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Les Entrecôtes

 


Le progrès du dimanche 2 juin 2002 nous raconte l'histoire des Entrecôtes. Ce fut un gros village d'une centaine d'âmes, entre Chalesmes, Les Planches et Foncine, qui ne résista pas à l'arrivée du progrès et au désir de confort de ses habitants. Sa situation isolée aura pourtant été un avantage à de nombreuses époques. C'est aujourdhui un milieu naturel préservé où il reste encore quelques traces de ce passé qui n'est pas si lointain.


C'était une immense montagne. La crête, bien haut dessus des reliefs, toisait dans l'Occident, le moutonnement des chaînons parallèles du Jura central.

Cette image, pourtant réaliste, n'a certainement jamais existé. L'action de l'érosion, agissant simultanément à l'émergence, s'ingéniait à raboter ce que la tectonique, inlassablement, poussait vers le haut. Entrecôtes, c'est la combe parfaite. La Haute Joux, ouverte sur sa longueur, s'est laissé saigner par le torrent. Entre les deux lignes de crêtes, une vallée secrète s'est glissée. Ce monde, fermé sur trois côtés, difficilement accessible par le quatrième, ne connut pourtant pas une genèse différée. Aux époques terribles de l'histoire comtoise, cet isolement devint même un facteur sécuritaire. Pendant des siècles, les Entrecôtes furent l'ultime refuge pour les survivants des massacres perpétrés par les envahisseurs français et "suédois" ou pour ceux qui tentaient d'échapper aux malédictions amenées par les grandes épidémies. Car il fallait être motivé pour s'installer là-haut. Aux points les plus bas, juste à l'amont des Planches en Montagne, on est déjà à 850 mètres d'altitude. La pente ne faiblira guère. A l'amont, vers la Charlette, on atteint les 1100 mètres. Mais surtout, la combe est largement ouverte vers le sud-ouest, laissant les vents et les nuages s'engouffrer entre les deux remparts. C'est le pays de la neige. On passe, en quelques heures de l'hiver à l'été. Cette transition, fort tardive, fait éclore, vers la fin mai, toutes les fleurs en même temps. Les premières pluies d'août, brisant le rêve estival, allument déjà les clairs obscures automnales.

les prés hauts (Chapelle des bois)

Entrecôtes, ça parait bien trop haut, c'est en tout cas bien trop loin. Pourtant, au temps des premières statistiques (début 19e siècle), il y avait cent cinq habitants répartis dans dix-huit ménages logeant dans dix-huit maisons. Il descendait, pour le conseil de révision qui avait lieu au chef-lieu de canton, dix-neuf conscrits, plus que n'en fournissait Les Planches même. La montagne jurassienne est peuplée de manière fort ancienne. L'habitat dispersé y est presque une règle. Mais le cas d'Entrecôtes nécessite quand même quelques explications. On en trouve dans le cadastre "Napoléon" par exemple. Des épidémies virulentes de peste ravagèrent plusieurs fois le val de Saine. Un premier cas d'infection fut signalé en janvier 1462, au Gros Voisiney. Les serfs, fuyant Foncine, se répandirent en aval où ils furent bien entendu arrêtés pour éviter la propagation. Les Entrecôtes, lieu protégé, devinrent un des seuls asiles encore disponibles. Il semble bien que la pandémie les rattrapa. Un lieudit s'appelle "Champ de la Loge", tout proche, un autre est désigné laconiquement "Les Morts". On peut voir ici un lieu de relégation pour les malades de Foncine et la zone d'enfouissement qui y était forcément associée.

Vers la messe de minuit

Ce n'est qu'en 1487 que Foncine, brisant le lien ombilical, posséda son propre lieu de culte. Avant il fallait aller à la Mère-paroisse, Sirod, à "trois mortelles lieues". Même les morts suivaient cet incroyable périple, et leurs souvenirs s'attacha longtemps à cet itinéraire fantasmagorique. Le trajet grimpe le Bayard, traverse les Arboux où, sur ses cimes se trouvait "l'Hôtel du Coq". C'est par dérision qu'on appelait ainsi cette maison hospitalière. Puis, on passe le Croz au plus haut et on dévale le "Renver" avant d'attaquer la deuxième côte. Cet itinéraire figure sur d'anciens titres sous le nom "Chemin des morts". Au col, le convoi funèbre s'autorisait une halte autour d'une grosse pierre plate sur laquelle le cercueil patientait. Malgré l'église de Foncine, les habitants d'Entrecôtes continuèrent à "descendre" chaque semaine à Sirod. La mémoire se souvint longtemps de gens taciturnes, vêtus de peaux de bêtes, arrivant trempés jusqu'aux os à l'office dominical. A la fin du XIXe siècle, ce sont les curés de Foncine, à la messe de minuit, qui accueillaient une quarantaine "d'Entrecôtes", bravant ensemble dans l'hiver jurassien, les pentes pelées du mont Bayard.

