http://foncinelebas.free.fr


Évolution du trafic routier

 


On trouve dans le livre de L'abbé Berthet,"Les Rousses" (1988), une étude intéressante de l'évolution de la circulation des personnes et des marchandises, depuis le XVIIIe siècle. Il y est bien entendu question de l'influence du chemin de fer, et de l'apparition de l'automobile. Mais aussi des différents services de transports qui ont cohabité sur nos routes jusqu'au début du 20e siècle. Jusqu'à la conquête française, il n'y eut pas de douanes à proprement parler, à la frontière. Le commerce était presque totalement libre. Toutefois, les péages prélevaient une taxe sur les marchandises, qui, en principe, était perçue pour l'entretien de la route. L'abbé Berthet nous rappelle de quelle manière ces pratiques ont évolué après le traité de Nimègue, avec la mise en place, par Colbert, pour la collecte de l'impôt, de la toute puissante "Ferme Générale", et enfin avec la création en 1791, de l'administration des Douanes.


photo communiquée par Monsieur Daniel Cesco Resia

retour

extraits du livre de l'abbé Marc Berthet : "Les Rousses"


La circulation sur la route nationale 5 augmenta de façon importante à la suite des réfection faites au XVIIIe siècle : Jacques François de Ribeaupierre, péageur de Saint-Cergues, déclare qu'il a fait monter le péage de 1000 florins à 3600, entre 1720 et 1765; les échanges avaient triplé sans que le tarif soit modifié. Etienne Rosselat, lieutenant à Saint-Cergues, remarque, en 1695, "qu'il avait seulement ordre de faire payer ceux qui prenaient une autre route que celle de Nyon et il précise que les chariots des marchands de Saint-Claude et des villages voisins paient un batz".

les Rousses

La circulation, par Saint-Cergues, peut être estimée, sans exagération, à 4000 voitures par an en 1720, et à 14400 en 1765. Si l'on tient compte que le col pouvait être fermé pendant plusieurs mois en hiver, si l'on ajoute le nombre de cavaliers et des voitures particulières qui ne payaient que 3 deniers, le trafic était réellement intense. Nous ne possédons hélas, aucun renseignement sur la période qui va de la Révolution à la construction des grandes voies ferrées; il nous est donc impossible de mesurer la perte subie dans les années 1860 lors de l'ouverture des lignes franco-suisses de Pontarlier et de Genève.

La ligne Dole-Pontarlier et celle de Mouchard-Lons le Saunier furent inaugurées en novembre 1862; la ligne Andelot-Champagnole fut ouverte en 1867. Cette année même, le trafic routier aux Rousses était le suivant : Morez - Les Rousses, 135 colliers; Les Rousses - Saint-Cergues, 40; Les Rousses - Bois d'Amont, 31; Les Rousses - Lamoura, 34. Ces moyennes journalières sont à peine supérieures à celles que l'on peut estimer pour 1765; la plus grande partie des transports se faisait déjà par la voie ferrée; le transit était réduit au commerce entre les régions proches de la frontière. Le recensement très précis opéré en 1888, avec référence à celui de 1882, témoigne de la naissance du tourisme vers la Suisse, les passages journaliers de voitures sont passés de 64 à 81; le tonnage des marchandises a par contre baissé de 85 tonnes à 77; le réseau ferroviaire s'était développé tant en Suisse qu'en France.

En 1894, la première automobile fait son apparition aux Rousses; c'est le début de la renaissance de la route, et elle sera rapide. En 1902, un témoin notait : "En été, la route nationale est sillonnée de voitures, de landaus, d'automobiles et de bicyclettes; l'animation est très grande, particulièrement le dimanche". La même personne écrivait peu d'années plus tard : "Depuis quelques années une quantité prodigieuse d'automobiles traversent les Rousses, se rendant en Suisse ou en venant; pendant une seule journée de l'été 1905, 42 de ces véhicules ont été reconnus à la douane et dans un seul sens". Ce nombre s'accrût rapidement et il nous paraît maintenant bien dérisoire : en juillet 1963, il est passé au contrôle du Yéti 98000 véhicules; en août, 125000, soit 3100 par jour en juillet et 4000 en août. Certains dimanches en hiver, ces nombres sont doublés.

Services et Transports en commun

Pour terminer cette étude sur la circulation routière, jetons un regard sur les services publics qui empruntaient la route nationale et desservaient les Rousses.

