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Les plaintes

extraits du livre "Petits trains à l'assaut du Jura"de Monique et Jean-Luc Boivin. Editions Cenomane et La vie du rail)

Le tram arrive toujours à sa destination, mais un peu en retard évidemment. Le voyageur grimpe dans la voiture dans laquelle il fait un froid au moins égal à celui de l'extérieur. Recroquevillé dans un coin, il lui reste au moins encore la joie d'ouvrir son journal. Mais la lampe fume, oscille, diffuse une lumière jaunâtre sur un périmètre de 50 cm. Malheureux voyageur, même en mettant la page du journal sous les yeux, il n'a aucune chance de parvenir à lire un seul article. Le voilà condamné au froid et à l'obscurité. Il regarde par la fenêtre, mais par cette fin de journée d'hiver, tout est noir, et les villages et les petites villes sont loin d'offrir les illuminations d'aujourd'hui. S'il est philosophe, il prend son mal en patience, pressé d'arriver à destination, rêvant déjà du confort de son intérieur, du feu dans le poêle, du fauteuil sous la lampe. Mais rien ne lui sera épargné. Au moment de descendre, heureux, il s'aperçoit que son pardessus est gluant et que son chapeau melon ruisselle d'un liquide visqueux. Ecoutons-le :

"J'ai l'honneur de vous signaler que me trouvant ce jour dans un wagon de 2e classe du train partant à 15h21 d'Orgelet dans la direction de Lons, je me suis aperçu à un certain moment que la lampe à pétrole qui se trouvait au-dessus de ma tête laissait écouler de nombreuses gouttes de pétrole qui coulaient non seulement sur la paroi du wagon mais également sur mon chapeau et mon pardessus. Mon chapeau melon est taché de pétrole et le dos de mon pardessus comporte une grande tache de pétrole de la largeur d'une main, plus d'autres plus petites. Ce pardessus étant, pour ainsi dire, absolument neuf, doit être envoyé au nettoyage de même que le chapeau. J'ai par suite l'honneur de demander d'une part une indemnité pour le nettoyage de mes vêtements et d'autre part que la Compagnie veuille bien veiller à l'entretien des lampes à pétrole pour éviter le retour d'incidents de ce genre ...".

Notre voyageur reste poli et mesuré malgré l'avalanche de catastrophes. Et il n'est pas au bout de ses peines. Le tram offre encore bien d'autres surprises. Voyons de quoi il s'agit en repartant avec notre voyageur patient et résigné ...

Notre brave voyageur est installé, comme d'habitude, dans un compartiment, rappelons-le, plutôt froid l'hiver, et plutôt sombre la nuit. Il est d'autant plus pressé d'arriver à destination. Mais là encore il lui faudra de la patience. Dans la majorité des cas, il n'existe pas de service de marchandises distinct du service des voyageurs. Concrètement, cela veut dire qu'à chaque gare, à chaque halte, les employés chargent dans le wagon marchandises des dizaines de paquets, colis de toutes sortes. Ce service exige une manutention importante et longue. Le train ne part que lorsque les paquets sont descendus ou montés, ce qui se traduit pour l'usager par des retards allant de 5 à 30 minutes. Retards qui s'additionnent au fil des arrêts. Cette situation ne gêne pas seulement les voyageurs mais également les employés. S'ils arrivent en retard, c'est du temps de repos perdu. Aussi ont-ils, les premiers, intérêt à arriver dans les temps. Il existe un moyen pour récupérer ces retards. C'est tout simplement, de rouler plus vite et, ainsi, de dépasser les limites de vitesses officielles. Ce qui n'est pas sans danger. Aussi les conducteurs n'utilisent-ils qu'en dernier recours cette possibilité. Ils préfèrent gagner du temps en réduisant les arrêts dans les petites gares, dans les haltes et, mieux encore, supprimer totalement l'arrêt à certaines haltes. Ces pratiques ont provoqué bien souvent des plaintes et réclamations. Elles sont à l'origine de bien des scènes cocasses. tantôt, tel voyageur n'aura pas eu le temps de grimper dans le wagon, le train se contentant de freiner en gare pour repartir aussitôt. Le tacot s'éloigne, imperturbable, laissant à quai un voyageur indigné et interloqué, impuissant au milieu de ses bagages. Ces contretemps peuvent avoir des conséquences humaines fâcheuses, comme ce fut le cas pour cette famille, composée du père, de la mère et d'un enfant. Le train ne s'est pas arrêté le temps nécessaire pour permettre aux voyageurs de tous monter. La mère est montée, mais le train a démarré avant que le père puisse à son tour monter avec l'enfant. Tous deux sont restés à quai (plainte du 5 décembre 1903 en gare de Saint-Claude).

