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La Vouivre

 


De toutes les créatures qui hantent le Jura, la Vouivre, dont le nom dériverait du latin vipera, en est sans conteste la reine. Depuis la nuit des temps, la Wivre comme la nommaient déjà les celtes, sillonne notre ciel. Marcel Aymé la dépeint sous les trais d'une jeune fille sensuelle et farouche, beaucoup la décrivent comme un serpent ailé qui apparaît la nuit, se déplaçant vite et surtout, portant à son front, une énorme pierre précieuse qui donnerait à celui qui s'en emparerait, un pouvoir extraordinaire. Voici deux textes la concernant. Le premier, tiré de "l'Héritage de la terre Franc-Comtoise" de Bernadette Maréchal, met en scène une assemblée de personnages recevant l'étrange visite d'une fée qui leur apprendra ce qu'elle connaît de la Vouivre. Le second, tiré des "Mystères du Jura" de Roger Jay nous liste les différents endroits où elle fut aperçue.

le Hérisson, novembre 2005

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Dans le texte suivant, extrait de"L'héritage de la terre Franc-Comtoise" de Bernadette Maréchal, un soir dans une clairière, une assemblée, reçoit l'étrange visite d'une fée qui leur parle de la Vouivre.


La Vouivre, trop de témoins l'on vue, trop de personnes l'ont étudiée pour que nous osions en nier l'existence !

Une voix douce et féminine soudain s'élève. Et cette voix de nulle part, nous étreint ... C'est une voix étrange, si légère et si pure qu'on la dirait chantée dans le vent par une fée de légende.

Dans le ciel étoilée, elle volait gaiement,
De châteaux en donjons tout à son agrément,
Aux ruisseaux, aux fontaines, elle aimait s'abreuver,
Et aux fleuves limpides souvent elle s'est baignée.

Le silence envahit la clairière et, à nouveau, le vent glisse sur le sol et sur nos joues, la caresse furtive de son souffle tiède et parfumé. Une étincelle s'envole du foyer et trace dans la nuit, un signe mystérieux. Une forme blanche et vaporeuse s'approche lentement; on la distingue mal, son voile léger teinté de lune, se mêle à la fumée opaque et scintille des mêmes éclats éphémères que les étoiles du ciel ...

Mais la belle escarboucle brillant à son front,
Attisa la rancoeur du pauvre Montagnon,
Belle vouivre dorée, mon âme pleure encore,
Pour ce triste manant qui a voulu ta mort ...
L'histoire nous l'a dit, peu de jours il vécut,
De ton oeil qu'il vendit, tira bien mille écus,
Qui tournèrent matin en mille éclats de buis ...
Belle vouivre dorée, reviens nous cette nuit !

Maintenant on la voit ! Oui c'est une fée ! les fées de notre enfance ... Si belle que nul ne peut décrire ...

Source du Lizon

Si immatérielle qu'on la dirait voler ! ... Chacun est pétrifié et l'instant d'une seconde, une angoissante impression d'être seul, vivant, parmi les personnages d'un théâtre de cire ... Que se passe-t-il donc ici !!

Et la belle s'est tue et coule vers le feu son regard baissé.

Son regard inquiétant qu'elle emprisonne sous ses paupières d'ivoire, mais qui brûle ses cils d'un éclat d'émeraude. Et sa voix reprend à nouveau, un chapelet de notes qui tintent dans l'espace comme des campanules :

- On m'appelle Mélusine ... et souvent me confond avec vouivre dorée, le peuple des campagne. Femme serpent je suis, serpent ailé elle est, qui traverse la nuit pour boire aux sources claires. Vêtue d'écailles noires, elle porte sur le front une petite boule brillante comme la lune. Au creux de la source, elle fouette l'eau de sa queue et provoque l'écume. On la voyait s'y reposer, tranquille, au fond de l'eau ou brille sa lumière.

Quand elle traverse le ciel, les enfants ferment les yeux et les vieillards se signent. On appelait "château de la vouivre", les murgers. Elle est à Barésia au murger de la vouivre, elle est une rivière tout près de Champagnole et a donné son nom à de nombreux lieux-dits, "Vouaivre", "Vaivre", "Voucho", "Givre". Elle est serpent de feu, ailé et lumineux. Elle est petite ou grande et porte une escarboucle ardente comme une braise, de valeur inestimable. Lorsqu'elle se baigne, elle doit le déposer sur la berge sablonneuse dans la mousse ou les buissons touffus, mais alors, sans cet œil magnifique, elle devient aveugle, inoffensive et ne peut vivre longtemps. Pour briller plus encore, elle colle sur son corps, pierres précieuses, or ou bijoux dérobés. Elle habite en châteaux et donjons ruinés, cavernes et abbayes. On la rencontre à la fontaine miraculeuse du Héron de Ruffey quand elle siège à Arlay. Elle est au château de l'Aigle, s'envole d'Oliferne à Dramelay.

