http://foncinelebas.free.fr


Sur les routes du XVIIIeme siècle

 


On assista au XVIIIe siècle, à des changements considérables : le développement du commerce, le début de l'industrialisation, la découverte de nouvelles techniques, des inventions de toutes sortes, l'amélioration de la médecine et l'adoption d'une meilleure alimentation. Cette atmosphère de progrès matériels modifia profondément les valeurs de la société.

Le développement des routes figurait dans ces évolutions et permit à la société de s'ouvrir aux influences extérieures. Parallèlement, les journaux se multiplièrent rapidement et furent diffusés jusque dans les provinces, alimentant la soif de lecture, la curiosité et faisant germer de nouvelles idées dans les esprits.

Michel Vernus, dans son livre "Paysans Comtois au XVIIIeme siècle" dresse une peinture de notre province à cette époque. Voici ces extraits :


retour


Au XVIIIeme siècle, les communications routières dans la province font des progrès considérables. Une lettre officielle du 8 août 1740, apprend qu'il y a, dans la province "75000 toises de routes parfaites, de sorte que l'on pourra maintenant parcourir au trot et en tous sens des montagnes et des marais qu'avant ces travaux on ne passait qu'en tremblant, et seulement pendant quelques mois de l'année".

Si les nobles, les bourgeois se déplacent, voyagent plus souvent, les routes sont encombrées de marcheurs plus humbles; travailleurs saisonniers, artisans à la recherche de travail, colporteurs qui vont "roulant la montagne". Pour marcher, on ne s'équippe pas de sabots, mais de souliers ferrés. Les chars à banc et les médiocres chariots des paysans croisent les carosses, les chaises de poste ou les messagers à cheval ainsi que les innombrables itinérants isolés ou en groupes qui vont à pied. La fourmilière comtoise s'agite sur un vaste lacis de chemins et de grandes routes. Mais aussi au long des cours d'eau où le flottage est pratiqué.

colporteur

Parfois sur les routes, une bonne nouvelle rattrape le voyageur. Telle est l'histoire racontée par le Journal de la Franche-Comté, dans son numéro du 7 octobre 1774 : "Maurice Cormiron, manoeuvrier demeurant à Besançon, est sorti de cette ville le mercredi 28 du mois dernier. On croit qu'il est allé à Paris, du moins il a passé par Dole et a suivi la route de la capitale. C'est un homme âgé de cinquante-huit ans et de mince figure. Comme on ne peut savoir où il est, on prie ceux qui en auraient quelque connaissance de l'avertir qu'il est l'héritier de l'avocat Décart qui est décédé samedi dernier et qu'il est attendu pour en recueillir la succession qui, à ce qu'on prétend, vaut plus de 80000 livres. On laisse à penser quel service on rendra à ce pauvre manoeuvrier en lui annonçant cette nouvelle".

Un mémoire des marchands du Comté, adressé au roi en 1781, déplore l'augmentation des prix du roulage, argumente sur les méfaits de cette décision notamment pour les gens du Grandvaux, elle provoquera "la misère et la dépopulation dans cette contrée où la nature marâtre n'a placé que des rochers et des bruyères. Mais l'industrie y fixe le commerce. Les Grandvalliers se sont adonnés au roulage; par ce moyen, Sire, ils trouvent de quoi payer à Votre Majesté de fortes impositions; et leur retour nous amène, à peu de frais encore, les marchandises qui nous sont expédiées en transit, de Flandres, de Bordeaux, de Nantes, de Marseille, etc ..."

Les Grandvalliers sont de retour chez eux au temps de la fonte des neiges. De même les pigneurs de la région de Saint-Claude et des Bouchoux. Ces derniers, munis de leurs cardes, après avoir récolté et battu leur orge, quittent leurs montagnes en septembre, pour revenir à Noël.

En revanche, combien de domestiques ou d'artisans quittent la province pour ne plus y revenir ?

Le marquis de Montrichard, en 1766, devant ces mouvements de population, dit son inquiétude devant l'Académie de Besançon. Ces sorties risquent de raréfier les bras dans la province. Un autre mémoire s'efforce de chiffrer les départs de soldats, de compagnons et d'ouvriers. En un demi-siècle, de 45000 à 50000 Comtois auraient quitté leur pays. Anathoile Jacquin est de ceux-là, natif de Montrond, devenu menuisier à Metz où il demeure en 1770 lorsqu'il apprend la mort de son père au village. Parmi les humbles qui tentent fortune hors de la province, citons ce Mougenot que l'on rencontre en Ile de France en 1769 à la tête d'une équipe comtoise de faucheurs, qui louaient leurs services aux grands fermiers. Forte tête et agitateur, il anime les "bachanales", c'est à dire des grèves, pour obtenir de meilleures salaires.

