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L'avènement du fourneau XVIIIe-XIXe siècles

 


Michel VERNUS historien et maître de conférence à l'université de Dijon, nous présente,dans un numéro du "Jura Français" d'avril 1990, comment le fourneau a fait son apparition dans la vie quotidienne franc comtoise vers la fin du XVIIIe siècle.

On voit comment il se perfectionne rapidement, en particulier par l'adjonction sur le côté d'un four ou d'une bouillote. Sous le foyer on place un tiroir où tombent les cendres qui seront récupérées pour les grandes lessives bisannuelles. Sur les côtés deux barres sur lesquelles on fera sécher les "pattes". On placera également sur la porte une tirette et sur le tuyau un volet qui permettront de régler le tirage. La platine à l'avant reçoit les escarbilles qui, sans elle tomberaient sur le plancher, les risques d'incendie sont ainsi réduits.

On trouve cependant des inconvénients à ce nouvel appareil. Par exemple en 1853 les officiers de santé de Dole s'inquiétaient de l'usage "des poêles en fer coulé auxquels on adapte des marmites pour la préparation des aliments, les considérant comme une cause de mort pour les malades, qui recouvrent rarement la santé dans les chambres sans issues pour en renouveller l'air".

Il y avait aussi parfois d'autres victimes tel ce chat qui dans la journée dormait sous le poêle et la nuit, quand sa place devenait froide se réfugiait à l'intérieur du four qui avait été ouvert le soir à la veillée pour que la chaleur puisse se diffuser. Un matin sa maîtresse, une foncinière, réveillée un peu tard, et craignant de manquer le début de la messe du matin, avait allumé son feu et fermé la porte du four sans tout vérifier comme elle le faisait toujours. A son retour son chat ne l'attendait pas derrière la porte, et une très mauvaise odeur sortait de la maison. Le chat avait été réchauffé ....


Source : Jura Français n°206 d'avril 1990, texte de Michel VERNUS


Depuis la préhistoire, on le sait, le feu est l'une des grandes conquêtes de l'homme. Le feu, c'est la chaleur, la lumière et la cuisson des aliments. mais c'est aussi le fléau redouté de l'incendie. La maîtrise du feu a été ainsi une longue histoire.

Le passage du feu directement dans la cheminée au feu enfermé dans le poêle s'est effectué lentement, c'est ce passage que nous voudrions suivre ici. Sur le plan domestique, la véritable domestication du feu est récente : le fourneau de fer ou de fonte en a été l'instrument essentiel. Son apparition constitue une véritable révolution domestique, car le fourneau crée les possibilités nouvelles d'une économie de combustible, assure une sécurité plus grande et une meilleure diffusion de la chaleur, enfin il apporte une autre manière de faire la cuisine.

Toutefois, la pénétration des fourneaux dans les demeures, surtout au village, s'est faite assez lentement, elle a été cependant plus précoce que l'on avait pu le croire. La période décisive, au moins pour la Franche Comté, se situe entre 1750 et 1850, passé ce cap, le fourneau est devenu d'un usage tout à fait commun.

La lutte contre le froid

La lutte contre le froid, à la mauvaise saison, a été une grande affaire, au fond mal résolue jusqu'à l'utilisation du poêle. La seule cheminée avec le feu à même le sol était bien insuffisante, et l'on avait beau se grouper autour de l'âtre, le froid était loin d'être vaincu dans les demeures, d'autant qu'il n'y avait pas de cheminée dans chaque pièce. Par ailleurs, la consommation en bois était grande, on brûlait quantité de bois pour un chauffage médiocre. Les dangers de l'incendie étaient là, qui rôdaient sans cesse, en dépit des visites de cheminées recommandées et effectuées par les autorités.

Alors, pour lutter contre le froid, on avait recours à divers moyens. On multipliait les grands fauteuils dans lesquels on s'enfonçait profondément, on se calfeutrait dans des lits clos de rideaux, qui délimitaient un précieux volume de chaleur, avec une literie abondante. En ville, dans les pièces où il n'y avait pas de cheminée, on utilisait des sortes de braseros, lesquels multipliaient, on l'imagine aisément, les fumées et les dangers d'incendie.