Cette situation n'était pas inconnue des responsables des compagnies, une note de l'ingénieur en chef, en date du 31 août 1905, et adressée à M. Poirel, directeur de l'exploitation de la Compagnie C.F.V à Lons, l'atteste. Elle est intéressante parce qu'elle dénonce les pratiques dont nous venons de parler mais aussi parce qu'elle fait bien le lien entre ces mêmes pratiques et leurs causes, les manoeuvres dans les gares :

"J'ai l'honneur de vous prier de donner des ordres en conséquence à votre personnel. J'insiste sur la nécessité qu'il y a à accélérer le plus possible les manoeuvres. Celles-ci sont souvent faites avec une lenteur désespérante et occasionnent des retards exagérés qui font le plus mauvais effet sur le public".

Histoires d'eaux

Je soussigné signale à qui de droit un fait qui vient de se passer à Foncine-le-Haut. J'allais pour la première fois dans ce pays voir si je pourrais y créer une tournée, pour cela j'avais pris un aller et retour au train de 3h 1/4 à Saint-Laurent, j'avais en consultant l'horaire, vu que j'aurais 20 minutes environ à Foncine-le-Haut, cela devait me suffire pour aller voir un ou deux clients, me renseigner si ce serait la peine de créer cette tournée. Avant de prendre le train j'avais constaté qu'il partait à l'heure, autrement je ne l'aurais pas pris.

Or, un peu avant Foncine-le-Haut, nous avons arrêté à la prise d'eau sur l'ordre d'un monsieur qui se trouvait dans le train depuis Saint-Laurent et nous avons perdu ainsi plus de 10 minutes, les employés n'arrivant pas à fermer les eaux, ce qui fait que nous sommes arrivés à 4h 27 ou 28 à Foncine.

Comme le conducteur chef de train m'avait dit que le départ était à 4h 30, je n'ai pu faire ce que je voulais, je devais utiliser mon retour de suite, temps et argent perdu. A l'arrêt de la prise d'eau j'ai entendu un des deux hommes dire : le réservoir de la machine est à moitié plein et le chef de train tout près de moi dire : cela nous aurait moins gêné d'en prendre en descendant. Or à Foncine-le-Haut j'ai su que c'était le chef de gare de Foncine qui était le monsieur ayant donné l'ordre de prendre l'eau et je lui ai dit : vous n'avez pas eu une idée heureuse de nous faire arrêter en montant puisqu'il y avait assez d'eau. Alors le chef de train prenant fait et cause m'a crié : cela ne vous regarde pas ! faites une réclamation, je m'en charge. Voilà qui est fait, je me remets entre ses mains, ces messieurs pensent à leur commodité personnelle, le public leur importe peu.

Saint-Laurent, le 1er juin 1909. Signé : E. Danquin, 24 rue Lanterne à Lyon

Quoi qu'il en soit, ces petites habitudes n'étaient pas près de cesser. Et les voyageurs n'allaient donc pas non plus cesser de se plaindre. On leur donnerait raison par principe, tout en reconnaissant officieusement la nécessité matérielle de ces pratiques anarchiques. Les rapports des commissaires de surveillance sont, à cet égard, caractérisiques. Avec le recul dont nous bénéficions, nous ne pouvons lire ces rapports sans sourire.