Les Entrecôtes n'ont jamais formé un village au sens propre du terme. La communauté, cimenté par un chalet, installé à équidistance, et même plus anciennement par un moulin, comptait en fait trois groupes "principaux" d'habitations, étalés sur près de cinq kilomètres. Celui du "bas" : le Nevreau, le Sauget, Combe Fumey et même le Paradis se tournait plus aisément vers Les Planches. Chez les Valles, la Laizena faisait partie de ce groupe. Le "Milieu" autour des fermes de Côte Guignard, Chez Bazile, chez Toine, chez Berthet, communiquait plus facilement avec les Ruines et par là, avec Foncine. Le "Milieu" d'Entrecôtes est signifié par une tourbière. Quand les forêts, appartenant aux grands féodaux étaient interdites, c'est la tourbe qui servait de combustible. Il y eut ainsi jusqu'à 99 exploitants-propriétaires pour extraire cette maigre ressource.

Entrecôtes "du Haut", commençait vers l'actuelle ferme Mathieu, par un groupe de trois bâtisses. Il y en avait encore trois : "Vers la Bise" (actuelle Bouquillon), dominée par "La Grangette" au sommet de l'ultime "bosse". Ceux-ci disposaient d'un sentier au nom explicite. Le Délevret chutait brutalement, côté Baroche, sur Arsure et sur Bief-des-Maisons. La Haute Joux regardant l'occident est ici une véritable muraille, passant brutalement de 980m à 1150m. Lequinio raconte comment au début du XIXe siècle, les habitants d'Arsure-Arsurette, fabriquant leur bois de chauffage, sur les hauteurs, à la belle saison, attendaient les premières neiges pour les descendre aux portes du village. Ils le rangeaient sur un traîneau, puis s'arqueboutant entre les deux timons redressés en forme de lyre, ils dévalaient à toute allure par le "Délevret".

Les conventions salvatrices

Évidemment cette forme d'habitat, dispersé, difficile d'accès, supporta mal les assauts de la modernité. La population d'Entrecôtes chuta inexorablement lorsque la vallée, ou le plateau, commença à toucher sa part de progrès. Dix ans après le recensement de 1841 (105 habitants), il ne restait plus que soixante et onze personnes y vivant de manière permanente. Vers 1860, il en manquait encore seize et il ne restait plus que six maisons. Puis la chute s'accéléra encore. En 1880, dix-neuf habitants étaient recensés. Au tournant du siècle, "Sibellon" et P. Ethevenin "tenaient" encore Bouquillon. Ultimes habitants des Entrecôtes, ils disposaient, cette fois, de l'espace auquel ils avaient du souvent rêver. Peu avant, alors que la ferme s'appelait encore "Vers la Bise", deux ménages se partageaient le couvert. Eux étaient "face au levant", les "Toinons" Braillard occupaient l'arrière. Leur valet, handicapé, qui "boquillait" prêta son particularisme à la ferme toute entière. "Bouquillon" abandonnée, délabrée, servit de refuge au maquis pendant la dernière guerre. Lorsqu'elle fut "rachetée" avec le domaine agricole, par la commune des Crozets, le toit avait été enfoncé. EN 1976, les Loisirs populaires de Dole, passèrent une convention avec les nouveaux propriétaires. Bouquillon, réhabilité, trouvait une nouvelle justification.

A l'aval, la ferme Mathieu a conservé sa vocation primitive. Les plus anciens plans la montrent déjà, seule au milieu d'un vaste espace. Un chasal, un peu à l'est, porte le nom de "la baraque". Il est cerné de micro-parcelles aux désignations explicites : le "champ chez Tissot", le "pré chez Tissot". La ferme Mathieu s'appelle encore la Grange d'Entre côtes. Elle ne sera associée au patronyme Mathieu qu'en 1912, lorsque le grand-père de Gilles Mathieu (maire de Bief des Maisons) s'en rendra acquéreur, mais il ne l'habitera jamais. Elle appartenait préalablement à des familles originaires de Nans, Dole, en dernier lieu, Moutenet avant. Les Tissot étaient peut-être leurs ancêtres communs.

Du gros hameau du "Milieu", soit sept maisons, il ne reste plus que "chez Toine", actuelle propriété Blondeau. Plus bas, le Paradis, acheté par une association de Chaux-des-Crotenay, a suivi un destin parallèle à Bouquillon. La ferme figure dans les cartes IGN, sous la mention "refuge non gardé", "Combe Fumey" n'existe plus, mais le Sauget et surtout les Nevreaux (aujourd'hui au pluriel), ont bravé les épreuves temporelles.


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