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Un foncinier dans la grande guerre

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Texte de Philippe Vuillaume

Je dédie ces quelques pages à ceux qui nous ont précédé, ceux qui ont souffert et ne sont désormais plus auprès de nous mais qui sont vivants par notre affection et notre mémoire familiale. A mes Arrières Grand Pères,

Félix VUILLAUME (1888-1962) Artisan Fromager, Mobilisé de 1914 à 1919 aux 352°, 255°, 334° et 165° Régiments d’Infanterie, Caporal, Blessé au Combat, Invalide de guerre, Médaille Militaire, Médaille de Verdun à titre posthume.

Louis GUY (1876-1957) Mécanicien, Mobilisé en 1914 au 53° Régiment Territorial d’Infanterie de Lons le Saunier, mis en disponibilité et remobilisé auxiliaire au 47° Régiment d’Artillerie de 1917 à 1919.

Félix RIGAUT (1879-1931) Mécanicien, Mobilisé de 1914 à 1919 au 52° Régiment Territorial d’Infanterie de Place de Neufchâteau, Sergent, évacué sanitaire du secteur 94 du Grand Couronné de Nancy le 20 novembre 1915, versé auxiliaire à l’Arsenal Militaire de Bourges, Invalide de guerre.

Désiré THIEBLEMONT (1891-1969) Militaire engagé volontaire, Mobilisé de 1914 à 1923 au 17° Régiment de Chasseurs à Cheval puis de 1923 à 1924 aux 25° et 28° Escadrons d’Auto Mitrailleuses de Combat et de 1924 à 1926 au 1° Escadron du 12° Régiment de Spahis Tunisiens. Adjudant Chef, gazé le 27 avril 1918, Croix de guerre deux étoiles de bronze, Citation à l’ordre de la Brigade, Citation à l’ordre du Régiment, Médaille Militaire, Military Medal Britannique.

A mes Grand Pères,

Elie VUILLAUME (1920-1984), Artisan Fromager, ouvrier réquisitionné pour l’industrie d’occupation.

Max RIGAUT (1918-2003), Pupille de la Nation, Cadre SNCF, Engagé volontaire en 1937, Mobilisé de 1939 à 1940 au 8° Régiment d’Artillerie Divisionnaire de Chaumont, Brigadier, Blessé civil, Croix de Guerre collective 1940.

Pour mes parents, pour mon Fils Maxime … 


PREAMBULE

Félix est né le 11 mai 1888 dans une vielle famille de cultivateurs de Levier. Il est l’aîné de 5 enfants. Il part effectuer son service militaire le 7 octobre 1909 au 152° Régiment d’Infanterie de Gérardmer où il est détaché au casernement de Bruyère. Il passe 1° Classe le 20 septembre 1911 avant d’être libéré avec certificat de bonne conduite le 24 du même mois.
Le 1° Octobre, il passe dans la réserve de l’armée d’active toujours au 152°. Il est ensuite affecté au 352° Régiment Régional d’Infanterie de Langres caserné à Humes, Régiment de réserve du 152° où il passera une grande partie du conflit à venir.

Après être retourné chez ses parents à Levier, il les quitte début juin 1912 et commence son apprentissage pour devenir Fromager. C’est son Oncle Louis Zéphirin VUILLAUME qui lui trouve sa première place à Chantrans. C’est là qu’il connaîtra Louise Bôle sa future épouse issue d’une très ancienne famille du village. En janvier 1913, il part pour Fallerans.

La situation géopolitique du moment étant de plus en plus tendue, il est rappelé à Gérardmer du 27 août au 18 septembre 1913 pour y effectuer des manœuvres. En décembre de la même année, il termine son apprentissage à Epenoy et le 1° juin 1914, pendant les prémices de la guerre, il épouse Louise Bôle à Chantrans.

Nous allons suivre dans ces pages, les régiments dans lesquels Félix VUILLAUME à été affecté à travers les historiques de ces régiments conservés au S.H.D. (Service Historique de la Défense) à Vincennes. Ces documents permettent d’approcher son parcours lors de cette période difficile qui le marquera comme tous ses camarades.
Son régiment d’active, le 152°, composé des classes 1911 et 1912, surnommé par les allemands les « Diables Rouges », sera quasiment entièrement décimé lors des opérations d’Alsace en 1914 et au Chemin des Dames en 1917
Pour lui qui a 26 ans au déclenchement des hostilités, ce seront les mêmes opérations d’Alsace puis la Bataille de la Marne, la Somme et Verdun où il sera grièvement blessé par un éclat de grenade.