"En raison des pertes de temps résultant des croisements irréguliers et de la manutention des marchandises dans les gares principales, les chefs de train, en vue d'atténuer le plus possible les retards, s'arrêtent peu dans les petites stations. Ce but est louable, mais il faudrait cependant laisser le temp aux voyageurs de descendre, surtout quand ce sont des vieillards parfois embarrassés de colis" (plainte de juillet 1905, ligne Lons - Saint-Claude, rapport du commissaire de surveillance).

Dans ces circonstances, gare à l'imprudent qui, voulant profiter d'un arrêt dans une gare, descend de son wagon pour prendre le frais, boire un café ou autre. Il sera à peine descendu que le train repartira sans lui, le laissant sur le quai. Plusieurs plaintes nous relatent ces incidents, certains franchement drôles et dignes d'un film comique, d'autres plus tragiques comme nous allons le voir ici : le voyageur en question prenait le train dans des circonstances plutôt pénibles puisqu'il se rendait à l'enterrement de son beau-frère. En gare de Moirans, le malheureux descend du train pour aller boire un café. Bien sûr, il s'est assuré auprès du chef de train qu'il avait suffisamment de temps. L'autre d'acquiescer et le train de partir ... sans son passager ...

"A Monsieur le Directeur du Tramway de Lons-le-Saunier à Saint-Claude. Parti ce matin de Lons à 4 heures; arrivé à Moirans je demande à votre employé qui distribuait les billets dans le train si on avait le temps d'aller prendre un café sur le pouce. Il me répond oui. Je me rends au café Lacroix en face de la gare, la dame avait servi le café, que le train partait; allant à l'enterrement de mon beau-frère à Saint-Claude, voyez le grand désagrément qui en résulte; je ne sais comment qualifier cela agissant ainsi au détriment des voyageurs qui ont un devoir familial à remplir; je vous serais obligeant de rendre réponse". Plainte inscrite le 24 septembre 1910 sur le registre de la gare de Moirans par M. Vuillerme Alix, 6 rue Ernest Renan à Besançon.

La situation, heureusement, n'était pas toujours aussi grave. parfois, on peut voyager pour ses affaires et vouloir profiter d'un arrêt pour "satisfaire les besoins de la nature". Hélas, le train ne comprend pas toujours ces choses-là. Et c'est ainsi qu'on se retrouve tout seul, sur le quai :

"Je soussigné Lorge, Charles, fabriquant, négociant à Saint-Claude, porte à la connaissance de l'Administration des tramways de Lons-le-Saunier à Saint-Claude, qu'hier soir, lundi 10 juillet, j'étais dans le train qui est parti de Lons-le-Saunier à 6h 15 du soir pour Saint-Claude où je devais arriver à 10h 1/2, mais arrivé à Clairvaux, j'ai eu besoin de descendre pour satisfaire les besoins de la nature, je n'étais qu'à 6 ou 7 mètres du train, prêt à remonter au premier signal, mais au lieu d'inviter les voyageurs à monter, ce qui est de règle générale, on donne le coup de sifflet et le train part en même temps. Je me préparais à monter et à m'accrocher à un des wagons lorsque les nombreux spectateurs qui se trouvaient à la gare m'ont dit de ne pas monter car le train allait s'arrêter à la gare; mais il a filé. J'ai essayé de le rattraper mais en vain. J'ai donc été obligé de coucher à Clairvaux, de perdre ma demie journée et de mettre en peine ma famille qui m'attendait le soir. Cela par la faute du conducteur du train pour n'avoir pas invité les voyageurs à monter comme c'est la règle. Je demande vingt francs de dommages-intérêts pour mon temps perdu et mes frais" (plainte du 11 juillet 1899, registre de la gare de Clairvaux).