Le fourneau est l'appareil qui transforma les conditions de vie dans le froid. Dès la fin du XVIIe siècle, les demeures riches, les châteaux par exemple, sont pourvues de grands poêles de faïence verticaux, lesquels semblent bien venir des pays nordiques et d'Allemagne. Dans les demeures modestes, on restera longtemps encore à l'inconfort de la cheminée et du brasero.

La cuisson des aliments

Il était inconfortable de cuisiner sous la cheminée, souvent à même le sol, certes le lieu avait été aménagé de niches ou de tablettes, était pourvu de crémaillère (le crémail à anneaux), de grils, de landiers en forme de bol, où l'on pouvait faire réchauffer sauces et plats, de chaudrons, de lèchefrites, de broches, mais dans les installations les plus courantes et modestes, il fallait cuisiner baissé, c'était la tâche des femmes.

Il y eut un premier progrès au XVIIIe siècle, l'apparition dans les demeures aisées des potagers placés dans l'embrasure d'une fenêtre. Il s'agissait d'un récipient à braise, à un ou deux trous, pour cuire et tenir au chaud sur de la braise prise dans la cheminée. L'installation n'était pas munie de conduit de fumée. Le potager était un simple réchaud à braise, il peut être considéré comme l'ancêtre du fourneau. Au XVIIIe siècle, on ne construit pas de presbytère sans songer à mettre en place dans la salle du poêle, le plus souvent, un potager.

Lorsqu'il apparaît, le fourneau introduit dans la maison une autre manière de cuisiner, en particulier, il permet de faire mijoter et de cuire à petit feu (sauces, ragoûts, ...).

La diffusion du fourneau au village

 

Le fourneau de fonte, avec les marmites de même matière, vers 1900, existe dans toutes les fermes comtoises, mais quand fait-il vraiment son apparition ?

La réponse à cette question peut être fournie par le dépouillement des inventaires. Ces documents permettent de dater la présence rare ou fréquente de cet objet domestique nouveau. Signalons que le nom de poêle donné au fourneau vient sans doute de la pièce où on va progressivement l'installer : la chambre du poêle, c'est à dire, en Comté, la pièce commune, la seule chauffée, où l'on se tient habituellement. Le fourneau a revêtu le nom du lieu.

Dans les fermes, la présence de celui-ci est exceptionnelle avant 1750. Dans la décennie 1760-1770, les signes de sa présence apparaissent, ensuite dans le mobilier domestique, il devient de plus en plus fréquent. Il vaut à cette époque, selon les modèles à une, deux ou trois marmites, entre 10 et 25 livres, c'est à dire qu'il coûte un peu moins cher qu'une horloge, autre nouveauté qui apparaît parallèlement, dont la destinée est assez semblable. Dans la Haute-Saône vosgienne comme dans le vignoble jurassien ou encore dans le Haut-Doubs, ce quart de siècle qui précède la révolution est décisif.

Pénétrons dans quelques demeures paysannes. Un petit journalier en 1781 à Orgelet possédait "un poêle en fonte avec quelque tuyaux en fer battu" estimé à 12 livres. Dans la région lédonienne, Joseph VOISIN, vigneron, est propriétaire d'un "fourneau de fonte avec sa marmite et les tuyaux" , le tout estimé à 10 livres. Alexis FAIVRE, laboureur "commode" de Plainoiseau en 1778 a installé, lui, "un fourneau assorti de deux marmites" estimé à 15 livres. De même, Jean GREVOT, laboureur à Longeverne en 1778, dans une chambre "à soir" de la cuisine a un fourneau, alors que ses effets et meubles sont évalués à la modique somme de 422 livres. En Arbois, en 1783, Jean Baptiste MAILLARD, journalier vigneron, possédait lui aussi un fourneau à deux marmites. Un riche laboureur de Montbarrey en 1789, Claude François DAUTANS est équipé d'un fourneau de fonte, l'inventaire estime ses effets et biens à 2629 livres. Dans le Doubs, Pierre Joseph JACOUTOT, petit cordonnier rural, dont les effets sont évalués en 1756 à moins de 400 livres a un fourneau de fonte (estimé à 8 livres). François GRANJON, de Mathay en 1758 est propriétaire d'un fourneau de fonte "à cinq platines". Jean Blaise TOURNOUX, de Chamesey, en 1759, laboureur, qui fait aussi le menuisier, a "un fourneau de fer battu" (6 livres), ses modestes effets se montent à 382 livres. Marie Marthe GIGAUDET, de Liesle, veuve de Antoine CUENOT, en 1786, possédait "un fourneau de fonte n°18 avec sa marmite" (estimé à 21 livres). Il serait possible de multiplier les exemples.

