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Cart-Broumet

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Entré tout jeune au service de Philippe IV, roi d’Espagne, à qui appartenait alors la Comté, Claude Cart-Broumet, né vers 1600 à Mouthe, aurait reçu à la joue une blessure telle, qu’on dut la masquer par une plaque de métal, d’où son surnom de "La Plaque". Revenu au pays natal, il se distingue dans la lutte acharnée contre les troupes de Weimar. Moins célèbre que Lacuzon, il n'en est pas moins un autre patriote comtois. Jean-Baptiste Munier, dans ses "Recherches historiques sur les Foncines" relate quelques uns de ses exploits, en même temps qu'il nous raconte comment les paysans de nos montagnes s'organisaient pour résister aux suédois.

Vue d'Ornans (Courbet)


Nous sommes arrivés à cette fatale époque où Richelieu voulait à tout prix réunir la Franche-Comté à la France. Si l'on en croit Jules de Chifflet, abbé de Balerne, des prodiges annoncèrent à la Franche-Comté les malheurs qui allaient fondre sur elle; il y eut un tremblement de terre, deux lumières en forme de flambeaux s'élevèrent du lieu de la sépulture de Saint Férréol et Saint Ferjeux, pour venir s'étendre sur l'église où repose leur châsse. Enfin il s'exprime ainsi (2eme volume de ses mémoires, page 404) : "Dieu continuait de nous avertir et de nous frapper. Aux huit heures du soir de la veille de Saint Jean parut pendant une demi-heure une grande croix fort bien formée sur le corps de la lune qui lui servait comme de centre dans la jonction de ses parties. Don Joseph Arnoffini, abbé de la Charité, m'en avertit, car ici les esprits étaient attentifs à autre chose qu'à considérer les astres, quoique souvent messagers des choses à venir." Si le fait de l'apparition de cette croix est vrai, elle a du être vue dans nos montagnes comme ailleurs, mais nous ne retrouvons ce fait dans aucun autre auteur que chez l'abbé de Balerne.

Le parlement de la province se prépare à la guerre; Gérard de Joux, dit de Watteville, marquis de Conflans, est chargé du commandement de la cavalerie. On ordonna que tous les hommes de dix-huit à soixante ans qui avaient déjà porté les armes seraient obligés de les reprendre, et se tiendraient prêts à marcher.

Outre les troupes régulières, des corps francs se formèrent dans les montagnes. Le baron d'Arnans vint se placer à leur tête, à ses côtés prirent rang Jean Varroz et Jean Claude Prost, dit Lacuzon. Ces soldats improvisés et sortis de tous les coins des montagnes n'avaient pas d'uniforme militaire, mais seulement un costume auquel ils se reconnaissaient. Il consistait : en un chapeau de feutre rond et relevé d'un côté, des hauts-de-chausses collants recouverts jusqu'à mi-cuisses par des guêtres en cuir qui pressaient fortement la jambe et descendaient sur des souliers ferrés à semelle très épaisse, un habit à large basques serré sur les hanches par une ceinture d'où pendaient le poignard et les pistolets, un baudrier tombait en écharpe sur la poitrine et retenait une longue et lourde épée.

Mais ceux des soldats, qui n'avaient pas le costume voulu, s'habillaient à leur guise, toutefois en portant un signe de reconnaissance. Chacun dans cette troupe avait aussi son nom de guerre : Dujardin, la Vigne, la Rose, Tranche-Montagne, Brise-Bataille, Pille-Muguet le plus hardi et le plus franc tireur de la bande, ami et parent de Lacuzon, dont le vrai nom est Pierre Prost, la Jeunesse, ce dernier servait de secrétaire à Lacuzon qui n'avait jamais écrit une ligne, car il ne savait pas écrire. Toute pièce émanant de lui est de la main de son secrétaire la Jeunesse. Il est donc bien probable qu'au milieu de cette troupe d'élite, où chacun avait son nom de guerre, que Claude Prost prit ou reçut alors son surnom, que son air soucieux et morose lui valut un jour ce singulier nom, Lacuzon (en patois, cuzon veut dire souci) qui a fait oublier l'autre sous lequel il s'est illustré.