"Je soussigné P. Dalloz, négociant à Moirans, ai l'honneur de porter à votre connaissance le fait suivant : étant dans le train partant de la bifurcation à 5 heures du soir, possesseur d'un billet pour Revigny, le train par suite probablement d'une surchage de poids, soit onze wagons, est passé à la gare de Revigny à une vitesse vertigineuse et n'a pu s'arrêter; ce n'est que grâce à la présence des chefs de train que les freins des wagons ont pu bloquer le train et ont évité peut-être une catastrophe. En conséquence, je demande à être remboursé du montant de mon billet et d'un dommage-intérêts de cinquante francs, n'ayant pu faire mes affaires. Le fait est attesté par M. Camus, architecte à Lons-le-Saunier, et M. Roy, négociant à Clairvaux. Moirans, 27 novembre 1906".

Mise au point

Les trains brûlent habituellement les haltes lorsque le chef de train s'est assuré qu'il n'a aucun voyageur à prendre ou à laisser. Cette pratique, quoique irrégulière, peut être maintenue puisqu'elle a le grand avantage de compenser, dans une certaine mesure, les retards. Mais il doit être bien entendu que cette tolérance ne sera continuée que si le chef de train s'est assuré, en passant dans les wagons peu avant la halte et en appelant celle-ci à haute voix, qu'aucun voyageur ne veut y descendre. Il aura vérifié préalablement que nul voyageur n'attend le train à la halte ou à ses abords. (11 août 1900)

Gare de Foncine le Bas

Chaque plainte, chaque réclamation, donnait lieu à une enquête. Le résultat de celle-ci était inscrit à la suite de la plainte par le commissaire de surveillance ainsi que par le directeur de l'exploitation de la Compagnie, qui avait son mot à dire pour juger, critiquer ou défendre son personnel. certaines de ces enquêtes prouvent à quel point l'employé était une proie facile pour l'usager chicaneur, agressif, susceptible, à l'amour-propre toujours à fleur de peau ...

En décembre 1904, un voyageur dépose une plainte sur le registre de la gare de Saint-Claude. Bien sûr, le chef de train est en cause. Qui a raison ? Cherchez le coupable. L'enquête révêle que "ce voyageur était en état d'ivresse. Il a cherché à tromper le chef de train sur son point de départ et a refusé de payer le parcours" :

"Le voyageur a pris le train à Saint-Claude terminus et était en état d'ivresse. Il a cherché à tromper le chef de train sur son point de départ et a refusé de payer le parcours de la halte terminus à Saint-Claude gare. A la suite de l'insistance du chef de train, il a traité ce dernier d'âne. Le chef de train lui a fait remarquer qu'il était malhonnête, à quoi il a répondu : "j'ai été maréchal des logis et je me charge de te dresser". Nous regrettons que le chef de train n'ait pas dressé procès-verbal. Les témoins pris par le chef de train sont : Mme Guyperrin, maîtresse d'hôtel à Lavand, Laucou Victor, tourneur à Saint-Lupicin, Buffard Sylvain, tourneur à Maisod"

"Je soussigné Marcel Lyonnet, négociant fabricant de pipes, 1 rue Reybert à Saint-Claude, me trouvant à la gare de Meussia à 1h 30, prenant un billet pour Moirans, M. le chef de gare ou chef auxiliaire (soi-disant) ayant été averti par téléphone d'un accident sur la voie, nous avertissait que le tramway est en panne. Je lui demande les détails suivants sur ces faits : "pour combien de temps resterons-nous à la gare de Meussia, ceci durera-t-il longtemps ?" Ce monsieur s'est permis de me répondre grossièrement avec toutes les dernières injures. Ayant vu son arrogance je lui ai demandé le carnet de réclamation, Ce monsieur s'est refusé à me le présenter en me répondant que si j'étais intelligent je ne lui poserais pas cette question, car je serais à son dire, trop inférieur à lui pour poser mon cas devant la Compagnie sur ce cahier et en continuant ses injures et en ajoutant des menaces. J'ai été obligé de partir à pied jusqu'à la gare de Charchilla où j'ai repris le tramway que j'attendais à Meussia. J'ai fait mon rapport sur le cahier de la gare de Moirans à 3h 38. Je réclamerai que la Compagnie du Tramway veuille bien faire le nécessaire auprès de ce monsieur malhonnête auprès des voyageurs. Moirans, 27 septembre 1926 3h 38 du soir. "