Cascades du Hérisson

La vouivre du Mont rond y défend un trésor; elle en chassa un voleur qui, priant la sainte Vierge, parvint à se sauver vers les premières maisons où il s'évanouit. Il fit construire en souvenir de sa grâce accordée, un oratoire à Marie.

On tenta de lui ôter son trésor à Valempoulière en 1818. Elle y buvait à la source de la Doye. En val de Mièges, elle est gardienne de grandes richesses au communal du pré du seigneur Fraroz et ne sort qu'à la chandeleur. Pour qui sait la voir, elle vole dans la nuit, de Mirebel à Montmorot, Orgelet et Dramelay jusqu'à la Tour-du-Meix, à Chatel de Joux et même à Lonchaumois à la fontaine de la Corbière ...

Celle de Jasseron fut célèbre. Elle se baigne dans l'Ain, la Bienne et la sernière, dit-on, fit tuée à Condes. En 1835, on vit une vouivre à Pagney. Un habitant descendu dans un gouffre s'y trouvera confronté et on la vit traverser les airs comme une barre de feu pour aller boire, son diamant posé à côté d'elle. En 1850, on la vit aussi traverser la Loue près du pont de Belmont pour aller du Mont Roland à la vieille tour de Vadans. On la vit à Bans en route vers Vadans. Son corps de serpent, ses ailes, son escarboucle et un globe lumineux qui paraissait la précéder d'une coudée y répandront une grande lumière ... On la voit aussi à la fontaine au pied du château de Chambéria, à Chisséria, à Dramelay où elle voltige souvent dans le bois de la fée à la base de la montagne pour s'en aller ensuite dans la tour de Montcroissant. A Cressia, à la source de Belle-Brune, au château d'Étoile, à la fontaine du Bonhomme, au château de Fétigny, à la source du ruisseau de Dessous-roche, à Larnaud, à l'étang de Tartres, à Marigna sur Valouse où elle boit tous les soirs au ruisseau de Valouson, dans la forêt de Leute près de Marigny, elle vole d'une montagne à l'autre au-dessus du lac de Chalain, on la voit aussi s'envoler du château de Mirebel à celui de Montmorot.

source du Lizon

D'ailleurs, Gargantua, lorsqu'il ouvrit la roche de Cogna pour boire au ruisseau du Drouvenan tarit sa source et notre vouivre dut désormais aller à la fontaine "sous les blanchets". Elle hante les châteaux de Presilly, Binans, Publy, Beauregard, d'Augea, du Frasnois, de Passenans, Pelapucin près de Rothonay, de Vernantois, de la Roche Thévenot près de Saint-Hymethière d'où elle partait chaque soir vers la Valouse, du Mont Poupet près de Salins, de Vaugrenans près Pagnoz, où on la confond parfois avec un monstre gardant un trésor; trois jeunes gens tentèrent de dérober ce dernier lorsque l'horrible créature les chargeant sur son dos, en déposa un au sommet du Mont Poupet, le deuxième dans la forêt de Chaux et le dernier dans les fossés du château de Vadans. Elle boit aux fontaine de Feurs, la Tour du Meix, à la Serpentine à Chapois, à la fontaine du château d'Aresches, à celle de Viaux de Medzet, elle se baigne dans la source du ruisseau de Dessiège, on la voit près de Champagnole à la côte de Montrivel. On la connaît à Poligny sur l'ancienne terre de Colonne, à Bersaillin, au Châtelet, à Chemenot. On jurait sous serment avoir vu la vouivre aux Bouchoux, à Saint-Claude, à Saint-Laurent en Grandvaux, à Moirans, à Morez ... Chacun avait sa vouivre ... celle de la Chaux du Dombief vole des ruines du château de l'Aigle jusqu'au lac puis aux ruines du monastère d'Ylay ...

Près d'Echalon, en Bugey, au lac Genin, lieu bénéfique au corps et à l'esprit, existait un château occupé par une princesse très belle mais aussi très cruelle. Elle terrorisait ses serfs en leur réclamant de grandes parts de leurs récoltes. Elle reçut un jour, la visite d'une dame de noble allure qui l'entretint des qualités de coeur et de l'amour du prochain ... et la cruelle princesse devinant que sa visiteuse parlait contre elle, entra dans une grande colère et la fit jeter dehors ... sans se rendre compte qu'elle offensait ainsi une fée ! En punition, elle fut transformée en vouivre ... Dès lors on la vit déposer son escarboucle sur les berges du lac avant de s'y baigner. Cette vouivre du lac Genin est redoutée de tous; elle causa la mort de plusieurs paysans ... aujourd'hui encore, cachée au fond des eaux profondes, elle y entraîne les imprudents qui osent s'y attarder.