Le conseil royal des Postes avait établi, le 22 septembre 1780, des relais de postes sur la route de Besançon à Genève, par Salins, Champagnole, Morez. Au mois de mai 1781, le relais des Rousses a 6 chevaux; il y passe quelques personnes; en hiver, la route est impraticable à cause des neiges. En 1786, le subdélégué de Saint-Claude, De la Ferté, déclare que ces relais sont difficiles à maintenir, "il coûte infiniment de peine pour ouvrir la route et les fourrages sont chers". Les relations étaient assurées par trois navettes par semaine entre Besançon et Genève, par le col de Saint-Cergues. Ce service ne dura que quelques années.

La construction de la route de Genève par la Faucille, en 1802, changea l'orientation du trafic. En 1814, la diligence Paris-Genève fait relais aux Rousses; un service Dole-Genève tous les 2 jours, transporte les voyageurs pour 25 francs; deux diligences sont occupées à ce service. En 1823 le trafic d'intensifie; le maître de postes de Saint-Laurent, Joseph Augustin Besson, met en route deux voitures neuves qui circulent tous les lundis, mardis, jeudis et samedis. Le billet de transport, de la frontière à Dole, coûte 15 francs. Le service devient quotidien en 1827. Des correspondances étaient organisées à Morez : pour Saint-Claude, par le char à bancs de Louis Désiré Morel; pour Lons le Saunier, par Bouvet, et pour Salins par Marsaudet.

Les voyageurs devenaient de plus en plus nombreux, les voitures s'agrandissaient. les voitures de Besson avaient 8 places en 1827, celles de Crottet de Genève ne disposaient que de 6 places, de même celles de Bouvet en 1837. En 1848, Guichard, directeur des messageries de Dole, possède 2 voitures de 16 places pour la ligne Dole-Genève.

La concurrence entre ces entrepreneurs de voitures publiques imposait une confortabilité toujours plus grande. Le gouvernement se préoccupait de la sécurité. la vitesse entra aussi dans la compétition. En partant à 5 heures du matin de Genève en 1822, on arrivait à 8 heures du soir à Saint-Laurent; là on prenait une diligence qui, roulant toute la nuit, atteignait Dole le lendemain à midi; soit 30 heures de voyage.

Les diligences de Besson gagnent quelques heures : départ de Genève à 4 heures du matin, arrivée à Dole le lendemain vers 9 heures. Vingt ans après, le voyage Paris - Genève s'effectuait en 34 heures 30 minutes, le retour exigeait 2 heures supplémentaires. Le courrier quittait Dole à 1h30 du matin et à Genève vers 5 heures; le voyage se faisait en moins de 12 heures.

Aux Rousses, Tardy, maître de poste, a succédé à P.G. Lizon; il fut remplacé par François Casimir Benoit-Guyod. Quand le trafic est en plein essor, l'apparition des chemins de fer bouleverse tout. La construction des grandes lignes : Paris - Pontarlier; Besançon - Lyon, change les relations des Rousses. Le service Lons le Saunier - Genève a remplacé la diligence de Paris en 1862, pour quelques années. Les voitures Bouvet relient Saint-Laurent à Genève jusqu'à l'ouverture de la ligne Champagnole - Morez, le 1er juin 1900. Dès lors, il n'y aura plus de service direct pour Genève. Les Rousses dépendent étroitement de Morez.

la Fédérale

Deux voitures françaises partent du chef-lieu de canton, l'une en direction de Gex, l'autre pour Bois-d'Amont. Une diligence postale suisse, appelée "la Fédérale" , transportait le courrier et quelques voyageurs entre Nyon et Morez, depuis 1874. En 1874 elle avait véhiculé 392 voyageurs, 1304 en 1890, 1022 en 1910. Le trafic postal avait progressé de 3540 expéditions à 43315 en 1913. les industriels de Morez et des Rousses bénéficiaient d'une particularité de ce service. Les lettres et autres objets de correspondances pouvaient être remis à cette diligence, affranchis de timbres suisses au tarif intérieur et étaient oblitérés : "Les Rousses, messageries suisses". la rapidité des transports pour l'Allemagne était plus grande que par la voie française. Ce service disparut au début de la première guerre mondiale, il demeura sur Suisse jusqu'à la construction du tramway Nyon - La Cure en 1917.

Le service Bouvet, Morez - Gex, se fit par automobile en 1906, il disparut en 1914. La première guerre mondiale et la construction du réseau ferré avaient isolé Les Rousses et elles seraient encore isolées sans les automobiles particulières. Aucune relation directe, par service public, avec Lyon, Paris, genève, Lausanne et même Saint-Claude et Lons le Saunier. Seule la ligne de la Régie départementale relie les Rousses à Morez et en été le service de tourisme de la Société des transports des Monts-Jura, Besançon-Genève; il permet de faire un bref voyage à Genève, chaque jour. Cette situation conditionne défavorablement une partie de la population des Rousses. Après l'achèvement de la ligne Andelot - La Cluse, quelques loueurs de voiture avaient tenté de rompre l'isolement des Rousses; ils disparurent en 1914; en 1962 on peut compter 7 entrepreneurs de transport de marchandises.

