L'ultime affrontement |
Du côté allemand l'idée de Manoeuvre revêtait la simplicité spartiate des actions victorieuses ... "L'armée marchera concentriquement sur la frontière suisse" précisaient les ordres signés Von Manteuffel, lequel avait par ailleurs combiné son effort principal avec un débordement sur sa droite, à partir de Granges-Sainte-Marie.
Dans le camp français une opération plus complexe prévoyait un repli par échelon jusqu'à la frontière, sauf pour certains éléments du 24em corps et du corps Cremer qui, en raison de leurs emplacements, pouvaient réussir une infiltration vers le sud. La pièce maîtresse de l'action défensive conçue par Clinchant consistait en un combat retardateur, à mener avec les rares troupes n'ayant pas encore dégénéré en troupeau : le 18em corps et la réserve générale. Le terrain choisi pour ce coup d'arrêt consistait en une ligne de hauteurs centrée sur le défilé de la Cluse et valorisée par deux ouvrages de fortification permanente : Joux et le fort Neuf. Comment ces deux intentions tactiques se heurtèrent-elles sur le terrain ? Imaginons la scène : Onze heures. Le IIem corps prussien pénètre dans Pontarlier évacué par les gros de l'"armée de l'Est". Légères escarmouches vers la gare. L'ennemi s'engage aussitôt sur la route de Suisse toujours embouteillée par les convois français. Monstrueuse marée qui stagne, où vainqueurs et vaincus sont prisonniers les uns des autres. Midi. L'avant-garde prussienne arrive au lie-dit "tournant de la Cluse". Devant elle jaillit le décor wagnérien d'une montagne pourfendue en son milieu. Face à elle émergent de la brume deux burgs menaçants.
Le décor, brusquement s'illumine et s'anime. Mousqueterie de l'infanterie française que renforce la canonnade des forts. L'ennemi riposte. La panique s'empare de la cohue des conducteurs des fourgons français pris entre deux feux. Les Allemands s'élancent, bousculent nos premiers rangs postés dans la neige, viennent buter contre le village de la Cluse. Nos soldats, embusqués dans les maisons, tirent comme des forcenés. En même temps l'assaillant tente un débordement, par la voie ferrée et par la pente nord. Il réussit également à mettre quatre pièces en batterie. La chance tourne enfin. La "furia franchese" jette dans une farouche contre-attaque, et les marsouins du général Pallu de La Barrière, et les lignards du lieutenant-colonel Achilli. En un assaut irrésistible sont regagnés les 600 mètres perdus, jusqu'au tournant de la Cluse. Cependant les Allemands se cramponnent au virage étranglé de la route. Rapidement ils se renforcent. La situation de nos éléments avancés redevient critique. Reculer ? Se maintenir ? La décision jaillit, spontanée, sous la forme d'un vibrant : "en avant !" poussé par le lieutenant-colonel Achilli, du 44em de marche. Trente hommes suivent leur chef dans cette folie. Mais tellement farouches d'aspect qu'ils font hésiter leurs adversaires si proches. Electrisés par cet exemple les autres soldats français réussissent à cravacher leur peur viscérale. Ils y vont à leur tour. A ce moment Achilli s'effondre mortellement blessé. Privé de son moteur notre sursaut offensif s'effrite. Le corps de l'officier jalonnera toute la journée l'extrême limite de notre avance.
Une heure de l'après-midi. Les Allemands entreprennent un large contournement de l'obstacle : par la gauche, sur le Larmont, par la droite, sur Oye et Pallet via Granges-Narboz. Ces deux manoeuvres de dégagement échouent, la première grâce à l'énergique action d'un bataillon du 44e, la seconde par la suite de difficultés de terrain quasi insurmontables. Donc la position d'arrêt tient bon, partout. Les Français cherchent même à l'améliorer en essayant de coiffer les hauteurs de la Fauconnière. Impossible d'escalader sous le feu ennemi ces escarpements enneigés. Quatre heures du soir. Nos munitions s'épuisent. Nos pertes augmentent. La défense faiblissant, deux bataillons d'infanterie de marine arrivent à la rescousse. Six heures. Il fait nuit. Ordre de repli de l'extrême arrière-garde sur le village que les tirs ennemis accablent de plus en plus. Dix heures. L'évacuation de La Cluse commence par le retrait du glorieux 44e. Onze heures. Les derniers combattants décrochent sous la protection des forts, en direction de la Suisse. Onze heures trente. Prudemment les Allemands occupent la localité puis commencent à déboucher vers Saint-Pierre. Aussitôt ils se heurtent à deux résistances : sur la pente nord celle d'une escouade de douze hommes du 29e abrités derrière un mur. Total sacrifice d'une poignée de héros; ensuite, celle plus redoutable des deux ouvrages qui continuent à tirer et tireront sans discontinuer jusqu'à l'armistice général (1) 1) Suite à cette résistance Joux et le fort-Neuf (actuellement Larmont inférieur) ne furent pas occupés par les Allemands. Comme au fort Saint-André et autour du camp retranché de Besançon une petite zone libre d'occupants fut créée aux alentours de Joux. Récit du Colonel Dutriez |