Si chaque soldat de la petite troupe de Lacuzon avait son nom de guerre, il en était de même dans toutes les bandes des montagnes qui résistaient aux suédois, et ces noms étaient plus ou moins en harmonie avec les fonctions qu'ils remplissaient; c'est ainsi qu'à Foncine le Haut on a les Gardiens, les Messagers, les Merles chargés d'avertir par leurs cris, les Décampes chargés de courir rapidement où le besoin était, les Piques chargés de se battre à la pique ou à la lance, ou d'aller chercher les lances à la Landoz aux creux des lances où elles étaient déposées, les Charets chargés des transports, les Coucards, les Saignons, les Blancs des Plaines, les Officiers, et à Foncine le Bas les Trapes, aux Planches les Grenadiers, les Brisquets, à Chatelblanc les Toiney, à Mouthe les Broumet, la Plaque et ces noms se sont conservés jusqu'à ce jour sans qu'on ait jamais recherché qu'elle en était l'origine.

Si donc à l'approche de l'ennemi, les paysans s'enfuyaient dans les bois ou couraient chercher un refuge dans les cavernes, toutefois la barbarie et la cupidité ne s'exerçaient pas toujours impunément. Bien des armures, bien des cadavres retrouvés depuis des temps déplorables jusqu'à nos jours (entre autres aux Planches, à la ferme de Poutain), dans quelques gorges solitaires de nos bois et de nos rochers, sont de sinistres révélations des légitimes et occultes vengeances de nos pères.

Parmi les plus hardis et les plus acharnés descendeurs de suédois dans nos montagnes, nous ne pouvons passer sous silence les nombreux exploits de Cart-Broumet de Mouthe qui s'était, comme Lacuzon, mis à la tête des défenseurs de la patrie dans nos parages. Cart-Broumet, Alexis, né à Mouthe, dans une maison à dix minutes du village, au cul-du-bief, où elle existe encore et porte le nom de chez Broumet; elle avait été incendiée par les suédois et rebâtie par Cart-Broumet. Ce brave avait passé une partie de sa vie au service de sa patrie et de son souverain Philippe IV, roi d'Espagne et des Indes, et avait reçu dans le cours de ses campagnes une blessure à la joue, avec perte de substance; elle était si considérable et si profonde qu'il était obligé de la recouvrir avec une plaque de métal, ce qui lui fit donner le surnom de Laplaque.

Mouthe et ses dépendances se vit en proie à toutes les horreurs de l'invasion des suédois et à l'incendie. Cart-Broumet ne put voir avec indifférence les angoisses de son pays; il vole à la défense de ses compatriotes seul d'abord, armé d'une arquebuse, il s'embusquait dans les lieux favorables et malheur au suédois qui se trouvait à portée de son arme. On dit qu'un tilleul énorme, dont la vétusté avait concavé l'intérieur, le servit avec succès pendant quelque temps. Il se plaçait dans cette forteresse d'un nouveau genre et de là ajustait à coup sûr l'ennemi, qui ne reconnut pas immédiatement sa ruse, car après l'explosion de l'arquebuse, on n'apercevait point de fumée depuis l'extérieur. La tradition rapporte que cette arme portait à plus de 500 mètres. Depuis l'endroit de la forêt du Noirmont appelé les Malaitaux, ses coups atteignaient les soldats ennemis sur la place de Mouthe.

Les suédois réussirent à le faire prisonnier dans l'enceinte même du village et l'enfermèrent provisoirement dans le clocher; mais pendant la nuit il s'évada de cette prison au moyen de la corde de la cloche. L'ennemi ne songea pas à enlever ce précieux moyen de salut pour lui. Ce fait est de la plus exacte vérité et dont on parle encore de nos jours.

