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Les pâquiers de Foncine le Haut


Dans la communauté rurale telle qu'elle existait jusqu’au début du XXe siècle, les communaux représentaient cette partie du territoire d'un village qui, n'étant pas l'objet d'actes de propriété privée, était de ce fait réputée commune à tous les habitants.

Il s'agissait en général de chemins, des fossés et des haies qui les bordent, de bois plus ou moins étendus, parfois d'une rivière, voire, très rarement, d'un étang. Ordinairement, les communaux servaient au pâturage du bétail des villageois, à la fourniture de petit bois de chauffage, etc ...

Les revenus assurés par les terres boisées étaient pour une communauté un bel avantage. Ils permettaient, par exemple, aux habitants de faire entièrement restaurer l'église paroissiale. Les communaux, joints aux usages communautaires (droit de vaine pâture par exemple) permettaient aux paysans les plus démunis de posséder au moins une vache.

Dans un article du "Progrès" de 2002, Charles Thevenin nous explique la législation compliquée et parfois cocasse, qui s’est construite au fil du temps sur l’usage de ces pâturages que nous appelons les "pâquiers".


Extrait du "Progrès", article de C. Thevenin avec le concours de Marinette Toussaint et Raymond Bourgeois


C'est presque une histoire séparée. Pourtant, le val de Foncine était forcément inclus dans les immenses territoires donnés à l'abbaye valaisanne d'Agaune, par le roi burgonde Sigismond. Mais les distances, la géographie s'appliquèrent à déliter ces liens. ce sont les Salins qui exercèrent la première présence féodale sur le haut bassin de l'Ain. C'est pourtant l'abbaye de Condat (Saint-Claude) qui devint propriétaire du prieuré de Sirod dès le VIIe siècle.

Foncine n'est pas cité, il était pourtant implicitement compris dans la donation. les difficultés d'accès, le val quasiment fermé, la promiscuité d'une culture helvétique différente, avaient déjà généré un microcosme original. La "Main-Morte", imposée par les moines, arrêtait, aux limites de la terre d Saint-Claude, les apports externes. La "Peste Noire" de 1349, anéantissant pratiquement la population originelle, fit surgir d'autres particularismes.

Comment repeupler ces hautes vallées perdues ? Comment coloniser les marches orientales d'une province encore exsangue ?

Tout commence dès la première moitié du XIVe siècle. Les affranchissements, les transactions, les droits d'usage s'additionnent pendant deux siècles, créant des libertés, fondant des statuts, fabriquant des habitudes. Les Fonciniers vont acquérir, par exemple, des droits d'usage sur la terre de Chatelblanc ou dans les forêts lointaines du Grandvaux ou bien encore "dès le mont Risou au val de Sirod". Ces réglementations différées, cette législation adaptée à un paysage et à un habitat dispersé à l'extrême, allaient inspirer une forme d'association rurale tout à fait originale.

Un pâquier, au sens large, est un pâturage. C'est ce faciès qui compose exclusivement les côtes de Foncine. Or, la pâture communale unitaire est un modèle peu adaptable aux nombreux hameaux, parfois éloignés les uns des autres. Il est probable que dès le moyen-âge, chaque micro-communauté colonisa les proches espaces semi-forestiers, qui margeaient l'aval des immenses massifs boisés.

En tout cas, vers 1600, le "traité des pâquiers Petetin" s'attacha à jeter les règles de base. Car il est évident, qu'aux "personniers" primitifs a rapidement succédé par le simple jeux des héritages, une foule d'ayants droits. Vers la fin de ce siècle, douze pâturages collectifs sont établis. Leurs surfaces sont précises, cela va du plus grand, celui du Voisiney-Sauvonet, 75 hectares 67 ares, au plus petit, les Berthet, 7 ares 50, leurs revenus cadastraux clairement définis, 249 francs pour le Voisinet, 31 centimes pour les Berthet.

