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La société féodale

le recrutement des armées


texte tiré des "Recherches historiques sur les Foncines" de Jean-Baptiste MUNIER

Les sires de Châlons faisaient marcher les gens des communes dans leurs guerres, même à l'extérieur; nous voyons, en 1443, que Louis de Châlons écrit à son châtelain de Jougne de lever pour lui trente arbalestriers des meilleurs et plus habiles à Rochejean, autant à Jougne, ce qui nous indique combien l'exercice de l'arbalète était en usage dans nos terres de montagnes, et combien les sires de Châlons, nos suzerains, car Château-Vilain était de leur dépendance, étaient puissants, puisqu'en 1445 ils comptaient plus de 7000 ménages dans leurs terres. Leurs revenus étaient de cinq cents mille francs (valeur 1875) d'après les calculs d'Alix de Châlons. D'après ce tableau, Châtel-Blanc figure pour un revenu de 50 francs, Vers 300, Jougne et Rochejean 800, la Rivière 1000, Nozeroy 4000, etc ...

Les guerres incessantes de nos seigneurs avaient fait que le peuple de nos montagnes était toujours en armes. Le paysan lui-même au labourage, portait la dague et le glaive au côté, il était ainsi représenté dans les monuments de l'époque; M. Monnier qui a observé ce fait souvent dans les monuments du XVIIe siècle cite dans son annuaire de 1845, ce paysan de Septmoncel qui disait "qu'il convenait pour porter les armes et se défendre à toute heure, n'y ayant rien de certain ni assuré pour sa vie"; parmi les monuments du XVIe siècle, M. Clerc a vu un dessin original du parc de Nozeroy, où un cultivateur laboure portant l'épée à sa ceinture.

C'est vers 1543 que Charles-Quint s'occupa d'organiser militairement la Franche-Comté et le pays avait grandement besoin de cette organisation; en effet, lorsqu'il survenait une guerre ou qu'il s'agissait de repousser une attaque, que faisait-on ?

Les barons réunissaient sous leur bannière leurs vassaux respectifs dont le nombre variait selon l'importance du fief. Le contingent était fixé, dans un acte du 19 juillet 1465, à un homme par vingt feux et suivis de cette petite troupe, nos seigneurs marchaient à l'ennemi. Voilà de quelle manière se recrutait l'armée en Franche-Comté, c'est ce qu'on appelait le ban et l'arrière-ban, dont on attribue l'institution à Charlemagne. C'était la convocation que le roi faisait faire à cris publics des gentilshommes et des tenanciers de fiefs pour servir dans les armées. A chaque convocation, un édit du roi déterminait la durée du service; le roi appelle aux armes d'abord les grands feudataires, c'est le ban, puis ceux-ci convoquent leurs vassaux, c'est l'arrière-ban. Cette organisation avait duré près de huit siècles lorsque notre souverain vint la modifier; il calcula que sur la population de notre province il pouvait, sans porter atteinte aux intérêts agricoles et commerciaux, prélever une armée entière de 12000 hommes qui veilleraient constamment à la garde du sol, et voici ce qu'il ordonna : dix mille cinq cent hommes, pris parmi les artisans, les paysans et les gens sans profession, devraient composer l'infanterie en se répartissant de la manière suivante : 4000 piqueurs, 3900 arquebusiers, 2000 mousquetaires, 300 hallebardiers et 300 rondachiers, ainsi nommés parce qu'ils portaient une espèce de grand bouclier appelé rondache. Les quinze cents autres choisis parmi les nobles. Les écuyers et les gens de suite devaient former la cavalerie; les nobles et les écuyers se servaient de la lance; les gens de leur suite avaient une arquebuse à rouet.

En outre un corps de réserve était créé pour tenir toujours au complet le cadre de l'armée active, c'est à dire pour remplacer au fur et à mesure des besoins les hommes qui, par suite de maladie ou de mort, manqueraient aux drapeaux. Les châteaux forts étaient défendus par les retrahants, dont le service et les devoirs avaient été fixés par une ordonnance de Jean-sans-Peur, datée de Courtray, 31 août 1408. Cette ordonnance prescrivait à tous sujets et habitants en temps de guerre de se retirer, eux et leurs biens, dans les forteresses de leurs seigneurs et d'y faire chacun à leur tour le guet selon les ordres qu'ils recevraient des capitaines de de ces châteaux. Les habitants de Chaux des Crotenay, Entre deux Monts, Crans et Cize, étaient retrahants des châteaux de la Chaux. Les Foncine, les Planches, les Châlesmes, Treffay, étaient retrahants de Château-Vilain, Bief des Maisons était pour moitié de Nozeroy et pour l'autre de Château-Vilain.