Affectations Opérationnelles :

02/08/1914 – 08/02/1917 : 352° Régiment Régional d’Infanterie de Langres
5° Bataillon
18° Compagnie
Réserve du 152° Régiment d’Infanterie
                                               7° Corps d’Armée
                                               121° Division de Juin 1915 à avril 1917
                                               Dissous en avril 1917


09/02/1917 – 23/10/1917 : 255° Régiment d’Infanterie de réserve de Pont Saint Esprit
                                               15° Région
                                               126° Division de juin à mars 1917
                                               97° Division jusqu’en octobre 1917
                                               Dissous le 24 octobre 1917, un bataillon est reversé au 334° R.I.


24/10/1917 – 24/04/1918 : 334° Régiment d’Infanterie de réserve de Mâcon
                                               4° Bataillon
8° Région, 1° Groupe de réserve
                                               97° Division


25/04/1918 – 09/07/1918 : 165° Régiment d’Infanterie de Verdun
                                               9° Compagnie
29° Division


Principaux déplacements lors de la campagne

 

Année 1914

Félix arrive au corps à Humes près de Langres le 2 août 1914. Le Régiment achève sa constitution le 7 août alors que toutes les troupes de couvertures sont déjà engagées sur tous les fronts. Le 8, le Régiment s’embarque à destination de Besançon puis Belfort où il apprend qu’il sera engagé dans la région de Mulhouse, au nord du canal Rhin-Rhône. Comme il l’a dit à sa famille avant de partir, Félix est certain de revenir avant Noël …

Opérations d’Alsace

(10-27 août 1914)

+++++ :  Frontière franco-allemande en 1914

 

Au moment où le 352° débarque à Belfort, l’avant-garde vient d’abandonner Mulhouse sous la violence de la contre-attaque ennemie. Immédiatement, le Régiment reçoit l’ordre de protéger la retraite des troupes du 7° Corps d’Armée.
Le 10 août, un détachement de l’unité reçoit son baptême du feu, il doit arrêter la progression de l’ennemi à Pont d’Aspach et Burnhaupt le Haut dans la vallée du Doller. Cet ennemi victorieux, supérieur en nombre et disposant d’une artillerie lourde efficace ne va pas épargner le Régiment. Les troupes luttent pied à pied défendant chaque pouce de terrain et tentent en vain de mettre en place une position d’arrêt vers Seppe le Bas. Cette première journée de combat coûtera 6 hommes au Régiment dont le Lieutenant Moretton, Commandant la 22° Compagnie, 25 blessés et 76 disparus.

Les 11 et 12 août, le Régiment se reforme à Rougemont. Il est affecté au détachement Coste qui soutient le flanc gauche du 7° Corps d’Armée. Le 12 il est poussé en avant vers Massevaux et la frontière est de nouveau franchie. La 18° Compagnie de Félix entre dans Lauw en chassant un Parti de Cavalerie allemand et en faisant des prisonniers. Dans la soirée, tous les avants postes de la Ligne Massevaux – Lauw sont pris.

Le 14 août, l’Armée d’Alsace, nouvellement commandée par le Général Pau reprend l’offensive vers Mulhouse. Jusqu’au 19 août, l’ennemi se dérobe constamment. Lors de ses opérations, le 352° maintient ses positions à Lauw les 14 et 15 août puis avance sur Steinheim les 16 et 17 et Reiningen le 18. Les allemands ont mit le feu au village avant de reculer et tout n’est que ruines, les habitants pleurent devant leurs maisons réduites en cendres …

Le 19, les allemands stoppent leur recul et engagent le combat devant Mulhouse, sur le Canal de l’Ill et à 11 heures vers Dornach. En fin de journée, après un combat acharné, l’ennemi se replie vers le nord et l’est. Malgré tout, la rapidité de la victoire n’a pas nécessité le recours au 352° placé en réserve du Corps d’Armée. Du 20 au 24 août, le Régiment est cantonné à Lutterbach et termine son organisation. Le 27 août à 9h, sous une pluie fine, il part pour Belfort où il s’embarque en train à 20h30 pour une destination qui n’est pas communiquée aux hommes : le front de la Somme.