Foncine le Bas

Ivresse et grossièreté avec menaces, voilà les ennemis principaux des employés du chemin de fer. Il ne se passe guère de semaines sans qu'un incident de cet ordre n'arrive. L'Echo de la Montagne du 26 mars 1921 relate un de ces incidents, toujours pénible pour les employés. Le journaliste a choisi de raconter l'anecdote avec humour et il titre : "Descends donc, Marcel !" :

"Un soir de janvier, dans le train de Morez arrivant à Saint-Claude avec deux heures de retard, L. Marcel, dans un compartiment, dormait d'un si profond sommeil que sa fiancée ne pouvait le réveiller pour le faire descendre ... Des employés de la gare, le chef lui-même, arrivèrent tour à tour sur les lieux, mais le dormeur, finalement réveillé, s'obstina, voyant tout ce monde, à ne pas vouloir descendre du compartiment !". Enfin on réussit à conduire le fâcheux jusqu'au bureau du chef de gare. Là, "L. Marcel, prononce furieux les douces paroles suivantes : Si vous ne me laissez pas sortir d'ici, je casse tout, c'est la Révolution !". Finalement l'affaire va jusqu'au tribunal qui "condamne L. Marcel pour rébellion, outrages aux employés, paroles malséantes, en un mot pour avoir été l'auteur principal de la scène tapageuse qui s'est produite en gare ce soir-là ...".

Mais les conflits employés-usagers n'en restèrent malheureusement pas toujours là. Il est arrivé qu'un maniaque, nous ne saurions l'appeler autrement, poursuive de ses attaques le personnel jusque dans sa vie privée, lui rendant la situation intenable au point de devoir quitter la place ...

"Le 16 août 1913, le sieur Allardet, adresse à Monsieur le Préfet une plainte contre Mademoiselle Petitjean, chef de gare de Chambéria. C'est la seconde fois que le plaignant produit des dénonciations calomnieuses contre les agents de la Compagnie C.F.V. A la date du 9 octobre le sieur Allardet avait déjà adressé une plainte contre les époux Futin, dont la dame tenait la gare d'Ugna-Lavigna. A la suite de notre enquête, nous avons fait ressortir que le plaignant a déjà subi plusieurs condamnations correctionnelles dont deux à la prison. Nous avons joint diverses réclamations écrites de notables du pays attestant la parfaite honorabilité des époux Futin, dont la conduite n'a jamais donné lieu à aucun reproche, alors que le sieur Allardet est connu pour un homme querelleur, malhonnête et de mauvaise foi. Ces plaintes calomnieuses n'ayant donné lieu à aucune répression contre Allardet, ce dernier a continué de plus belle ses tracasseries contre les époux Futin. Madame Futin, habitant une gare isolée, ayant peur de cet individu et voulant éviter tout contact avec lui, demanda son changement qu'elle obtint pour Bonlieu. Le sieur Allardet se vanta d'avoir obtenu ce changement et dit qu'il en sera de même pour Mademoiselle Petitjean. Cette demoiselle, d'une conduite irréprochable, très estimée, tient la gare de Chambéria d'une façon parfaite. Les faits signalés par Allardet sont inventés par lui et notamment quand il prétend que Petitjean l'a poursuivi avec un revolver. On ne serait pas surpris que cette déclaration ménage une mauvaise intention de cet individu, qui serait capable de se blesser avec une arme, pour l'imputer ensuite à une agression de Mademoiselle Petitjean. Pour mettre fin aux tracasseries et aux dénonciations mensongères d'Allardet contre les agents de la compagnies C.F.V., nous répétons ce que nous disions, lors de la première plainte, qu'il est nécessaire de sévir contre cet individu, qui ne mérite pas d'être ménagé. Les bons agents qui, comme Mademoiselle Petitjean, font correctement leur service, doivent être soutenus par l'administration qui doit assurer leur tranquillité" (Tram de Lons à Saint-Claude à Arinthod et Foncine le Haut).