L'affranchissement des communes avait modifié le ban et l'arrière-ban, car toutes ou presque toutes les chartes d'affranchissement permettent aux bourgeois de se réunir en armes sur l'appel du majeur ou des échevins, d'élire des dizeniers ou centeniers, ce qui donna lieu aux élus qui étaient de véritables soldats comme l'étaient ceux du ban et de l'arrière-ban et devant le service militaire complet.

Le ban et l'arrière-ban étaient la convocation des nobles et des tenanciers de fiefs, l'appel des élus, celle des communautés qui, lorsqu'il y avait péril de guerre, devaient choisir un ou plusieurs hommes, selon l'importance de la commune. Les communautés ne pouvaient présenter que des hommes reconnus robustes et "pratiques à la guerre"; ils devaient être agréés par les capitaines. C'étaient les communautés qui équipaient et armaient les élus.

Les villes et communautés de Franche-Comté devaient fournir 5640 hommes. Chaque bailliage devait fournir un régiment de 1880 élus qui devaient être fournis par les communautés du bailliage, proportionnellement au nombre des feux de chacune. La répartition était faite par quatre commissaires, deux étaient choisis par le gouverneur et deux par le parlement. Il parait que le contingent de la commune des Foncine et des Planches était de deux élus. On voit figurer comme élus de ces communautés le Roz de Foncine et l'Antoine, chez André de Foncine le Bas (1).

L'élu une fois choisi devait servir tant qu'il vivait et pouvait être utile sans pouvoir être excusé ni licencié, si ce n'est par les colonels et encore, ne pouvaient-ils le faire qu'après avoir entendu les observations des communautés et sans qu'au même instant l'élu sortant ne fut remplacé par un homme fourni par la même communauté. En cas de désaccord entre les colonels et la communauté, le jugement était réservé au gouverneur de la province.

Toutefois si l'élu était perpétuellement soldat, il n'était pas perpétuellement sous les armes. Il ne devait prendre les armes et se rendre au lieu où il était convoqué que lorsqu'il y avait péril de guerre légalement dénoncée et son service cessait au bout de six semaines, comme celui du ban et de l'arrière ban et il n'était tenu de guerroyer que dans les limites de la province, sans pouvoir être jamais d'en franchir les frontières; des revues des élus avaient lieu une fois par année.

Chaque compagnie d'élus se composait de deux cents hommes de pied et de dix chevaux. Les élus étaient soldés et équipés aux frais des communautés, elles fournissaient aussi les chevaux; le service une fois fini, l'élu devait rendre le cheval à la communauté, cette organisation cessa après la conquête par Louis XIV. Les armées se composaient alors de jeunes gens recrutés par des émissaires spéciaux qui reçurent le nom caractéristique de raccoleurs.

Longtemps ce système de recrutement suffit aux besoins des armées françaises et toutes les guerres du règne de Louis XIV furent faites avec des hommes engagés ou censés engagés volontairement, car les racoleurs avaient à leur service, pour provoquer les engagements, beaucoup de ruses qui ont fait longtemps l'objet d'un grand nombre d'anecdotes populaires (2).

"Les officiers, dit M. Jobez, avaient recours à toutes sortes de moyens pour tenir les compagnies au complet au meilleur marché possible. Le ministre de la guerre était assiégé de réclamations de jeunes gens qui affirmaient n'avoir consenti à s'engager que sous l'excitation de l'ivresse; des pères de famille se plaignaient que leurs fils eussent été enrôlés avant l'âge de seize ans. Des recruteurs demandaient qu'on forçât leurs recrues à rejoindre leurs régiments".

Il est facile de comprendre qu'une armée ainsi recrutée n'avait pas droit à beaucoup d'égards; aussi l'administration avait-elle peu de soucis du bien-être des soldats, qui menaient sous les drapeaux une vie des plus dures; aussi le soldat français était redouté de ses compatriotes presque autant que des étrangers.

L'établissement des milices provinciales commencé en 1726, est définitif en 1773. Elles présentaient beaucoup d'analogie avec la garde nationale mobile qu'on établit plus tard. Il suffit de savoir que le comté de Bourgogne devait fournir deux régiments appelés de Salins et de Vesoul, composés de 3550 hommes, que nos miliciens du canton des Planches faisaient partie du régiment de Salins.

 

1) Conte de Vise-lou-bu ou le soldat de Foncine

2) Annuaire de 1868 M. Jobez, 2e volume


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