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Numa Magnin

le pédagogue Franc-Comtois


 


Alain Chiron publie en décembre 2004, dans la revue Robinson, un texte sur la biographie de Numa Magnin. Il a la gentillesse de m'autoriser à en insérer des extraits sur ce site. Voici donc une présentation de ses oeuvres principales, ainsi qu'un intéressant résumé de la vie de notre écrivain grandvallier, qui n'avait pas son permis de conduire et qui, parait-il, parlait systématiquement patois lorsqu'il était au village.

Numa Magnin, à gauche, l'index pointé vers le ciel. Photo communiquée par Marie Monnet, de Fort du Plasne dont la grand-mère Vitaline Monnet était la centenaire pour laquelle Numa Magnin fit son discours en 1948

voir également : le discours de la centenaire

Les oubliés de la liste de 1950
(extraits de l'article paru dans le numéro 16 du deuxième semestre 2004 des Cahiers Robinson)

Numa Magnin est né en 1874 à Fort du Plasne, il devient orphelin lorsqu'il a huit ans. Sa mère meurt des suites du froid encouru sur un traîneau découvert pris pour aller accoucher aux Planches. C’est sa marraine d'un côté et sa grand-mère maternelle de l'autre qui prennent en charge son éducation. Son père est cordonnier et du fait de son instruction il tient en plus les comptes de la fromagerie du village. Jusqu'en 1888 il fréquente l'école de Fort du Plasne où il a pour maître Monsieur Humblot dont le tombeau a été offert par la commune en remerciement pour son dévouement à l’ensemble de ses élèves. Celui-ci l'incite en 1886 à passer l'examen des bourses pour rentrer au lycée; il est reçu deuxième du département mais le Conseil général du Jura (alors politiquement conservateur) décide cette année-là de n'accorder qu’une seule bourse afin de ne pas faire profiter de cette chance un fils de républicain radical.

Ceci oblige Numa Magnin à poursuivre de 1888 à 1891 sa scolarité à l'école primaire supérieure de Champagnole. C'est là qu'il prépare le concours d'entrée à l'École normale de Lons-le-Saunier où il reste trois ans. Admissible à l'École normale supérieure de Saint-Cloud, il se voit offert d'assurer un poste d'enseignant à l'École normale de Rodez où il ne reste qu’un semestre, rejoignant celle de Belfort où il enseigne également un semestre. Il part faire son service militaire de 1895 à 1896, avant de rejoindre l'École normale supérieure de Saint-Cloud où il reste deux ans. Il y fréquente assidûment le Louvre et les théâtres.

maison où vécut Numa Magnin, à Fort du Plasne

Il part ensuite deux ans à Munich et en Autriche grâce au bénéfice d’une bourse. À son retour il enseigne trois ans l'allemand à Mirecourt où se trouve l'École normale des Vosges. Reçu au concours de l'Inspection de l'enseignement primaire, il est nommé dans l'Ain à Nantua en 1903 et y reste près de trois ans.

C'est là qu'il se marie avec une enseignante de l'école primaire supérieure de Saint-Claude. Ils auront une fille en 1905 et un fils en 1912. Il poursuit sa carrière d’inspecteur des écoles communales dans l'arrondissement de Gray, dans le Sud de la Haute-Saône.

En janvier 1908, il commence à Belfort sa carrière de Directeur d'École normale par la direction de celle du département du Haut-Rhin resté français. En octobre 1914, suite au décès de l'inspecteur primaire du lieu, il cumule jusqu'au début de 1919 cette fonction avec celle de Directeur de l'École normale. Sa responsabilité d'inspecteur couvre durant quatre ans, la petite partie de l'Alsace reconquise et gardée au-delà du 26 août 1914, soit 91 communes autour de Thann, Masevaux et Dannemarie. Ce sont des instituteurs soldats qui sont chargés des classes qui y sont rouvertes pour les garçons en janvier 1915, les fillettes ayant droit quant à elle à des soeurs.

tombe de Numa Magnin au cimetiere de Fort du Plasne

Il quitte Belfort pour Besançon en 1921 où il dirige jusqu'en 1936 l'École normale du Doubs; il sera l’un des organisateurs du défilé de 6 000 enfants parcourant en 1931 Besançon pour célébrer le cinquantenaire des lois laïques. La perte de son fils en 1940 l'affecte énormément et il n'a plus rien écrit au-delà de cette date; il décède le 31 janvier 1958.