D'une force herculéenne, d'une stature remarquable, doué d'une âme de feu, d'une intrépidité et d'un sang-froid rares, cet homme rassemble quelques braves que sa voix a électrisés et qui s'empressent de partager sa fortune. Il se mit à leur tête et chaque jour fait mordre la poussière à plus d'une ennemi.

village de Vadans

Peu de jours après il occupait, avec ses braves, le clocher et la maison seigneuriale du prieuré de Mouthe; cette maison était solidement construite et était attenante à l'église. Le corps suédois tenta diverses fois de les déloger, mais dépourvu d'artillerie et vivement inquiété par le feu bien nourri des assiégés, il se retira toujours avec perte et ses attaques restaient infructueuses. Les assiégeants profitèrent de ce qu'on avait entassé près du prieuré des branches sèches provision de combustible ordinaire de l'établissement pour y mettre le feu, ce qui amena l'incendie du prieuré, de l'église et des maisons voisines. Cart-Broumet protégea vaillamment la retraite des ses compagnons d'armes contre l'ennemi bien supérieur en forces et qui gardait toutes les avenues. Quatre comtois seulement furent faits prisonniers, dans ce nombre se trouvait Cart-Broumet. La perte du côté des nôtres eût été bien plus considérable, sans l'héroïsme et la rare intrépidité de leur chef. Il se sacrifia pour sauver ses soldats et fut forcé de se rendre aux ennemis.

Cette prise combla de joie l'officier commandant le bataillon vainqueur. On avait à Pontarlier persuadé à cet officier que l'agent des seigneurs de Mouthe avait fait enfouir dans un terrain appelé La Serve, une forte somme en numéraire et une cloche en argent du poids de cent livres. Dans son opinion, Cart-Broumet était l'homme le plus à même de le mettre en possession de ces trésors et il lui fit part de ses intentions. Cart lui répondit qu'il ne l'enseignerait que sous la condition expresse d'avoir la vie sauve. L'officier, ivre de joie, promit tout, et, d'après le conseil de son prisonnier, envoya ses soldats à la découverte du côté de Jougne pour profiter seul de cette bonne fortune.

Cart, muni d'une pioche et d'une pelle, conduit le commandant et le soldat qui lui servait de domestique à la Serve, où il se mit en devoir de pratiquer une excavation pour extraire le précieux dépôt. Parvenu à une certaine profondeur, il feignit d'être fatigué; altéré de la soif de l'or, l'officier s'offrit de le remplacer pour extraire la terre remuée et descendit dans la fosse. Cart armé de la pioche l'assomme, tue le domestique, s'empare de leurs armes et se réfugie en lieu de sûreté.

Cet homme infatigable se dévoue le nouveau; il rassembla les débris de la troupe à laquelle vinrent se joindre quelques braves de Boujon, commandés par Claude Chaillet le Borgne et on se jette de rechef dans la forêt du Noirmont, où une femme du Bief-Girard, hameau de Gellin, nommée Vauchy (connue en patois sous le nom de la Vylle Vouatchère), leur portait en secret toute la subsistance dont ils avaient besoin. La nourriture des habitants des hautes montagnes du Jura, consistait alors et jusque dans ces derniers temps dans le pain d'avoine cuit sous les trois formes suivantes : le bolon (1), la gresigne (2), la tetnega (3). Le pain d'orge était un luxe, il ne paraissait sur les tables, même des gens aisés, qu'aux fêtes de Noël, Pâques, l'Assomption, la fête pastorale; un vieux proverbe dit à Foncine qu'à ces fêtes on mange le pain d'orge à l'écuelle et partout. La soupe ordinaire était très maigre, de l'eau, du beurre et quelques oignons, c'était un luxe d'y jeter un peu de lait, aussi conserve-t-elle son nom patois lou breu. La pitance était le petit-lait, le cérat frais, le cérat sec et salé et le brésil à l'extraordinaire. Le Brésil, lou bresil, viande salée de vache ou de chèvre, les boucheries étaient très rares et souvent très éloignées.

Les Comtois dépourvus d'arme à feu et de munitions depuis l'incendie du prieuré de l'église, qui leur servait de forteresse, employèrent des flèches qu'ils lançaient à une distance étonnante. Deux hommes étaient nécessaires pour le maniement de cette arme, qui se fabriquait à Romain-Moutier, canton de Vaud; leurs coups étaient ordinairement sûrs et beaucoup d'ennemis furent atteints.

