bien facile aussi de passer. En 1816 (Arch. Aff. Etr.) On compte, sur
le seul territoire de Châtel-Blanc et Chaux-Neuve trois chemins
traversant la frontière. Ils sont, à la vérité,
"mauvais" et seulement "praticables aux charrettes
du pays", mais ils suffisent tels quels aux relations ...plus
ou moins honnêtes avec la Suisse. Le Quinio n'indique t'il pas
que "en favorisant le commerce interlope, le voisinage de la
Suisse a contribué puissamment à la fortune des habitants".
Les activités multiples des Fonsseniers ont-elles suffi à
les enrichir, ou au moins à leur permettre une vie décente
? "L'industrie, le travail et le commerce" ont-ils,
comme l'affirme Le Quinio "substitué la richesse produite
péniblement par l'art, à celle dont la nature a si généreusement
partagé de plus fortunés climats" ? Lui-même,
décrivant le village des Planches, indique que "quoique
le village soit fort petit, on y voit quelques maisons très bien
bâties, on y trouve quelques familles opulentes". Les
notaires, avocats, médecins, une partie des sans professions,
forment sans doute un noyau de bourgeoisie dont l'aisance se marque
d'ailleurs non pas par un détachement de l'agriculture, mais
au contraire par un bétail bien fourni (6,2 - 4,3 et 2 vaches
en moyenne). La dot d'Anne Françoise Berthet Mantenet qui épouse
en 1793 Ignace Ducez, charpentier, ne semble pas dénoter la pauvreté.
Anne Françoise apporte "133 livres, 2 paires d'habits
de drap de marchand tout à neuf, un troussel complet de 4 chemises,
4 couvrechefs, 4 tabliés et 4 mouchoirs de col, une couverte
à trapointe, 2 linceuls et une toille de coussin, des rideaux
de Bergame, un coffre de bois dur et un petit de sapin ferré
et fermant à clef, douze chemises, onze tabliés, six mouchoirs
de col et six couvrechefs, une paillasse de deux draps, trois serviettes,
une nappe et seize bonnets assortis de bande de dentelle".
Décadence
L'activité des Fonsseniers, comme
leur nombre, a décru peu à peu au cours du XIXe siècle.
Vers 1855, Rousset décrit encore les mêmes activités,
auxquelles il ajoute une émigration des "jeunes gens
des deux sexes, les filles surtout ... pour être domestiques à
Lyon ou à Paris ou instituteurs primaires dans le département".
Le pays commence à laisser partir ses habitants. Il résistera
mal au passage nécessaire du travail à domicile au travail
en atelier. Après avoir abandonné l'horlogerie pour la
lunetterie, toujours sous l'influence de Morez, il verra les ateliers
se fermer les uns après les autres, obligeant les ouvriers à
partir vers Morez, souvent, ou vers les grandes villes. L'élevage
lui même diminue, les fermes sont abandonnées une à
une. Un peu de tourisme, qui fut longtemps retardé avec méfiance
par les habitants trop fiers pour ce métier de "serviteurs",
n'apporte un peu d'animation qu'en été. La décadence
du val est lente, il a fallu 150 ans pour que la population diminue
de moitié, mais à la différence de bien d'autres
pays, où elle fut soudaine, elle ne parait pas achevée.
Vente d'usine, abandon de ferme, se produisent encore chaque année.
Ce pays favorisé autrefois par son altitude relativement basse,
montre peut-être, aujourd'hui, moins de résistance, moins
de faculté d'adaptation que telles hautes vallées qui
l'entourent. Son isolement à l'écart des grandes routes
et des grandes voies ferrées explique pour partie cette décadence,
mais pour partie seulement, comme le suggère le graphique de
population de Bois-d'Amont qui, beaucoup plus mal placé encore,
a su conserver cependant son industrie.
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