Après 1780, la présence du fourneau tend à se généraliser. Mais peut-on préciser davantage ?

Plusieurs centaines d'inventaires, daté de 1760 à 1790, nous révèlent que , dans la région lédonienne, 5% des inventaires de paysans attestent la présence du fourneau, dans la Bresse jurassienne, sur soixante quatre inventaires de paysans, nous ne dénombrons que cinq fourneaux. Dans la montagne, la proportion, en revanche, semble plus forte, on s'est équipé plus du fourneau en prévision du long hiver. Cela est vrai pour le Haut-Jura dans la région de Saint-Claude, mais il en va de même pour le Haut-Doubs. Dans le baillage de Pontarlier, sur 122 inventaires de paysans ou appositions de scellés, le fourneau est attesté entre 1766 et 1787 à 25 reprises, soit environ 20%.

Il arrive que l'on puisse parfois saisir l'achat sur le vif. Ainsi voit-on, le 16 novembre 1772, Anne BRENOT, veuve d'un laboureur, acheter à Poligny, chez JULIEN, le marchand de fer, un fourneau neuf. Elle n'a pas la somme suffisante, elle s'en va trouver le notaire auprès duquel elle obtient un crédit; dans un acte, elle reconnaît lui devoir 21 livres "pour reste du prix d'un fourneau de fonte assorti de sa marmite et de ses tuyaux". Elle s'engage à payer ladite somme avant le terme du 15 mai prochain.

Où alors acheter ce fourneau ? Chez le marchand de fer ou le marchand cloutier. Voici Pierre MARMIER, maître cloutier à Lons le Saunier, il tient boutique dans sa demeure, rien d'étonnant, il a fait installer, cet homme prévoyant, deux fourneaux de fonte. Mais dans sa boutique, en 1778, il offre un choix complet de fourneaux , au milieu des chenets, des platines, des poids d'horloge, des marmites de fonte de toutes tailles. Vous avez là, la possibilité de choisir entre 17 fourneaux potagers et 13 fourneaux "à marmites" qui vont du numéro 30 au numéro 12. Selon votre choix, il vous en coûtera entre 8 et 18 livres. La marchandise de toute la boutique est estimée à 3805 livres. Cette humble boutique montre que le fourneau est déjà en train de gagner la partie.

Ainsi, dès avant 1789, le fourneau au village a déjà amorcé la conquête, qui en fera un objet commun au XIXe siècle.

Il est, ou bien installé sous le manteau de la cheminée, en ce cas, le conduit monte directement, ou bien au devant de la cheminée, le raccord des tuyaux passe alors devant la corniche et pénètre un peu plus haut dans la hotte. En tout état de cause, la pénétration du fourneau est un épisode important de la conquête du confort domestique.

Une grande industrie comtoise

 

La production des fourneaux est fille de cette métallurgie comtoise si active au XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe siècle. La fonderie fut d'abord une activité annexe des usines métallurgiques comtoises. Les fourneaux furent coulés dans les sableries, partie de l'usine, où avaient lieu les opérations de fonderie. Celle-ci a été d'abord une activité annexe, puis au XIXe siècle, elle devint l'activité principale. On fabriqua des fourneaux, là où on coulait d'abord des taques, des marmites de fonte ou encore des boulets de canon.

La production des fourneaux de fonte connut un grand essor, et son apogée, entre 1800 et 1850. Au milieu du siècle une douzaine d'usines produisait en Franche Comté des fourneaux. telle FALLON, dans les Vosges saônoises, là surtout dans la basse montagne, on s'équipait "du fourneau de Fallon dit à quatre marmites", telle aussi Magny-Vernois, dont la fabrication des fourneaux de cuisine est attestée dès 1806, puis plus tardivement après 1826, Baignes, Baudin, Foucherans. Dès 1825, sept usines fabriquaient des fourneaux. C'est dire combien la demande était grande. Dès lors, l'équipement des demeures villageoises marcha bon train.