gorges de la Langouettes aux Planches en Montagne

La vouivre de Condes est morte ... un habitant du village l'a tuée. Il apporta un cuvier à l'endroit qu'elle affectionnait et se glissa dessous. Il demeura là, sans faire de bruit et quand la vouivre déposa son diamant sur le pré, il réussit à sen emparer. La bête, lorsqu'elle s'aperçut du larcin, se précipita furieuse contre le cuvier. Mais notre rusé compère en avait hérissé l'extérieur de clous pointus. La vouivre s'embrocha et périt de ses blessures. Mais l'homme ne jouit pas longtemps de son trésor, il mourut peu de temps après, sans avoir pu trouver quelqu'un au pays assez riche pour lui payer l'escarboucle. On ne sait ce qu'est devenu cet inestimable joyau.

La vouivre est une figure comtoise, sans doute un des souvenirs les plus importants qu'ait laissé en France la tradition celtique. Elle est la survivante de ces divinités des sources qu'adoraient les gaulois et qui se comptaient par milliers, elle a transporté à travers les âges, l'une des croyances les plus populaires de la Gaule antique. Cette croyance fort répandue à son époque, où la conquête romaine était toute récente, Pline l'Ancien la rapporte en ces termes :

"en outre, il est une espèce d'oeuf en grand renom dans les Gaules et dont les Grecs n'ont pas parlé. En été, des myriades de serpents se rassemblent et s'enlacent collés les uns aux autres par leur bave et par l'écume qui transpire de leur corps, ils façonnent une boule appelée oeuf de serpent. Les druides disent que cet oeuf est soutenu en l'air par les sifflements des reptiles et qu'il faut le recevoir dans un manteau avant qu'il ait touché terre. En outre le ravisseur doit s'enfuit à cheval car les serpents le poursuivent jusqu'à ce qu'il ait mis une rivière entre eux et lui. Cet oeuf est reconnaissable à ce qu'il flotte sur l'eau même attaché à un morceau d'or ...J'ai vu moi-même un de ces oeufs, qui était de la grosseur d'une pomme moyenne ..."


Le texte suivant est extrait des "Mystères du Jura" de Roger JAY, éditions "La Taillanderie


le Hérisson

Les vouivres du Jura

Elles sont partout. Chaque village veut sa vouivre, et pour la justifier tout est bon : les ruines, les grottes, les sources, les puits, un creux de ravin ou une pierre dressée … cela fait trop et nuit à sa crédibilité. Il semble difficile de leur trouver une justification, un enseignement, et les rapporteurs de cette croyance en la traitant "par dessus la jambe" ne sont parvenus qu'à la déconsidérer. On peut le regretter, car l'importance de la présence des vouivres sur ce sol particulier doit forcément avoir une raison profonde. Son mystère réside bien chez nous. On la décrit comme on peut.

Simple couleuvre ou bête monstrueuse, et même sous la forme d'un "taureau emplumé" à Vaugrenans. Un bon expert du village de Bans apportait son propre témoignage à Charles Beauquier, vers la fin du XIXe siècle. "Je ne vous raconterai pas, avec les bonnes femmes, qu'on a vu la vouivre se baigner dans la rivière de la Cuisance, mais pour l'avoir aperçue dans les airs, c'est un fait positif. Une nuit, mes yeux furent frappés d'une grande lumière, je les levai vers le ciel et je distinguai clairement le serpent de flamme. Vous l'eussiez pris volontiers pour une étoile filante, un météore".

Dans les ruines de la forteresse d'Arlay, que Louis XIV fit démanteler, logent bien évidemment toutes sortes de reptiles. Avant d'être remplacés par des faux-monnayeurs, qui trouvèrent là une cachette repoussante aux curieux, le serpent ailé gardait un trésor dans ses caves voûtées. A la même époque que le précédent témoignage, Bonaventure Abry , d'Arcier rapporte ceux de quelques vieillards : "Elle mesurait 12 à 15 pouces ; elle n'était point malfaisante et avait la gueule trop petite pour pouvoir mordre. Sa tête était pourvue d'oreilles; elle manquait de pattes, mais elle possédait des ailes semblables à celles de la chauve-souris. Elle se nourrissait d'insectes et de reptiles et n'avait jamais touché aux fruits des vergers ou des vignes. Elle sortait rarement et seulement pendant les nuits d'été très obscures. On l'apercevait alors très facilement, car l'extrémité de sa queue était lumineuse comme celle d'un vers luisant, et de son vol rapide elle laissait derrière elle comme une traînée de lumière. Les habitants ne la redoutaient pas; lorsqu'ils la voyaient, ils considéraient la chose comme un présage heureux, et celui qui était sur le point d'entreprendre une affaire de quelconque importance, attendait souvent qu'elle se montrât pour se mettre à l'œuvre. Il paraît que, vers 1720, un soldat lui ayant tiré un coup de fusil, elle disparut pour toujours".