Le petit tram avait, en l'occurence, deux points faibles : le chauffage des locaux et des compartiments et l'éclairage de ces derniers. A peine la saison d'hiver arrivée, les cahiers de réclamations des gares se couvraient de plaintes.

"Les soussignés voyageurs attendant le train 3 allant à Saint-Claude demandent à ce que le chef de gare fasse du feu à la salle d'attente, car nous avons eu 9 degrès au-dessous de zéro" (plainte du 11 décembre 1909, gare de Moirans).

Dans une plainte de janvier 1907, gare de Saint-Claude, le réclamant se plaint que la salle d'attente ne soit ni éclairée ni chauffée. Et toujours les mêmes réponses de la Compagnie ou des employés : il n'y a pas de charbon ou le poêle fonctionne mal, un autre a été commandé ...

Il semblerait en effet que les Compagnies prévoyaient toujours un peu trop juste les approvisionnements en combustible. Problème d'argent ou problème d'organisation ? Toujours est-il que les passagers faisaient les frais de cette situation particulièrement pénible dans ces régions de montagne et de grand froid.

Le 24 décembre 1906, jour de la foire d'Orgelet, les voitures n'étaient pas chauffées, et un usager l'a noté sur le cahier des réclamations. Le directeur de la Compagnie reconnaît "qu'étant donné la température très froide, il convenait de prendre des mesures spéciales en vue d'assurer le chauffage". Et le commissaire de surveillance de conclure "La Compagnie doit prendre les mesures nécessaires pour rendre le séjour dans les voitures plus supportable en hiver et nous prenons acte de la déclaration (du directeur de la Compagnie) qu'à l'avenir toutes les voitures seront chauffées".

Et les plaintes d'aller bon train : le 7 janvier 1907, plainte d'un voyageur qui, étant malade, a dû voyager dans une voiture non chauffée. La Compagnie a toujours de bonnes raisons pour se justifier : "Par de fortes gelées, telles que nous en avons subies pendant les premiers jours de janvier, nous éprouvons de réelles difficultés à assurer le chauffage de nos voitures munies du premier type de thermosiphon".

Le 7 février 1907, plainte d'un voyageur qui, prenant le train de 5h 35 du matin à Arinthod, ne le trouve pas chauffé ! Là encore, la Compagnie a des excuses : "La plupart des appareils de chauffage des voitures ont été gelés pendant la tourmente de neige des 30 et 31 janvier au 6 février (travail effectué par un froid très intense). Nous n'avons pu envoyer de voiture chauffée le 7 février sur la branche d'Arinthod malgré toute la diligence apportée pour mettre ces appareils en bon état de fonctionnement".

La liste des plaintes relatives aux questions de chauffage pourrait être encore longue. Voici pour conclure, celle de Madame de Canson La Farge de Maisod. Une grande dame, châtelaine en "tacot" et qui n'entend pas accepter sans rien dire les contrariétés du voyage. Elle dépose sa réclamation au cahier de Clairvaux le 27 janvier 1927 : le train était insuffisamment chauffé. Comme pour toute réclamation, une enquête est menée. Dans ce cas précis, on prit des gants, on tenait à ménager la susceptibilité de Madame de Canson La Farge de Maisod. Le rapport du subdivisionnaire constate donc : "Le chauffage est en général suffisant, mais il y a bien souvent une notable différence de chaleur entre les deux conduits de chaque voiture. Nous avons appris que la révision de ces tuyauteries n'avait pas été faite, et de façon plus générale que sur certains points les isolants détériorés n'avaient pas été remplacés. Nous sommes d'avis qu'il y a lieu :

1) de faire connaître à Madame de Canson La Farge de Maisod qu'au dire des témoins, le chauffage ne devait pas être nul, que la température était probablement supportable pour une personne en santé.