Très rapidement, un second règlement (1706) eut à définir les équivalences entre les différents animaux appelés à paître dans les pâquiers. L'unité de base initiale fut évidemment la vache. Le cheval ou la "cavale" lui était égal. Mais l'on pouvait entrer deux génisses de deux ans ou trois génisses d'un an ou "petits boeufs" pour le même compte. Pire, il fallait trois chèvres pour égaler la vaches et deux cabris comptaient pour une seule chèvre. Ces calculs, déjà compliqués dans leurs énoncés, devinrent cauchemardesques lorsqu'au fil des générations, les parts se divisèrent presque à l'infini. On compta alors en "pied de vache", mesure qui perdit bientôt l'avantage d'être, au moins, divisible par deux.

Dans un de ces contrats, Pierre Joseph et Claude François Fumey-Humbert se virent "reconnaître le droit de faire pâturer quatre vaches trois quarts" ou les héritiers d'Adrien Petetin obtenir une autorisation pour les trois-quarts d'une vache ... Plus tard, après le "traité du Voisiney-Sauvonet" de 1807, il existera même des droits valant, par exemple, 4 vaches, 3/4 et 1/30em. L'ayant droit enverra cinq vaches, mais il paiera la différence au syndic.

La Convention, en 1793, avait clairement établi, nationalement, un mode de partage des biens communaux. cette loi fut appliquée sur l'ensemble du territoire, pas à Foncine le Haut. Les pâquiers en furent exclus. Il s'établit ainsi une différence de fait entre les propriétés communales proprement dites et les biens "collectifs" d'une communauté ne possédant aucun statut légal précis.

Pourtant, les "traités" particuliers furent toujours signés "par devant notaire" et enregistrés de la manière la plus officielle qui soit. La "loi des pâquiers", déjà unique en France, se forgea même des articles de règlements qui, tout en donnant localement satisfaction à tout le monde, étaient quand même en contradiction avec les fondements du droit français. Un ayant-droit pouvait, par exemple, échanger ses parts de pâture contre une parcelle dûment délimitée qui lui appartiendrait en toute propriété, à la seule condition que ses associés l'acceptent à l'unanimité. Cette "demande de licitation", qui apparut dans le "traité de Sur-la-Côte" en 1822, fut confirmée par un autre accord, enregistré en 1861, le "traité des pâquiers Badoz, Tourne-à-Dos, Le Tartre, Le Rébeillon". Le fisc s'intéressa quelquefois à ces pratiques spéciales.

Peu à peu, lors des dernières décennies du XXeme siècle, les pâquiers vont perdre leurs raisons d'exister. les éleveurs, désormais, favoriseront les prairies plus aptes à recevoir des façons culturales intensives. La vache moderne, bien souvent enfarinée jusqu'à la gueule, n'apprécie pas l'herbe chiche et rase des "communaux" qu'il faut débusquer derrière les buissons de "gratte-cul". Les prés se sont emboisés et même, à ces altitudes, se sont peuplés de résineux naturellement. Les nouveaux "traités" sont tamponnés, cette fois, par la Direction des forêts. Le "groupement forestier" constitue enfin un statut qui permet aux "pâquiers" de s'associer à la loi commune. Drastiquement, table rase a été faite d'un passé social pourtant précieux. Le "pied de vache" s'est effacé devant le bien rigoriste "millième".

A la fin de l'acte, le conventionnel chapitre "origine de propriété" a été presque entièrement rayé. Deux phrases manuscrites le remplace : "en vertu de bons et justes titres qui n'ont pu être présentés au notaire soussigné, mais antérieurs au 1er janvier 1956".

Pierre Doudier dans son livre "Villages comtois sous la révolution et l'Empire", cite tous les pâquiers "modernes" de Foncine :

"Le Mont-Noir était divisé en pâquiers Girardon, Poux, Doudier, Sauvonnet, Jannin-Claudy, Jeunet, Petetin, Badoz, Sur les Gits. Parallèlement, de l'autre côté de la vallée, on trouvait les pâquiers du Rocheret, Préaudin, Sur la Doye, Les Ruines. Dans l'intervalle, il y avait encore ceux de Vers chez Doudier, Gros Voisiney, Chez Gentillet, Le Chazal, Chez Sauvonnet, Sur la Côte, Voisiney-Sauvonnet, Bas de Ville, Chez Coupet, Les Sellières."


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