La renommée comtoise était acquise pour les métiers de cochers et de palefreniers. Le marquis de Montrichard, dans un mémoire, écrit : "Depuis un temps immémorial, presque tous les cochers et palefreniers et portiers de Rome, Naples et autres grandes villes d'Italie sont comtois et du canton des montagnes. Ces gens sont en relation avec leurs familles et quand ils ont des places apperçues, ils écrivent et demandent de leur neveux ou parents ...". Les cochers comtois étaient également présents à Paris. En mars 1771, les neveux et nièces de l'un d'eux originaire de Saint-Lothain apprennent que leur oncle, cocher de madame de Sillery, était décédé à Paris. Ils s'organisent pour recueillir tous les biens qui dépendaient de la succession.

L'élevage du cheval est une spécialité comtoise particulièrement florissante et ancienne. Maîche a été l'un des grands marchés comtois du cheval et Besançon avait eu une académie d'équitation célèbre fréquentée par la noblesse européenne.

Beaucoup de jeunes villageois aux cours des guerres de la révolution et de l'Empire parcourront l'Europe. Beaucoup ne reviendront pas, d'autres reviendront estropiés dans leur village d'origine. Par exemple ce volontaire de 1797, Joseph Martin, né en 1774, engagé volontaire le 14 août 1794, il participe à la campagne d'Italie, où il est blessé à Vérone. Il rédige des cahiers de chansons patriotiques. Réformé en raison de sa blessure, il rentre au pays en septembre 1798. Il a alors 24 ans, il meurt en 1829.

Jean-Baptiste Morain, de Pleure, laboureur et fils de laboureur, parti volontaire, devenu sergent au 90e de ligne, qui a eu les reins traversés par une balle et qui vit en 1804 d'une pension de 120 francs et du travail de la terre qu'il a peine à suivre en raison de ses blessures.

Augustin Coeur de Legna, né en 1769, qui est un ancien grenadier à cheval, lequel a eu la jambe cassée au couronnement de l'Empereur comme Roi d'Italie et qui est redevenu cultivateur en 1809, tout en percevant une pension de 225 francs.

Jean-Joseph Gindre de Saint-Amour, simple sergent qui rentré chez lui est cultivateur tout en percevant une pension de 214 francs jusqu'à sa mort.

Ainsi beaucoup de Comtois courent-ils l'aventure sur les routes et les grands chemins, le plus souvent par nécessité.

En Franche-Comté, la coupure entre les deux mondes de la ville et de la campagne n'est pas franche. Le semis des petites villes et bourg constitue un réseau dense dans cette province, mais surtout, les paysans sont souvent présents dans la ville. Ainsi Besançon ville de 30000 habitants, a 3000 vignerons. Arbois, ville de près de 6000 habitants en 1789, abrite dans ses quartiers populaires de Faramand et de Courcelles une importante population vigneronne, plus de 40% de la population totale. Sans attendre des proportions aussi fortes, les activités agricoles logées dans la ville sont également bien présentes à Dole, à Lons le Saunier ou à Gray.

Après la dure période du XVIIeme siècle, la communauté villageoise vit une sorte d'âge d'or qui se prolonge jusqu'au milieu du XIXeme siècle, période où, sous l'effet du chemin de fer, elle se videra d'une partie de sa substance humaine et de sa vitalité. La communauté au cours de cette période faste n'a jamais été un monde fermé et retranché. Le bourg ou la ville ne sont jamais éloignés.

Les marchés et les foires sont des lieux de rencontre, les migrations saisonnières ouvrent sur l'extérieur, les missions qui drainent des foules, les pélerinages proches ou lointains jettent les fidèles sur les routes. La mobilité s'est accrue. En conséquence la découverte du monde extérieur introduit d'autres habitudes, le village ne vit plus seulement à l'heure de son clocher, cette horloge dont les communautés se dotent en dépit du coût élevé, au moment même où les livres de prières et les almanachs introduisent avec leurs calendriers, plus de précision dans les têtes.

le marché

L'arrivée de l'imprimé civil ou religieux, introduit au pied du clocher la vision d'un monde plus vaste; il contribue à élargir les perspectives. Dès lors, certains cherchent à faire carrière hors de leur village. la culture écrite porte en elle les germes d'une mutation culturelle profonde qui affaiblira la cohésion de la communauté originelle.

L'individualisme se glisse dans les pratiques communautaires séculaires, par exemple dans les fruitières où riches et pauvres s'affrontent. De son côté, l'écriture sous ses formes diverses contribue à dissocier les individus, on le constate avec le passage de la lecture collective à la lecture familiale puis à la lecture individuelle. L'écriture contribue à accroître la distance entre ceux qui disposent de cette compétence et ceux qui n'y ont pas encore accès.

Au total, à la fin du XVIIIeme siècle, si de nombreux Comtois s'éloignent de leur clocher, l'idendité villageoise reste encore vigoureusement affirmée par rapport aux gens des communautés voisines qui sont toujours perçus comme "étrangers".


haut de page