Auteur de pièces de théâtre, il produit à la charnière du XIXe et du XXe siècle "Les contrebandiers du Mont noir" où il met en scène des personnes et décrit des lieux qui renvoient aux villages de Foncine-le-bas, Entre-deux-monts et Fort du Plasne. Dans "Ma fille sera parisienne", il évoque l'exode rural, tandis que la pièce "Qu'il s'en aille" raconte une cabale contre un instituteur. "Quand même" présente les doutes qui assaillent un instituteur laïc sur le sens, la portée de son travail et le rôle que la Société fait jouer à l'école. "Trop parler nuit" est une caricature à l'encontre des enseignants qui "parlent trop, trop vite et trop fort" au détriment de l'expression de leurs élèves; "Rechardy" est joué sans qu'il ne soit jamais édité. Deux oeuvres s'’inspirent de grands classiques "Le songe d'une nuit d'hiver d'un normalien" où c'est contrairement à notre attente une intertextualité avec le Faust de Goethe qui se dessine et "Les quatre musiciens de la ville de Besançon" qui est un clin d'oeil aux célèbres Musiciens de Brême de Grimm. Si ces pièces de théâtre ont un impact très localisé sur la Franche-Comté, par contre sa série de trois ouvrages autour du personnage surnommé la Bique va assurer à Numa Magin une renommée nationale.

C'est durant les bombardements aériens qui frappent nocturnement Belfort pendant la Grande guerre que Numa Magnin invente pour distraire son fils les aventures qui réunis donneront lieu à l'édition de l'ouvrage "Histoire de la Bique". Il s’inspire largement de son vécu, n'hésitant pas à reprendre le nom exact de l'instituteur de son propre village mais s'il fait naître le héros par une nuit de très grand froid en 1874, comme ce fut son cas, par contre il lui donne une mère qu’il n'a pas personnellement eue et un père fermier. Dans l'ensemble des trois volumes, l'auteur insiste sur les valeurs éducatives que le héros reçoit de ses parents, de son maître ou que l'expérience d'autres rapports humains lui apportent. Le texte fournit également au jeune lecteur un recul sur le sens de ses désirs et la transformation progressive qui accompagne son enfance. Parmi les villageois, l'auteur choisit de camper de fortes personnalités qui servent de prétexte à différents récits qui gardent une certaine autonomie. L'Histoire de la Bique remporte un grand succès dès sa parution en 1927, ce qui explique qu'il soit retenu dans la liste élaborée en 1950.

église de Fort du Plasne

La dédicace est une longue plainte sur la désertification des villages montagnards ( thème que l’on retrouve dans sa pièce de théâtre Ma fille sera parisienne) et le contenu de ce livre permet de comprendre les mentalités qui y régnaient il y a 120 ans. L'ouvrage raconte l'enfance à la fin du XIXe siècle d'un petit Franc-comtois plein de malice mais aux grandes qualités morales.

Ce livre est suivi de deux autres récits à quelques années d'intervalle, le second tome de la série s'intitule La Bique en apprentissage. Nous sommes en contact avec des milieux professionnels fort variés, puisque le héros s'essaie à divers métiers et ce volume complète utilement la vision que l'on peut avoir de la vie de la société provinciale urbaine et rurale des débuts de la IIIe république. Le thème de la contrebande y réapparaît ponctuellement lorsque le jeune héros se retrouve embrigadé dans une aventure dont il sortira avec une meilleure compréhension de l'illégalité et des dangers de mort qui entourent cette activité appelée localement celle des "pacotilleurs" lorsqu'elle est exercée par des enfants et "grand métier" quand ce sont des adultes qui la pratiquent. Toutefois l'auteur n'hésitera pas à réutiliser dans le dernier volume, cette thématique fort riche du passage illégal de marchandises pour mettre une nouvelle fois le héros, cette fois-ci trompé par un mauvais homme au Saut du Doubs, aux prises avec les douaniers.

Ce troisième titre La Bique voyage, permet de faire le tour de la Franche-Comté et fait évidemment penser au Tour de France par deux enfants de G.Bruno; son intérêt vient également du fait que le héros y exerce le métier de rebiqueur qui consistait à savoir réparer tout ce qui pouvait à la ferme comme à la maison s'abîmer. "Le rebiqueur était l'homme à tout faire. Il raccommodait, rajustait, rafistolait les seaux, les paniers, les pendules, la vaisselle, les parapluies. Il était boisselier, vannier, horloger, vitrier".