Commerce transitaire contrôlé

le bureau des Douanes

La vingtaine de voituriers installés aux Rousses au XVIIIe siècle ne limitait pas son travail au transport des bois. Mais le roulage n'a pas connu aux Rousses la même faveur que dans le Grandvaux. En 1863, un seul entrepreneur de transport, et nous ne sommes qu'au début de l'exploitation des grandes lignes de chemin de fer. Ces rouliers charriaient les bois, les fromages, les horloges, les blés, le vin, etc ... tous les produits exportés ou importés. En même temps, ils effectuaient le transit de Saint-Cergues, ou même des rives du Léman, à Morez. A Nyon, à Coppet, à Versoix, étaient construits des halles, de vastes magasins où les marchandises étaient mises à l'abri de la pluie et des voleurs, sous la responsabilité d'un gardien qui louait à bail cette charge. Un de ces entrepôts existait à Morez. Sur l'ancien cadastre, la place de l'hôtel de ville s'appelle la place des Halles. Un dépôt secondaire était installé dans la grange de la Cure; un autre sur la route de Saint-Claude près des Jacobez, au hameau actuel de la Halle. Les marchandises prises en charge par des commissionnaires étaient confiées aux voituriers qui se relayaient de magasins en magasins, de halles en halles. Nous savons que les voituriers de Saint-Cergues n'aimaient pas s'aventurer sur la route des Rousses à Morez.

Longtemps le port de Nyon fut l'aboutissement ordinaire du trafic frontalier. De là, les marchandises étaient transportées par bateau, vers Genève, vers l'autre rive du lac, vers Aigle ou Villeneuve pour l'Italie, par le col du Grand Saint-Bernard. La construction du port de Versoix, sur territoire français, porta atteinte aux commissionnaires de Nyon qui adressèrent de nombreuses plaintes à Berne.

Jusqu'à la conquête française, il n'y eut pas de douanes à proprement parler, à la frontière. Le commerce était presque totalement libre. La Franche-Comté n'avait pas de spécialités industrielles à défendre de la concurrence. Quelques édits du Parlement de Dole et du Comte interdisaient parfois, en raison de la disette, la sortie de certains produits. Nous avons vu de telles interdictions affecter le commerce des bois de construction, le charbon de bois; lors de mauvaises saisons, l'exportation des céréales était de même défendue. Les péages ne peuvent être assimilés aux douanes; toutes les marchandises payaient une taxe, qui, en principe, était perçue pour l'entretien de la route. Si un édit ordonnait l'arrêt de la circulation d'une marchandise, il était facile de le faire exécuter aux bureaux de péage. Ainsi les échalas que les Rousselands envoyaient dans les villages du vignoble vaudois, avaient été interceptés au péage de Saint-Cergues en 1782.

Après le traité de Nimègue, la Franche-Comté subit le système fiscal français; les impôts indirects étaient un des gros revenus du trésor royal. La Franche-Comté était pays de salines; le sel y était bon marché, la gabelle était insignifiante.

Mais Colbert établit les traites, ou droits d'entrée, sur certaines marchandises, pour protéger les industries françaises. Il avait confié la levée de ces impôts à une compagnie financière : la Ferme. Les fermiers généraux s'étaient donné une puissante organisation de plus de 200000 employés. Ils édifièrent des fortunes scandaleuses. Dans le peuple, les fermiers généraux et leurs innombrables employés étaient délestés. Ils cherchaient à faire produire aux impôts le plus possible, car ils touchaient un certain pourcentage des droits perçus. Et comme les ordonnances royales fixant les tarifs, étaient sans nombre, et en général non affichées dans les bureaux, les particuliers ne pouvaient se défendre utilement.

Chargés de percevoir les droits de douane aux frontières, les fermiers généraux avaient une véritable armée de "gapians" pour empêcher la contrebande. L'ordonnance de Colbert de 1687 donnait à ces employés de grands pouvoirs; ils avaient souvent tendance à en abuser. L'institution des fermes fut abolie le 20 mars 1791; la douane fut organisée par une grande loi des 6 - 22 août 1791; elle devenait une administration d'Etat et ses agents des fonctionnaires. D'après plusieurs dépositions de douaniers et de contrebandiers, on peut penser que le bureau des fermes des Rousses était à la ferme Vandelle, près de l'intersection de l'ancienne route de Saint-Cergues et du chemin du Gravier. La politique douanière de la Constituante fut libérale. La guerre déclarée en avril 1792 au «roi de Bohême et de Hongrie», (l'archiduc d'Autriche François II de Habsbourg), modifia l'attitude des assemblées révolutionnaires : interdiction sous peine de mort d'exporter des grains; sortie de tous les comestibles, du savon, du charbon, de l'acier, des étoffes, rigoureusement défendue; prohibition de l'entrée des marchandises anglaises. La politique napoléonienne fut encore plus rigide. Tous ces règlements n'empêchaient pas les marchandises de pénétrer en France, particulièrement par la frontière franco-suisse.

