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La guerre entre les Gris et les Quanais

 


En 1638, la guerre entre les Gris, ainsi nommés à cause de la tunique grise qu'ils portaient de France, et les Comtois, ou Quanais, dont le nom dérivait de Séquanais, faisait rage. Pontarlier n'était déjà plus que cendres, bientôt Nozeroy et Saint-Claude subiraient le même sort. Saxe Weimar et ses suédois, payés par Richelieu, mettaient la Comté à feu et à sang. Voici un extrait du livre de Bernadette Maréchal, "L'héritage de la terre Franc-Comtoise" où l'on verra entre autres, la terrible punition que La Plaque et ses hommes réservèrent aux 800 suédois qu'ils firent prisonniers à Chapelle des Bois et qu'ils emmenèrent sur la crête du Risoux.

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"Le bled rare partout se vendait à prix démesuré. Les charognes des bestes mortes estoient recherchées aux voiries. On tenoit les portes fermées pour ne se voir accablez du nombre des gens affamez qui s'y venoient rendre, et hors des portes les chemins demie lieue loing estoient pavez de gens haves et deffaicts, la plus part estendus de foiblesse et se mourrant. La plume s'arrête devant de pareilles extrémités, il faut pour y croire et pour oser les reproduire que toutes les chroniques du temps s'accordent à les décrire avec des détails navrants d'une irrécusable vérité" (1)

Lacuzon

L'épouvante était telle que le peuple Comtois se mit en marche. La famine de 1638 provoqua son immigration. Les premiers fuirent vers la Suisse et la Savoie, ensuite vers Milan, terre espagnole, puis vers Rome, terre de tous les chrétiens. On comptait à Rome, 12000 comtois auxquels le pape céda un quartier près du Corso. Ce quartier devint une petite Bourgogne avec une église dédiée à Saint André et Saint Claude. Le passeport était un papier de confession. Une correspondance assidue s'engagea entre cette petite et la grande Bourgogne Une autre colonie fut formée à Milan, sa duchesse était bourguignonne. D'autres encore s'enfuirent à Lyon.

"Aucun alloient dehors sans sçavoir ou, et estoient reçeus à Lyon pour servir aux boutiques et aux maisons; leur fidélité cogneue les y faisoit admettre et aymer, et Richelieu commandant par plusieurs fois, les bourgeois et les marchands de Lyon, faisoient mine d'obéir mais ils les rappeloient et faisoient rentrer secrètement".

Fin août 1638, Lacuzon fit prisonnier le gouverneur de Bresse monsieur de Gommerans. Ce dernier dut acheter sa liberté au baron d'Arnans pour deux cents pistoles.

Richelieu avait laissé sous-entendre à Bernard de Saxe Weimar, qu'il aurait à la fin de la guerre, de belles terres en Lorraine et Franche-Comté. L'hiver 38 fut très court et dès janvier, il n'y avait plus de neige, Weimar arriva très vite à Pontarlier avec dix-huit mille suédois. Mothe Houdancourt et Guébriant l'accompagnaient. Pontarlier se rendit, promit une rançon pour ne pas être pillée, Weimar accepta, mais une fois dans la place il oublia sa parole.

"furent fermées les portes de la ville et gardes posées pour empescher aucun de sortir; puis les boutefeux disposés embrasèrent la ville en tous endroits, afin que tout d'un temps l'exécution se fit, ceux de Pontarlier qui restoient, pensans courir aux portes, les trouvoient fermées et gardées; ils se jetoient dans les caves des maisons mais les boutefeux qui estaient par les rues les en retiroient et les jetoient dans les feux; et quelques personnages d'honnestes conditions qui étoient restés malades furent rôtiz et consummez dans leurs maisons; le feu parut toute la nuict tel et si grand qu'à Saincte Anne où nous étions esloignés de 6 lieues on voyoit aussi clair que de jour sur noz remparts." (1)

Du fort de Sainte-Anne, au-dessus de Salins, on voyait de jour la fumée en bon nombre d'endroits et la nuit la lueur de plusieurs centaines de villages et d'habitations isolées, brûlant à la fois et répandant autant de clarté que le soleil. (1).

Cart Droumet avait confectionné un arc manié par trois hommes et qui lançait depuis Malaitaux, vers le haut du Noir-Mont, des flèches de quatre pieds de long, jusque sur la place de l'église, soit près d'un kilomètre de jet. Il tua ainsi plusieurs sentinelles (2).

Apprenant l'arrivée des troupes suédoises, les Meuthiards emportèrent et cachèrent la cloche du prieuré, dans la Serve, sorte de marais bordant le cimetière. Cette cloche était en argent massif. Cart Droumet fut emprisonné et proposa aux suédois avertis de l'existence de cette cloche, de leur indiquer l'endroit et de creuser lui-même à cet emplacement. Le chef des soldats qui le surveillait durant son travail, renvoya ses acolytes pensant garder pour lui seul le bénéfice de ce trésor. C'est alors que Cart ralentissant ses coups afin de ne pas endommager la cloche, prétexta être fatigué; le suédois, pressé, prit sa place; Cart lui fendit le crâne d'un coup de pioche et recouvrit ainsi la liberté. La cloche du prieuré de Mouthe est toujours dans le marais. Bien entendu, on l'entend vibrer encore au soir de la Toussaint, répondant au glas de ses deux remplaçantes.

