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Les schlitteurs des neiges

 


Un explorateur, au tout début du 19e siècle, avait décrit une pratique tout à fait originale de débardage, dans les hauts plateaux jurassiens.



Extrait du "Progrès" du 2 novembre 1994

Le 9 nivose an 9, c’est à dire au mois de décembre 1802, le citoyen Joseph Marie Lequinio (1755-1814) agent forestier, mais surtout ci-devant coupeur de têtes pendant les époques sanglantes de la révolution, publiait un fameux ouvrage au titre rébarbatif : "Voyage pittoresque et physico-économique dans le Jura".

A l’origine, la convention avait envoyé son zélé représentant dresser un état du nouveau département. La lenteur des déplacements explique que l’ouvrage achevé, soit finalement dédié au premier consul Bonaparte.

Lequinio a donc parcouru le Jura du nord au sud, du levant au couchant. Il est passé par toutes les villes importantes et c’est grace à lui que l’on connaît, les circonstances de l’incendie qui détruisit pratiquement la totalité des bâtisses de Champagnole le 8 floral de l’an 6.

Quelques jours plus tard, Lequinio après avoir visité Sirod et Foncine, arrive par les Entrecôtes, à Arsure-Arsurette, villages jumeaux proches "à six quart d’heure, à l’est de Sirod". Comme tout arrivant il est frappé par la position du site "au pied d’un coteau fructueux de 300 pieds de hauteur perpendiculaire, par dessus lequel s’élève presque à pic un rocher stérile haut d’environ cent toises".

Cette barre rocheuse qui limite l’horizon et ferme presque hermétiquement la "Baroche" vers le levant, est bien sûr la Haute Joux, que les locaux appellent ici la "Côte".
En fait, la présence dans l’ouvrage des modestes villages n’est justifiée que par l’observation d’une technique particulière. Cette côte bien sûr est couverte de forêts. Le plateau à ses pieds, est presque entièrement voué aux pratiques agricoles et les villageois sont donc obligés d’aller exploiter, pour leur chauffage ou pour le bois d’œuvre, les pentes et les sommets voisins.
Or le versant possède un pendage tout à fait inquiétant qui interdit de toutes façons le "charroyage".
D’ailleurs quelques sentes seulement "pas une toise de large, presqu’à pic et comme limées par le rocher", assurent, si l’on peut dire, la vidange du massif.

Alors les rudes paysans, pendant la belle saison, coupaient et empilaient leur bois dans la partie supérieure de la Côte. Le "tas" attendait là les premières neiges qui, immanquablement dans ces altitudes, sont au rendez-vous du tournant saisonnier de la fin de l’année.
Le paysan hissait alors un traîneau, fabriqué ordinairement en sycomore "de quatre pieds et demi de long, environ un pied et demi de large et quatre pieds de haut" sur lequel il arrangeait  ce que pourrait à peut près porter quatre ou cinq hommes vigoureux. Puis "le clocher" empoigne les deux timons verticalement en tête de voiture, s’arqueboute à la charge et commence à dévaler la Côte.
En une minute le convoi "volant" sur le sentier glissant, gouverné à coups de talons, arrive dans les prairies inférieures quand un homme normal met, au mieux, un quart d’heure pour descendre.

Cette pratique, évidemment, s’ apparente au fameux "schlitte" vosgien, la seule différence étant la surface glissante utilisée, un chemin de rondins là-bas, la neige ici. Arsure depuis longtemps a oublié ses schlitteurs des neiges, seul perdure le souvenir des traîneaux aux timons courbés.

Pourtant, un sentier bien particulier, aujourd’hui sectionné plusieurs fois par les routes modernes, conserve dans sa désignation, même le bruit des patins dévalant les pentes.
Le "Delevret" était encore au début du 20e siècle, la liaison la plus directe entre le "haut", derrière la ferme "Bouquillon", et le pied de la côte entre Arsure et Bief des Maisons. Son nom doit bien posséder en patois local une parenté avec la notion d’avaler rapidement les pentes. L’embroussaillement du parcours, bientôt ne laissera plus que dans une section du cadastre local, le souvenir de ces pratiques ancestrale et ô combien sportives.


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