Du fait de cette profession attribuée à La Bique, la visite touristique et l'étude des caractères des habitants de différentes entités territoriales va de soi. C’est pourquoi tant par la force qui porte chaque petite intrigue, que par son contenu éducatif évocateur des problèmes que chacun doit gérer dans la construction de sa personnalité et que par son aspect ethnographique, les trois ouvrages de Numa Magnin méritent d'être redécouverts, ils ont été réédités en 1990 et 1991.


Alain CHIRON


En savoir plus sur Les Cahiers Robinson

Les Cahiers Robinson sont une revue d'étude de la littérature de jeunesse, elle s'intéresse en priorité à toute la production antérieure à la Seconde guerre mondiale mais s'ouvre également à l'actualité avec notamment des projets sur la fantasie. Elle propose deux numéros par an, la majorité des textes traitent du thème choisi tandis que quelques autres contributions de critiques permettent d'aborder un auteur ou une oeuvre à redécouvrir. Ainsi au fil des parutions ce sont les univers du voyage, des jardins, des tréteaux, des colonies, des enfants sauvages, de Polichinelle et des adaptations du roman de Renard qui sont explorés à travers les livres pour enfants. Par ailleurs des numéros sont centrés sur un auteur précis : Henri Bosco, la comtesse de Ségur, Hector Malot, Andrée Chedid. En outre le numéro deux fut consacré au Suisse Töpffer, considéré par certains comme le père de la bande dessinée. Alain Chiron dans le numéro 14 avait présenté et commenté la liste des ouvrages de littérature de jeunesse recommandés à la lecture des écoliers du primaire (depuis 7 jusqu'à 14 ans) de 1950, aussi deux numéros plus loin c’est le Franc-comtois Numa Magnin, un des auteurs phare de la liste qui est mis à l'honneur. Cette tâche se révélait d'autant plus indispensable qu'il n'avait jamais figuré dans aucun dictionnaire d'auteurs de littérature de jeunesse. Dans cette liste d’une soixantaine de titres, il tenait compagnie à d'autres auteurs de l'axe jurassien : Marcel Aymé, Paul-Émile Victor et la Genevoise Pernette Chaponnière et aux auteurs classiques de littérature de jeunesse qu'étaient déjà Jack London, Rudyard Kipling, Charles Vildrac, Hector Malot et Alexandre Dumas.


Les Cahiers Robinson sont édités par l'Université d'Artois, sous la direction de Francis Marcoin. L'abonnement pour l'année est de 24 euros (particulier) ou 26 euros (institution), il donne droit à deux numéros. L'année 2005 propose les approches thématiques d'Autres mondes puis des Milles et une nuits des enfants.

Cahiers Robinson. Université d'Artois. 9 rue du temple.
BP 665
62 030 ARRAS Cedex

Le discours de la centenaire

La photo qui figure en tête de cette page m'avait été prêtée par Marie Monnet, de Fort du Plasne, dont la grand-mère, Vitaline Monnet était la centenaire pour laquelle Numa Magnin fit son discours en 1948. Voici le compte rendu que fait un journaliste de cette journée :

"On accueillit l'ailleule avec une attention infinie, une douceur presqu'enfantine qui contrastait joliment avec cette rudesse habituelle peinte sur les visages halés de ces paysans rompus aux plus dures besognes, mais dont le clair regard reflète si bien une touchante bonté et une docilité candide."

Après le maire, Numa Magnin s'attacha moins à faire un discours qu'à rappeler tous ces souvenirs d'enfance, souvenirs d'une jeunesse turbulente et malicieuse qui, les farces faites, s'en allait trouver refuge chez "la Vitaline".

Car notre centenaire se faisait un malin plaisir, en son temps, d'héberger tous ces jeunes chenapans de village qui au sortir de l'école, n'avaient d'autres soucis que de s'amuser aux dépens de la gent paisible et laborieuse.

Et monsieur Magnin de retracer le souvenir de tous ceux qui l'accompagnèrent dans ses escapades, ces rouliers du Grandvaux aux moeurs rudes, le Sylvain, l'Alphée, le terrible, la lucie de la cure, tous amis de la centenaire, car la Vitaline, en dépit de son siècle d'existence est toujours restée jeune de caractère et conserve encore ce regard plein de malice qui au temps passé la faisait aimée de tous les garnements de la région qui avaient trouvé en elle une complice loyale et sure.

Après cet exposé plein de fantaisie, les enfants des écoles entonnèrent un chant montagnard les "Armallis", choeur suisse préferé de la doyenne et que radio-Sottens devait diffuser au cours de son émission de midi en son honneur.

Puis le sous-préfet fit son discours et lui remis la médaille du Mérite Agricole.


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