Les suédois envahirent aussi le val de Mièges et mirent le siège devant Nozeroy et Château-Vilain, à Sirod Cart-Broumet s'empresse de s'y rendre, bon nombre d'habitants de ce pays renforcèrent sa troupe et le choisirent pour les commander, tant sa valeur et son expérience étaient connues. Il avait pour auxiliaires dans le commandement quatre hommes éprouvés, Alpy de Cerniébaud, Guillaume Girod de Mignovillard, Paulin de Mouthe et Louis Faivre de Trébiez, soutenus par les sergents Ratt d'Arsure, Chaillet de Boujon, Lorin de Mouthe et Serrette de Froide-Fontaine.

Ces nouveaux soldats procurèrent des armes à feu et des munitions de guerre et lui firent connaîtreà la partie orientale du territoire de Cerniébaud une caverne assez spacieuse, situé dans un lieu boisé et accidenté de rochers, lequel était voisin de la forêt de la Haute-Joux. Cette grotte conserve encore de nos jours le nom de cache à Broumet, partout on voit le même système de défense, cela nous rappelle la grotte de Lacuzon.

ferme du Revermont

Le Val de Mièges, contrée fortement accidentée, offrant à chaque pas de profonds ravins et des tertres, couronnés à cette époque de bois, de hautes futaies, entremêlés de broussailles, facilitait singulièrement la guerre de partisans. Ces généreux défenseurs de notre malheureux pays se plaçaient en embuscade dans les endroits favorables; ils ne manquaient aucune occasion favorable de fondre sur les divers détachements suédois qui parcouraient en tous sens le pays, et lorsqu'ils étaient obligés de battre en retraite devant des forces supérieures, ils se réfugiaient dans la caverne. Un bloc en forme de rochers en fermait immédiatement l'entrée que jamais les soldats ennemis n'ont pu découvrir. Quelque veilleurs placés sur les points culminants de la Haute-Joux venaient prévenir les Comtois de la disparition de l'ennemi. La tradition est unanime pour assurer que 800 suédois au moins tombèrent sous les coups de ces braves, tant dans le val de Mièges que dans les vallées de Mouthe, Sirod, la Chaux-d'Arlier, et ils entravèrent puissamment les opérations des sièges de Château-Vilain, du château de la Chaux des Crotenay et de Nozeroy.

Pendant la durée des sièges de Château-Vilain et de Nozeroy, Cart-Broumet, informé que des fractions de troupes suédoises allaient et venaient alternativement presque chaque jour et presque sans défiance de Château-Vilain à Nozeroy, s'embusqua avec cent hommes près du village de la Favières. Perret de Charbonny, Pontarlier et Faivre, dit le brave de Billecul qu'il avait envoyé à la découverte, avec le sergent Ratt d'Arsure, accourent le prévenir qu'un détachement d'environ cent cinquante suédois se dirigeaient de Sirod à Nozeroy; il se rendit sur le champ au pas de course près du chemin qui conduit de ce bourg à Gillois, la position était on ne peut plus avantageuse à nos soldats. Du côté du sud-est du chemin occupé par eux, le terrain était boisé, du côté du nord-ouest existait le ravin rapide au fond duquel la rivière d'Ain prend sa source; il divisa ses forces en trois pelotons, le peloton de droite commandé par les lieutenants Alpy et Girod, le peloton de gauche sous les ordres des lieutenants Faivre et Paulin, il garda le commandement du peloton du centre, poste le plus périlleux, avec les sergents Ratt, Lorin et Chaillet. Le sergent Serette fut placé en embuscade sur les derrières pour porter secours avec quelques hommes où besoin serait, ou protéger la retraite si elle avait lieu. Au moment du passage de l'ennemi, les trois pelotons sortent simultanément de leurs embuscades et l'attaquent de front, en tête et en queue. Celui-ci surpris inopinément et étourdi de la brusque attaque de nos gens se vit en un clin d'oeil acculé dans le gouffre presque perpendiculaire qui surplombe la source. Nos braves, favorisés par l'excellent champ de bataille que leur chef avait su choisir en firent un affreux carnage. D'après l'ordre de Cart-Broumet, le peloton de droite se porta rapidement sur les abords du moulin du Saut pour couper la retraite aux fuyards du côté de Nozeroy, le peloton de gauche exécuta un mouvement pareil du côté du village de Comte, le centre continua de les foudroyer de la cime du ravin, soutenu par les hommes du sergent Serette, qui s'empressa de venir prendre part au combat. Peu de suédois échappèrent au massacre; ils se réfugièrent dans la forêt de Comte et dans les rochers où l'Ain est encaissé. Dans la mêlée, le lieutenant Alpy tua de sa main le chef du détachement ennemi; il offrit l'épée de cet officier à Cart-Broumet, qui voulut bien l'accepter et la porta par la suite; ce brillant fait d'armes et plusieurs autres trophées lui attirèrent plus que jamais l'amour, l'estime et la confiance entière des soldats, il fut en un mot le Lacuzon de cette partie des montagnes.