Weimar quitta les cendres de Pontarlier où il avait établi son quartier général et descendit vers le sud, à Salins. Les salinois avertis ne pouvaient que prier notre Dame de détourner de leur but les sanguinaires suédois. Alors Weimar, sans que l'on sache pourquoi, rebroussa chemin à Dournon, le 20 février.

Bernard de Saxe Weimar

En mars 1639, Weimar envoya Guébriant prendre Nozeroy; la petite garnison comtoise s'était préparée à l'attaque. Elle avait rasé le faubourg pour dégager les remparts mais était gênée par l'afflux des villageois encombrant la ville et les cours du château. Après trois jours de siège, la ville et son château furent pris et livrés au pillage. Dans quelques mois, Nozeroy sera libéré par nos quanais, perdue à nouveau et enfin abandonnée par l'ennemi. Je vous laisse deviner l'ampleur des dommages subis par la ville. Le château surtout avait souffert, victime tant des Comtois qui brûleront portes et boiseries pour se chauffer et transformeront en balles les toitures de la tour de plomb, que des français qui le pillèrent et brisèrent les sculptures et armoiries. Il sera réduit à un état de délabrement dont il ne se relèvera jamais. Il fut perdu le temps des fastueuses fêtes des Châlons. Mais on dit encore que le sous-sol du château truffé de souterrains renferme le fabuleux trésor des Châlons que l'on y avait caché avant l'arrivée des français.

Weimar prit Château-Vilain et le château de la Chaux. Il ne reste derrière lui qu'un désert. De notre terre de Saint-Claude, on envoya des délégués au baillage de Nyon afin de demander de l'aide. Les seigneurs avaient en effet sous leur protection les terres de Longchaumois, l'abbaye et la ville de Saint-Claude. Mais les suisses déclarèrent ne rien savoir sur les agissements de Weimar et devoir s'en informer. On demanda alors de l'aide à Berne protectrice de Saint-Cergue, Longchaumois et Septmoncel depuis qu'elle en avait fait l'annexion par les ducs de Savoie. Berne envoya un député à Pontarlier où était Weimar. Celui-ci se montra déterminé à prendre Saint-Claude et détruire tout sur sa route, mais accorda un sursis de six à huit jours afin de traiter avec un député San-Claudien qui viendrait le voir. Avertis, les échevins se réunirent, sept refusèrent de traiter, dix-neuf acceptèrent; c'était le 28 mars 1639. Monsieur de Scey se rendit près de Weimar qui exempta de logement et de guerre toute la terre de Saint-Claude moyennant douze mille écus payable en quatre mois. Tout cela fut inutile, car l'ennemi continua son avance. On avait rassemblé plusieurs troupes mais leurs effectifs étaient si faibles qu'aucune ne put résister.

Le comte Othe de Nassau, les marquis de Turlac et de Rochsenvieux prirent le passage des Savines puis Morez où étaient cent vingt hommes avec Monsieur de Nans. Ils étaient à Cinquétral le 17 mai, deux heures après minuit. Ils trouvèrent Saint-Claude désertée, il ne restait que cinq religieux et deux français. Les soldats occupèrent la ville et l'abbaye qu'ils pillèrent avec l'aide des troupes suédoises le 16. Les religieux s'avisèrent de se servir des vieux traités de neutralité faits par les princes allemands, pensant que Weimar en tiendrait compte. "Weimar qui prétendait se faire roy du Jura, fut bien aise de se voir recognoistre et commencea à traicter en cette future qualité et comme il tenoit ces religieux de Saint-Claude humblement supllians il leur donna telle loy qu'il lui pleue (1).

Les troupes envoiées estoient les suèdes et allemans hérétiques, ils entrèrent dans l'église ou repose le corps sainct en une somptueuse chasse d'argent, et voulans forcer le treillys de fer qui ferme le coeur où est cette chasse, quietèrent prise et s'enfuirent épouvantez. On leur demanda d'où venoit cette fuitte et pourquoi ils avoient laissé une si riche proye, ils répondirent qu'approchant ce treilly une froyeur soudaine les avoient saisy tous ensemble, si grande qu'ils n'avoient osé l'approcher et quittans l'abbaye et la ville, mirent le feu dans la ville (3).