Combats de Proyart (29 août 1914)

Le 352° Régiment fait partie du dispositif de l’armée du Général Maunoury qui doit couvrir la retraite des Anglais tout en empêchant toute manoeuvre d’encerclement des trois corps de l’armée de Von Klück rassemblés à l’est et au sud d’Amiens. Ce dispositif entre en action le 29 août et le choc aura lieu dans la plaine de Santerre.

Débarqué à 4h du matin le 28 août à Villers le Bretonneux et Guillaucourt, le Régiment cantonne à Corbie et Vaire sous Corbie. Son objectif pour le lendemain à 5h est de s’emparer des avants postes sur la rive droite de la Somme et de tenir une partie du plateau entre la Somme et l’Ancre.

Le 29 à 5 heures, les avant-postes sont pris et le Régiment reçoit l’ordre du Général commandant la 28° Brigade de laisser la 17° et 18° Compagnie (celle de Félix) à Corbie pour tenir les ponts et de porter le reste du Régiment en attente à l’ouest de Bayonvillers où il arrive vers 10 heures.
A 10 heures 30, 6 compagnies sont mises aux ordres du Colonel commandant le 42° Régiment d’Infanterie afin de fortifier la position sous la pression de plus en plus forte de l’ennemi. Vers midi, le 6° Bataillon du Commandant Rouget doit se porter sur Proyart pour renforcer les effectifs de la 27° Brigade et stopper la progression de l’ennemi.


                    

Sur la route de Péronne, les 22° et 24° Compagnies partent en tête suivies de la 23°, la 21°, la C.H.R, le drapeau et le Lieutenant-Colonel sur la droite. Après le franchissement de cette route, le feu de l’artillerie se fait de plus en plus violent. La 23° Compagnie parvient aux abords de Proyart tenus par l’ennemi, face au clocher.
                                          A sa gauche, la demie section de l’Adjudant Dumas atteint les premières maisons tandis qu’en deuxième ligne, la 22° Compagnie parvient à environ 400 mètres du village. Malgré le feu toujours nourri de l’artillerie, l’ennemi ne peut déboucher de Proyart, énergiquement contenu par le Régiment.                     

                    

A 14 heures, la 21° Compagnie, la C.H.R. et le commandement rejoignent les compagnies de tête. Mais à 16 heures, l’ennemi, toujours arrêté redouble l’intensité de son bombardement et lance une contre-attaque depuis la lisière des bois au nord-ouest de Proyart et depuis la direction de Méricourt afin de prendre le Régiment en écharpe.

Devant le danger, l’ordre de repli immédiat par échelons est donné. Pendant le repli sur ce plateau de plus d’un kilomètre balayé par la mitraille, les pertes sont considérables. Le Chef de Bataillon, le Capitaine adjoint et un grand nombre de Chefs de Sections et de soldats sont tués ou blessés. Même le Lieutenant Colonel est blessé d’un éclat d’obus et par une balle mais il continue à diriger le repli et à donner ses ordres pour riposter au feu ennemi. Toute la garde du drapeau est décimée à l’exception du Sous-Lieutenant Besson et du Soldat Raedle qui s’emploieront à le ramener. Jusqu’à la nuit, la Compagnie du Capitaine Girol reste en position pour couvrir la retraite.

De nombreux blessés sont évacués par leurs camarades sur une lourde charrette qu’il faut traîner sur plusieurs kilomètres pour l’amener au dévoué Médecin Chef du Régiment, le Docteur Gamelin. Le retrait définitif de la zone de combat n’interviendra qu’au moment où l’ordre général de repli des troupes ayant combattu au nord de la Somme sera donné, au total, ces opérations auront coûté 500 hommes au Régiment.

Sous le commandement du Chef de Bataillon Fleury, le Régiment se porte vers le sud-est puis vers le sud en direction de Paris par Houdainville, Beaumont sur Oise et Bouqueval. En effet, la situation devenait critique, la 6° Armée allait être chargée de protéger le camp retranché de Paris sur la Marne.