On connaît le nom du premier receveur des douanes nationales : Nicolas Vauthier. Vers 1816, il y avait 3 brigades de préposés des douanes, commandées par un contrôleur, trois lieutenants et trois sous-lieutenants. Une brigade était installée aux Rousses, une autre aux Landes, la troisième aux Graviers, au total 25 personnes. L'effectif était presque triplé en 1881, réduit à 41 en 1911 et à 35 en 1936, 25 en 1962. Suzanne Daveau écrit : "Il est malheureusement très difficile d'évaluer l'importance du trafic passant par les différents postes douaniers. les services des Douanes se refusant à communiquer leurs statistiques".

La découverte, bien problématique, d'un registre de compte de péage de Saint-Cergues ou des Halles de Morez nous fournirait des renseignements précieux. Nous nous contenterons d'indiquer la variété de natures des marchandises transportées, en utilisant les tarifs du péage de Saint-Cergues. A la fin du XVIe siècle, les marchandises transportées sont particulièrement des peaux, des métaux, des clous, des étoffes; le bois n'est pas prévu. Les habitants de Longchaumois, La Mouille, Bellefontaine, font reconnaître par les autorités de Berne leurs franchises "pour les marchandises pour leur usage, bled, vin et autres vivres; ils achètent rarement des fruits en raison de la cens annuelle payée à Nyon", cette reconnaissance est du 1er juillet 1572.

En 1704, un tarif spécial est établi pour le bois; les autorités suisses prenaient exemple sur le roi de France et le commerce du bois s'était développé. Les voituriers bourguignons évitent souvent Nyon pour se rendre au Pays de Gex; de Saint-Cergues ils vont droit sur Crassier, un péage onéreux est ainsi économisé. Un seul rapport précis d'activité : de 1752 à 1760, sont passées à Saint-Cergues 2427447 livres de fromage. Le tarif le plus détaillé est celui de 1733. Sont énumérés : les draps de Bourgogne, de Reims, d'Amiens, de Sedan; des velours, du damas, du satin, toutes soyes; des cuirs et des peaux, même des peaux d'ours venant du Canada ou de Moscovie; des lingots d'argent et de cuivre; des animaux : chevaux, bovins, ovins; des fruits : figues, raisins, amandes, "castagnes", oranges; des harengs, du saffran, de la poix, de la cire, du liège, etc ...

La cabane des douaniers sur la route du Noirmont

Le bureau des Rousses n'était pas habilité à percevoir les droits sur les étoffes en provenance des Indes. Suite à cette restriction, il se faisait à la Cure une contrebande non négligeable de mousseline. La direction des douanes avait autorisé, en 1838, le commerce des chevaux pour le temps des travaux de fenaison, moyennant un acquit à caution. Le trafic des marchandises par le col de Saint-Cergues n'a jamais eu l'importance de celui de Jougne; les voies ferrées ont fait disparaître les transports routiers; peu de camions franchissent la frontière. Par contre la circulation d'automobiles est intense. La petite voie ferrée de Nyon n'a fait franchir la frontière qu'à 21261 voyageurs en 1952, alors que par la route, la même année, 81718 français ont présenté des passeports ou des cartes d'identité pour entrer en France; ont été contrôlés également à l'entrée, 63319 étrangers. L'affluence est évidemment la plus grande en août et juillet : 15000 entrées et autant de sorties de Français en juillet, en août respectivement 18000 et 16000; les nombres respectifs pour les étrangers sont : 9800 et 10300 en juillet, 11700 et 11900 en août. Mais le trafic s'est notablement accru en dix ans. Le bureau de grande frontière, celui qui ne contrôle pas les frontaliers, a recensé, en 1962, 122033 étrangers à l'entrée et 119154 à la sortie. Le mois d'août a vu un défilé de plus de 40000 étrangers dans chaque sens.

Ces files d'automobiles, en été comme en hiver, donnent aux Rousses un aspect particulièrement vivant. Seules paraissent mornes les mois de printemps et d'automne. L'industrie hôtelière bénéficie de ce trafic intense; mais le plus grand nombre de voitures se dirigent sur la Faucille, moins du sixième franchissent la ligne de démarcation. Il est toutefois toujours difficile d'exprimer la proportion du trafic clandestin vis à vis du trafic contrôlé.


haut de page