Après le départ de Weimar, on annonça l'arrivée des français passés à Nozeroy et commandés par Mothe Houdancourt. Ils franchirent la Bienne à gué le 31 mai et entrèrent dans la ville à neuf heures du soir. Devant les délégués envoyés à lui, Mothe Houdancourt déclara avoir reçu du roi les ordres de brusler Saint-Claude et les villages circonvoisins et enlever les saintes reliques. Néanmoins Mothe Houdancourt reconnaissant avoir été miraculeusement guéri par Saint Claude, promit d'avoir soin des églises et de l'abbaye. Mais une nouvelle fois les soldats pillèrent l'abbaye, burent le vin de ses caves, en donnèrent à boire à leurs chevaux. Mothe Houdancourt promit de ne point brûler la ville contre dix mille écus (que l'on envoya chercher à Lyon), mais ce chef n'attendit pas et aidé par la bise qui soufflait ce jour-là, alluma les foyers.

Il réduisit en moins de rien toute la ville en cendres et brusla le couvent et clocher de Saint-Claude sans toute fois fondre les cloches. Ils forcèrent l'église de Saint-Romain qui est la parochiale, prindrent les ornements et le ciboire jetans par terre le saint sacrement, le foulans au pied. Le provincial de l'ordre des capucins, le père Désiré, se rendit aussitôt en l'église Saint-Claude après le départ de Mothe Houdancourt, il découvrit avec horreur en la chapelle Saint-Martin, un gros tonneau de poudre et la mesche allumée sous la basse voûte sur laquelle reposait le corps de Saint Claude, et qui était placé là pour faire voler en l'air le sainct corps et le choeur de l'église. Le feu s'en alloit tout près de la poudre, il tira soudainement la mesche qu'il estoignit, puis tira le tonneau rendant grâce à Dieu de ce qu'il luy avait pleu de conserver cette glorieuse relique du patron tutélaire de la Bourgogne. Sur la minuit, on prit garde que le feu, tombant par un trou de la vouste sur le maistre autel avoit brusler le tapis et eus consommé tout ce qui y estoit (1).

Alors le sire de Beauchemin tira secrètement le saint corps et se demandant où le cacher, s'en fut murer dans les murailles qu'ils commençaient à faire pour l'église des Capucins. Un masson fidèl fit cet office en un petit cachot voûté duquel personne ne s'apperçut; il y restera jusqu'à la fin de l'occupation. On retrouvera le saint moisi, mais ce même moisi rendit à ses pieds, noircis par la fumée des cierges brûlés pendant 900 ans, une blancheur et une beauté merveilleuse.

Houdancourt quittant Saint-Claude se dirigea vers Viry qu'il mit à feu et à sang avec tous les villages qui l'environnaient. Weimar quant à lui, s'était dirigé vers les Bouchoux près duquel il détruisit le village du Reculet. Juste reconstruit après le passage désastreux de Henry IV, il disparaîtra complètement et n'existe plus aujourd'hui. Son église réduite en cendres, garde sous ses fondations, une cave dans laquelle sont restées enfermées les richesses en or et en argent que les paysans montagnards étaient venus y cacher avant l'arrivée des "schweds". Le trésor y est encore mais malheur à qui veut y aller voir. Les esprits gardiens les saisissent par les cheveux. Si vous n'y croyez pas, allez donc les écouter, ils y font le bruit des lavandières en pleine lessive.

Un autre trésor se trouve au bois de Cernétrou. Durant le mois de juin, une troupe de huit cents suédois de retour d'une expédition en Grandvaux, incendiant tous les villages sur son passage et massacrant leurs habitants, avait enlevé une vingtaine de jeunes filles qu'ils emmenaient à Chapelle des Bois avec un riche butin. "La Plaque" et ses hommes les guettaient en embuscade au pied de la roche Champion après le lac des Mortes. Les suédois ivres n'opposèrent qu'une faible résistance. Ils furent fait prisonniers. Mais lorsque les nôtres apprirent de quels méfaits ils étaient coupables, ils les conduisirent sur la crête du Risoux, là où l'on trouve de curieuses formations géologiques, quatre grandes failles glaciaires. Les prisonniers furent enchaînés et attachés à des pieux plantés à la verticale dans les failles, seules leurs têtes dépassaient du sol. La Plaque fit combler les crevasses de pierres sans trop les tasser pour ne pas étouffer ses prisonniers, cette fin eut été trop douce ... Pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, le Risoux retentit des cris et gémissements de ces malheureux qui périrent bientôt, la tête dévorée par les lynx et les loups.

Ces failles que l'on appelait aussi "crevots" servaient de tombes provisoires aux défunts que l'on ne pouvait enterrer quand la terre était trop gelée. C'est dans l'une d'elle que l'on retrouvera une épée d'infanterie du XVIIe siècle.

Weimar, enflé par ses victoires, nourrissait déjà des projets de conquêtes qui lui auraient donné le royaume de Bourgogne et d'Austrasie. Il mourut de la peste le 18 juillet 1639. Ses garnisons de Château-Vilain, Nozeroy, Chaux des Crotenay furent battues et ces lieux repris par les Comtois. Il y trouvèrent un grand magasin de graines, qui en ces temps de famine extrême fut reçu comme une bénédiction du ciel.

1) Girardot de Nozeroy

2) Contes populaires et légendes de Franche-Comté, Claude Seignolle.

3) Sire de Beauchemin


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