Les fourneaux produits devinrent rapidement d'une grande variété. Dès le XVIIIe siècle, les fabricants produisaient des séries de tailles différentes, dont les modèles portèrent des numéros. Puis on fabriqua des fourneaux ronds, ovales, carrés ou allongés. Le modèle qui s'imposa fut celui à quatre trous, avec deux grosses marmites devant, et deux petites derrière, ce qui donna cette allure évasée à l'avant et rétrécie à l'arrière, si caractéristique du modèle. On spécialisa certains modèles, à la silhouette évasée et ronde, pour la lessive.

Deux exemples de fabrication jurassienne

Les forges de Baudin installées sur la commune de Toulouse aux portes de Sellières, sont le résultat d'un transfert du haut fourneau de Frontenay par arrêt du conseil de 1783 au Moulin-Baudin, sur les bords du ruisseau de la Braine. L'usine ne "roulera" qu'à partir de 1795-1796. Ce n'est que vers 1820-1825 que l'on commença à faire quelques fourneaux à deux marmites avec une vingtaine d'ouvriers. Vers 1850, on y fabriquait surtout des fourneaux et alors, l'usine roulait avec une centaine d'ouvriers. Ainsi, les forges de Baudin, avec d'autres, exploitèrent un vaste marché alors en pleine expansion. La fabrication des cuisinières dura longtemps, les forges fermèrent en 1958.

A peu près à la même époque à Dole, les GUYON, Benoît-Joseph et Claude, deux frères serruriers à l'origine, établirent rue du collège des ateliers de fabrication de "fourneaux économiques". Ces ateliers diffusèrent en particulier des poêles à trois marmites chauffés, soit au bois, soit à la houille, soit simultanément à la houille et au bois. Ils livraient aussi "des poêles ou fourneaux économiques à deux marmites avec un bain-marie, un four, une place à rôtir, une tablette servant de potager (8 numéros pour cinq ou six personnes jusqu'à trois cents).

Voici ce que dit un rapport sur les activités des frères GUYON, en date de 1834 :

" L'innovation des fourneaux économiques de cuisine en fonte appartient à MM. GUYON frères, ils ont été brevetés en 1823 et 1833. Ces fourneaux offrent sur tous les autres des avantages tels que le débit s'en est successivement accru et qu'il est porté maintenant à un chiffre considérable. En 1828, au début de l'entreprise, le nombre des fourneaux vendus n'a pas été de plus de trois cents et cette année il s'élève déjà au-delà de sept mille. En définitive MM. GUYON frères ont placé jusqu'à ce jour près de trente mille numéros de leurs produits. Les fourneaux qui sortent de leurs ateliers, dont le principal est situé à Dole, rue du Collège, sont de deux espèces :

Les premiers, qui sont à trois marmites avec four et bouilloire ou sans bouilloire, se divisent en quatre modèles de diverses dimensions. Les seconds, genre meuble, offrent neuf grandeurs. Le numéro 1 de cette dernière série suffit à l'ordinaire à six ou dix personnes avec le même feu et le numéro 9, le plus grand de tous, peut servir pour trois cents personnes. Le système d'organisation et de mise en feu est le même pour chacun de ces modèles. A partir du numéro 5, les numéros ne sont plus achetés que des grands établissements, tels que les collèges, pensions, hospices, communautés. La fabrication de ces fourneaux, dont le montage seulement se fait dans les ateliers à Dole, occupe d'ordinaire une quarantaine d'ouvriers".

Ces produits se vendaient localement en France et même à l'étranger. En 1846 la fabrique de fourneaux occupait 82 ouvriers. Claude GUYON était maître de forges à Foucherans. Mais à Dole les GUYON n'étaient pas les seuls à exploiter un marché en pleine expansion. VUILLAMY-FLEURY avait obtenu un brevet d'invention pour des poêles de cuisine en fonte. Il les faisait fabriquer dans les forges des environs. Son commerce se montait à la valeur de 80000 francs annuels, grâce à des ventes effectuées en France et à l'étranger. Ses magasins étaient installés à Dole, rue de la Boucherie.

Ainsi l'histoire du fourneau de cuisine appartient-elle à l'histoire de la vie quotidienne comtoise, mais aussi à l'histoire industrielle de notre province, qui a su développer une fabrication originale, à partir des conditions climatiques qui lui étaient particulières, mais aussi à partir d'un savoir-faire métallurgique qui remontait haut dans le temps.


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