Nozeroy était défendu pendant le siège qu'il soutint, par un officier supérieur, né à Trébiez, où il possédait avec la maison paternelle un bien assez considérable. L'ennemi irrité de la longue et honorable résistance qu'il continuait à lui opposer, se vengea en embrasant ce village dans le courant de la nuit, et par surcroît de barbarie, il repoussait à coups de sabre et à la pointe de la baïonnette au milieu du foyer de l'incendie la population terrifiée et demi-nue qui cherchait son salut dans la fuite. Heureusement Cart-Broumet est prévenu à temps par le lieutenant Faivre. Il fond à l'improviste avec les siens sur ces farouches incendiaires, dont il fait une affreuse boucherie et parvint à faciliter la conservation de la majeure partie de ces malheureux incendiés qui étaient condamnés par ces bourreaux à périr dans les flammes. Le commandant de la place de Nozeroy qui entendit l'attaque de nos partisans, exécuta de son côté une vigoureuse sortie, elle occasionna de fortes pertes aux suédois.

Au commencement de l'incendie, un vieillard parvint à tromper la surveillance de ces farouches soldats et se sauvait à travers champs avec ses deux petits-fils, l'un âgé de 13 ans et l'autre de 11. Un suédois les aperçut à la lueur des flammes, les atteignit et transperça d'outre en outre le vieillard avec son glaive en riant d'un rire satanique, malgré les suppliques et les pleurs des deux enfants qui embrassaient ses genoux. Le spectacle de la mort de leur chef aïeul changea leurs supplications et leurs larmes en rage et en fureur; ils s'attachent sur le meurtrier de l'infortuné vieillard, l'étreignent avec opiniâtreté et sans relâche malgré sa force, et ne l'abandonnent qu'après lui avoir ôté la vie avec leurs mauvais couteaux de bergers. Ainsi fut vengée la mort de cet homme inoffensif prêt à succomber sous le poids des années, et le champ témoin de cette lugubre scène s'appelle encore le champ du suédois (4).

Cart-Broumet, dans une de ses fréquentes excursions, se trouva attaqué étant seul, par un suédois d'une forte taille et très vigoureux dans la forêt du Crouzet, à 7 kilomètres de Mouthe, dans l'endroit appelé le goulet au père; c'était l'ancien chemin de ce dernier village à Sirod. Ils se battirent corps à corps, mais le suédois fut obligé de battre en retraite du côté de Mouthe. Tout en se défendant vaillamment il chercha à gagner la forêt du Noirmont, Courvoisier, qui aperçut les deux combattants, accourut pour appuyer Cart-Broumet. Ils le tuèrent près de la maison appelée le Moutat et jetèrent son corps dans une mare arrosée par une fontaine. Le docteur Cart, oncle du pontife qui a occupé le siège épiscopal de Nîmes, instruit par la tradition, fit fouiller cette mare il y a environ cinquante ans : on y découvrit des ossements humains qui avaient appartenu à un sujet d'une taille extraordinaire.