Bataille de la Marne, Ferme Nogeon, la Râperie (7-10 septembre 1914) 

Le dispositif imaginé par l’Etat Major du Généralissime Joffre est le suivant : Les camps retranchés de Paris et de Verdun sont renforcés, la 6° Armée est ramenée d’Amiens et une 9° Armée est créée et intercalée entre les 4° et 5° afin de renforcer le centre de cette immense ligne de front. Si l’ennemi attaque Paris ou Verdun, il affaiblit son centre et s’il tente une percée au centre, il sera alors pris en étau.

Les 4 et 5 septembre 1914, la 6° Armée rectifie ses positions au nord de Paris en vue de préparer l’attaque du flanc droit de l’Armée Von Klück qui avance vers Meaux par la vallée de l’Ourcq. Le 6 septembre, l’attaque surprend l’ennemi qui entame un mouvement de recul mais se ressaisi dès le lendemain par une violente contre-attaque.

Le 352° constitue avec les 45° et 55° Bataillons de Chasseurs à Pieds, la réserve d’infanterie du 7° Corps d’Armée. Le 4 septembre il se porte en périphérie de Paris à Epiais lès Louvres puis sur Mussy le Neuf le 5. Le jour de l’attaque du 6, le 352° se trouvant en queue de Colonne du 7° Corps d’Armée. n’est pas engagé. Il se rapproche de Meaux, gagne Dammartin en Goële puis Brégy et vient stationner à Douy la Ramée où il passe la nuit.

Dès le matin du 7, le 352° est poussé en ligne à l’est. Les 19° et 20° Compagnies appuyées par la Compagnie de Mitrailleuses du 5° Bataillon occupent les crêtes qui dominent Puisieux sous un feu d’artillerie assez nourri. Plus tard, le Régiment est rappelé en arrière pour constituer la réserve de la 63° Division.
Le gros des 2 bataillons se porte entre Brégy et Fossé Martin et les 18° (celle de Félix) et 20° Compagnies restent avec le Commandant Fleury sur le chemin de Fossé Martin à Douy la Ramée et s’y maintient malgré des tirs d’artillerie causant de nombreuses pertes. Deux artilleurs tenant une batterie de 75 à 30 ou 40 mètres des positions sont pulvérisés et enterrés à la hâte sous des feuilles.
Les hommes sont épuisés et assoiffés, depuis deux jours, ils ne mangent que des rations prises sur les cadavres

Dans la soirée la 63° Division qui vient d’enlever les fermes de Nogeon et de la Râperie est violement contre-attaquée et le 5° Bataillon de Félix est porté vers ces deux points en vue d’arrêter une éventuelle progression de l’ennemi. Mais la Division réussi à se maintenir et, sans intervenir, tout le bataillon rejoint Fossé Martin et le Régiment entier va bivouaquer à l’ouest de cette position.

Le lendemain 8 septembre, l’attaque reprend, l’ennemi concentre tout son feu d’artillerie lourde sur Nogeon et la Râperie. Les défenseurs de la ferme de la Râperie entament alors un mouvement de repli mais le 5° Bataillon de Félix reçoit l’ordre de se porter à leur secours afin de maintenir l’occupation de la position. La 20° Compagnie occupe les bâtiments de la Ferme sans faiblir malgré le déluge de l’artillerie et ne les quitte que lorsque les obus incendiaires ont finit par y mettre le feu.

Tout le 5° Bataillon est alors rassemblé en direction de Nogeon et reçoit l’ordre de se porter en avant vers Vincy. La 18° Compagnie de Félix et la 20° progressent jusqu’à 800 mètres au-delà de la Râperie et sont alors débordées par le reflux soudain des troupes de première lignes avant d’atteindre la crête qui domine Vincy. Elles se maintiennent néanmoins en place jusqu’à l’ordre formel de repli.

Dans la soirée le 5° Bataillon replié sur la Râperie reçoit l’ordre de s’organiser sur cette position et à Nogeon afin de tenir et de défendre ce point stratégique coûte que coûte. La ferme est remplie de cadavres de soldats du Génie occupés à s’y retrancher avant l’attaque. Les hommes ramassent tout de même les rations pleines, il faut retirer la croûte du pain qui est couverte de sang …


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