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A côté de cette couleuvre, il faut opposer la vouivre de Pugney, découverte dans un gouffre qu'un effondrement de terrain révéla en 1835. Un homme s'y fit descendre, la légende le nomme Dole, le Journal de Dole du 25 septembre 1965 le prénomme Jacques et rapporte la description qu'il fit du monstre : "Un énorme serpent d'une vingtaine de mètres de long et de près de 2m de grosseur. Une monstrueuse crête en dents de scie parcourt tout son corps qui est recouvert d'écailles grosse comme des boucliers. Sa tête, hideuse et plate, porte sur son front un œil énorme, lumineux, éblouïssant. Ses courtes pattes trapues ne lui permettent pas une marche rapide".

En dessous de Clairvaux, une espèce de minotaure écumait les rives de l'Ain, et les habitants de Soucia durent conclure un marché avec lui pour limiter ses dégâts. Deux vierges lui seraient offertes tous les ans. Les jeunes gens à marier ne l'entendirent pas de la même façon; une année pour sauver les victimes prochaines, ils s'attaquèrent au dragon. Dans l'affrontement, le monstre reçut plusieurs blessures, mais à chaque fois il suçait le sang qui en coulait et en recevait des forces nouvelles. Malgré leur vaillance, les garçons durent donc battre en retraite, ils allèrent prendre l'avis d'un spécialiste du problème, c'est à dire qu'ils invoquèrent Saint-Georges. Le jour de sa fête, ils affrontèrent à nouveau la bête alors que s'abattait une exceptionnelle froidure; cette fois le sang du dragon gela à chacune de ses blessures et il en mourut.

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A côté de ces monstres, on trouve d'autres fausses vouivres que l'on va jusqu'à appeler fées, puis sirènes, femmes serpents, et même Mélusine comme à Vadans les Arbois. Cette Mélusine est à considérer tout à fait à part; cette princesse d'Albanie condamnée pour parricide à l'état de demi-femme et de demi-poisson, est à l'origine de la maison des Poitiers par son mariage avec le sire de Lusignan, ou avec Raimondin, fils du comte de Forez. Que ce soit l'un ou l'autre, on peut s'étonner que ces seigneurs, qui eurent une nombreuse descendance, ne s'aperçurent que bien tard de sa nature ...

Voici un autre phénomène, que l'on confond aussi avec Mélusine par son origine et avec la vouivre par son nom. La châtelaine de Vaugrenans fut elle aussi métamorphosée en bête hideuse en punition de ses crimes, il s'agit ici d'une diablerie puisque son nouvel état lui permettait d'autres méfaits. Femme ou bête, elle terrorisait le pays. Le fils de la châtelaine, chevalier nommé Georges comme de juste, se devait de combattre ce dragon et de le vaincre. Ce qu'il fit sous les yeux de Saint-Michel, autre spécialiste.

- Quel est le sort réservé au fils qui tue sa mère ? demanda le chevalier.

- Il doit être brûlé ! répondit l'archange.

Alors Georges s'immola. Il ne resta de lui qu'un tas de cendres, une jeune fille qui passait le remua du pied, elle y trouva une pomme de paradis et la croqua. Aussitôt elle devint grosse et accoucha d'un garçon. C'était Georges. En Saône et Loire, d'après une autre légende similaire, c'est une étincelle qui engrossa la fille à Berzé.

Près de Valempoulières existent les ruines d'un château qui fut rasé en 1479 sur ordre de Louis XI. Comme de juste, un trésor y était caché et comme de bien entendu une vouivre y veillait. Au mois d'août 1808, trois hommes débarquent en ville, ils possèdent des informations, des plans qui doivent les mener jusqu'au trésor estimé à 3 millions de francs. Lorsqu 'ils l'auront exhumé, ce qui ne fait aucun doute au vu de leur documentation, le partage sera ainsi fait : un million pour l'Etat, un pour eux, un pour les habitants. Le rêve !

Mais les trois chercheurs ne possèdent encore aucun moyen financier pour entreprendre les travaux ; qu'à cela ne tienne, les braves gens versent l'argent ; un simple prêt. Cela permet aux trois hommes de commencer leurs relevés dans les dangereuses ruines. Jusqu'à un certain soir où ces héros reviennent affolés au village, la vouivre les a attaqués, la preuve : l'un d'eux est couvert de sang. Sans perdre de temps, ils partent vers l'hôpital d'Arbois …

On ne les a jamais vus à Arbois, et encore moins depuis à Valempoulières.

Le curé fit dresser une statue de la Vierge sur la colline pour éloigner la vouivre … et les escrocs …


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