Cart-Broumet se trouva aussi souvent en rapport avec le capitaine Lacuzon. Il était à Arlay le 2 juillet 1642, quand ce dernier s'empara du château de cette place, alors au pouvoir des français, sous les ordres du commandant Rambaud, qui y perdit la vie.

En ces temps malheureux, une partie de la population, même des paroisses entières, abandonnèrent leurs montagnes, où ces hordes effrénées incendièrent un grand nombre de villages, Mouthe, Crouzet, Chaux-Neuve, Chatelblanc, le Brey, l'abbaye de Mont-Ste-Marie et quarante de ces maisons de ferme, St-Antoine, Trébiez, Mièges, Commenailles, Foncine le Haut, Foncine le Bas, les Planches, etc ... devinrent la proie des flammes; elles vendirent à Bérolles, canton de Vaud, la cloche de la chapelle de Chatelblanc, où naguère on la voyait encore. L'ennemi porta aussi ses torches incendiaires dans la Chaux-d'Arlier, dont tous les villages furent brûlés, Bulle excepté.

Abattus et découragés par les atrocités de tout genre auxquelles ils étaient journellement en proie, les infortunés habitants de la Chaux-d'Arlier, réfugiés dans les forêts et la plupart sans habitations, députèrent près de Cart-Broumet, alors dans les environs de Fraroz, Marmier de Frasne, Besson et Gloriod de la Rivière, Daure de Bannans et Javaux, prud'homme de Ste-Colombe, pour le supplier de leur venir en aide. Cart, ému de leurs souffrances, s'empressa de partir avec ses forces, et dès le lendemain, rencontra les suédois entre Ste-Colombe et le bourg de la Rivière; après un combat d'environ une heure, il les mit en déroute et ils se retirèrent du côté de Pontarlier. Le surlendemain, une seconde attaque, aussi défavorable à l'ennemi que la première et dans laquelle se distinguèrent particulièrement Girod le lieutenant et le sergent Chaillet, eut lieu près des ruines de Chaffois. Ces deux échecs contribuèrent beaucoup à ralentir les courses journalières des pillards ennemis et relevèrent puissamment le moral de la population. Deux hommes courageux, Nicolier de Chaffois et le clerc d'Houtaud, au péril de leur vie traversèrent la nuit à la nage le Drugeon débordé, pour aller prévenir Cart-Broumet à Ste-Colombe, la veille du combat de Chaffois, que l'ennemi stationnait dans les environs de ce village.

Quelques jours après, l'infatigable Cart-Broumet fut attaqué près du village de Bief du Fourg, canton de Nozeroy, par une forte compagnie suédoise jalouse de venger les deux échecs qu'avaient éprouvés ses compagnons d'armes, elle combattit avec courage, mais elle ne put résister à l'impétuosité du choc des Comtois et se retira du champ de bataille avec une perte nombreuse. Nos soldats essuyèrent quelques pertes douloureuses, le sergent Serrette fut blessé grièvement et fut remplacé dans le commandement par Simon Jouffroy, du Sarrageois, qui dans la mêlée, avait blessé mortellement un officier ennemi porteur d'une épée de grand prix, enrichie de pierreries dont il s'empara.

Cart-Broumet, après avoir consacré son existence à la défense de son pays, a joui d'une honnête aisance due à la libéralité de son souverain qui avait su récompenser son dévouement et ses services, et a terminé sa carrière dans ses foyers, dans un âge avancé, entouré de l'estime et de la reconnaissance de tous ses compatriotes.

La lutte commença vers les derniers jours du mois de mai 1636, ce fut la guerre de dix ans.


1) Le bolon, petit pain d'avoine séché au four, de la grosseur d'une petite boule

2) La gresigne : pain d'avoine séché au four de la grosseur d'une miche de pain ordinaire

3) La tetnega : galette de pâte d'avoine qui se mangeait fraîche avec les gaudes.

4) Cette anecdote est extraite d'une publication de M. Faivre de Trébief

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