2) de demander à la Compagnie de réviser les appareils de chauffage".

Cette fois, la voyageuse avait peut-être exagéré un peu. C'est ce qu'affirme en tout cas la lettre d'un témoin, le vicaire général de Saint-Claude, M. Meynier, le 20 décembre 1926 : "J'ai l'honneur de déclarer avoir entendu les plaintes d'une dame que j'ai su être, par la suite, Madame de Canson. Je ne suis pas allé constater le feu de la chaudière, mais ai observé qu'à l'extrémité de la partie de la voiture affectée à la 2e classe, près de la 1ere, on ne pouvait appuyer la main nue plus de quelques secondes sur la conduite de chaleur de gauche, dans le sens du train; que la conduite de droite par contre était à peine tiède, qu'elle soit dit en passant, et je crois, au 2e rang des sièges à partir de la porte extérieure, qu'avaient pris place Madame de Canson ainsi que deux autres voyageurs. J'appéciai que les plaintes de Madame de Canson étaient exagérées, que la température de la voiture ne devait pas être qualifiée de froide, et était, pour une personne de santé normale, faisant tout ce trajet, parfaitement supportable".

On le voit, la question du chauffage était devenue une vieille rengaine, une espèce de fatalité, tout comme celle de l'éclairage. Le système d'éclairage était bien primaire, précaire et peu sûr. On pensait bien peu à peu à choisir un système électrique. Mais les décisions officielles ne venaient pas. Dans les années 1927, nous lisons un rapport du directeur de l'exploitation de la Compagnie Générale des Chemins de Fer Vicinaux, ligne Lons - Saint-Claude, qui laisse espérer un espoir de changement, de progrès : "L'entretien des lampes des voitures est assuré par une lampiste, à chaque rentrée de rame au dépôt de Lons le Saunier. L'éclairage au pétrole est certainement défectueux mais il n'est pas possible d'améliorer ce mode d'éclairage même en remplaçant les réflecteurs (verres brisés, mèches fumantes, etc ...). Le département pourrait décider un essai d'éclairage par dynamo et batterie d'accumulateurs à installer dans une mixte de la ligne Lons - Saint-Claude; l'éclairage électrique serait limité, si l'essai était satisfaisant, à une mixte et une voiture de 2e classe par rame (en tout 4 rames dont une de réserve) circulant sur la ligne Lons -Saint-Claude, de manière à limiter la dépense d'établissement".

Enfin, en attendant que ces messieurs se décident, les voyageurs devaient supporter la fumée noire, l'odeur graisseuse qui émanait de ces lanternes tout à fait démodées, qui en plus, diffusaient une lumière quasi inexistante.

"J'ai voyagé hier, 7 décembre, pour me rendre à Lons dans le tramway et j'ai pu constater que tant à l'aller qu'au retour dans les trains 2 et 7, le charbon destiné au chauffage des wagons faisaient défaut. En effet, dans le train 2 partant de Saint-Claude à 4h35, le chef de train m'a déclaré qu'il n'avait (et je l'ai constaté par moi-même) plus de charbon dans sa caisse à partir de Moirans; le soir en arrivant à Saint-Claude par le train 7 le chef de train m'a fait faire la même constatation et il a fallu qu'il demande au chauffeur une ou deux briquettes pour entretenir son feu pendant la nuit et éviter la congélation de son appareil. Avec une température de 12 degrés en dessous de zéro, on continue de donner la même quantité de combustible qu'au mois de mars et cela malgré les réclamations réitérées de tous les chefs de train. De plus, pour effectuer un trajet de près de cinq heures de nuit, les deux lampes qui éclairent les compartiments mal entretenues avec des réflecteurs dépolis, l'émail ou la peinture blanche du porte lampe disparus, on condamne le voyageur à effectuer le trajet de bout en bout sans pouvoir lire un journal. Lons le Saunier, le 8 décembre 1925".


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