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Le Colporteur

 


Les colporteurs ou porte-balles, étaient autrefois assez nombreux, certains voyageaient à leur gré, au hasard des saisons, d'autres, au contraire, paraissaient avoir un itinéraire assez précis, ils passaient certaines fois deux fois l'an, au printemps et à l'automne.

Généralement vêtu d'une veste de velours brun, le colporteur arrivait à pied, avec dans le dos une grosse balle de marchandises, enveloppées de cuir, ou parfois une caisse en bois, qu'il posait sitôt entré, pour soulager ses épaules, ensuite il déballait et présentait ses articles à la mère de famille. Il y en avait une quantité invraisemblable : fil, aiguilles, bretelles, foulards, ciseaux, couteaux, etc ...

Les gamins approchaient le plus possible pour voir toutes ces choses flambant neuves. Presque dans chaque maison il vendait pour quelques sous, l'un ou l'autre de ces objets. Pourtant le pauvre homme ne réalisait que de bien maigres profits car il acceptait bien volontiers l'assiette de soupe qu'on lui offrait et le gîte dans la grange ou l'écurie selon la saison. Il fallait que ces hommes, qui étaient sans doute très forts puisqu'ils faisaient un métier dur, aient fortement le goût du voyage, de l'aventure, pour se contenter d'un travail si peu lucratif plutôt que de se stabiliser.


Textes tirées du "Gaulois" et du livre de Marguerite Reynier, "Au bon vieux temps"


 

Au temps où les boutiquiers étaient moins nombreux dans nos campagnes, et où les voyages à la ville étaient toute une affaire, le colporteur régnait.

Parti de l'Auvergne ou de la Savoie, il s'en venait tous les hivers, le bâton à la main, la balle au dos, offrir aux mères de familles les marchandises les plus variées. Il avait sa région déterminée, parcourait toujours le même rayon et retrouvait dans chaque village une clientèle assurée et fidèle.

Par un jour froid de décembre, on entendait résonner dans la cour le bruit de ses souliers ferrés. On ouvrait la porte et pendant cinq minutes, toutes les voix se mêlaient : on se retrouvait, on demandait des nouvelles de part et d'autre, on présentait le dernier né. Mais le colporteur avait déjà posé sa charge sur la table et se disposait à ouvrir son armoire portative vers laquelle les enfants tournaient des yeux curieux.

Que de richesses sur les rayons ! Boites de fil, paquets d'aiguilles, boutons, crochets, tresse, coulisse, jarretières, dés, ciseaux, couteaux de poche, assortiment de lunettes, foulards jaunes et rouges, petits livres de messe, almanachs ... sans compter les rubans bleus et roses qui flottaient sur une ficelle tendue à l'intérieur de la porte et fascinaient les regards des petites filles.

"Que vous vendrai-je, la mère ? Les jarretières doivent être usées depuis l'hiver dernier !

- Oui, il en faudrait pour moi et pour les filles.

- Alors, montrez vos mollets, les petites, qu'on prenne la mesure"

Et, du mètre qu'il portait enroulé à son cou, le colporteur, agenouillé, faisait le tour des petites jambes tendues.

"Pour la maman, on sait d'avance, ses mollets ne croissent plus. Je vous donne du bon n'est ce pas ? Tenez, ce rayé rouge à six sous le mètre est bien solide, il fera la campagne."

 

On passait ensuite à la provision d'aiguilles, boutons et lacets.

"Assortissez-moi comme d'habitude, disait la ménagère. Savez-vous que c'est long une année, et qu'on casse encore quelques aiguilles. Pour le père, il faudra des lunettes, les siennes commencent à n'être plus assez fortes. Vous souvenez-vous du numéro que vous nous avez donné la dernière fois ?".

Et c'était une recherche dans toutes les mémoires. On ne savait plus exactement, on n'était pas d'accord. Enfin le père se décidait à essayer plusieurs paires :

 

"Petite, va chercher un journal. - Pas la peine, disait le marchand, voici un almanach." Il le tendait au père qui, posant tour à tour cinq ou six paires de lunettes sur son nez, éloignait ou rapprochait le Messager boiteux de Strasbourg. Enfin, il avait son affaire. "Et bien ! Je garde cette paire, et l'almanach aussi. Est-il aussi intéressant que celui de l'année passée ? Voyons cela."

Et tournant les feuillets, il suivait le défilé des gravures familières illustrant le haut des pages réservées aux douze mois, s'arrêtait au tableau des foires pour l'épreuve définitive de ses nouveaux yeux, tandis que les enfants, accroupis devant lui, regardaient la couverture à l'envers en se montrant du doigt la jambe de bois du messager populaire.

Quel vieux et cher souvenir que ce Messager boiteux ! On ne l'a jamais retrouvé depuis que le dernier colporteur n'est plus revenu. C'est pourtant lui qui enseignait les divisions du temps, les heures capricieuses du lever et du coucher du soleil, les phases de la lune, les douze signes du zodiaque, la liste des travaux auxquels doit se livrer un bon cultivateur, tant aux champs qu'à la ferme, pendant chacun des douze mois de l'année.

Le colporteur en vendait un dans chaque maison, et l'on était toujours sûr, lorsqu'on partait, la lanterne à la main, veiller chez les parents ou voisins, de retrouver l'almanach sur la commode, où les enfants ne manquaient jamais d'aller le prendre pour regarder une fois de plus ce qu'ils avaient déjà vu mille fois.

Après l'almanach, c'en était à peu près fini des achats; on y ajoutait encore un morceau de ruban tant désiré par les fillettes, mais quelques centimètres à peine, juste de quoi faire une chifflette (1), et une petite encore ! Le ruban mesuré, tout en rangeant ses boites, le colporteur faisait la causette. Il parlait de sa tournée, des pays où il avait déjà passé, donnait des nouvelles des connaissances. Si l'heure du repas était encore éloignée, on lui offrait de casser une croûte et de boire un verre de vin.

 

Puis il passait ses bras dans les courroies de cuir, hissait sa balle sur son dos, et, léger sous le fardeau, franchissait le seuil en laissant à la compagnie ses voeux de bonne santé.

"Merci, à l'année prochaine !", lui répondait-on; et on ne refermait la porte qu'après l'avoir vu disparaître. Mais un hiver est venu, et bien d'autres à la suite, sans ramener le colporteur. Et maintenant nous achetons nos lunettes chez l'opticien et nous avons à jamais renoncé aux délices des lectures du Messager boiteux.

1) noeud bouffant


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