Jean Vionnet |
Il était né le 22 juin 1923 à la Chaux du Dombief. Il avait grandi aux Planches en Montagne, et en septembre 1944 était parti à la chasse aux allemands, s’était marié en Alsace à Irma, puis était revenu auprès de sa famille.
Devenu plombier à Saint Laurent, puis président des anciens combattants du canton, il était connu pour son travail et pour son caractère. La retraite venue il partait dès le printemps à Vénéjean dans le Gard, où il avait rénové avec son fils une maison ancienne, entre une forêt de pins et la vigne. Il avait restauré cette maison, avec le savoir-faire qui était le sien, préparant durant l'hiver à Saint-Laurent, les pièces de bois qu’il emportait en voiture et qu’il mettait en place au printemps. Depuis la mort d’Irma ,il vivait à demeure dans cette maison. Il avait remonté un vieux mur qui séparait son jardin d’une vigne. Le vigneron, pour le remercier, lui laissait le raisin du premier rang de vigne. Cela lui permettait de "vendanger", de faire son vin et même de distiller. La dernière fois qu’il est venu en Grandvaux, c’était pour assister à la réunion des survivants de la seconde génération des Vionnet de Morillon. C’était au Brugnon, au Lac des rouges truites. La maladie le travaillait déjà. Deux mois après il était admis à l’Aérium Saint-Emery et le 1er septembre 2009, on le retrouvait à quelques mètres de sa maison, épuisé et mourant. Il avait marché durant 24 heures guidé par son instinct de marcheur et sa connaissance des sentiers forestiers. Il a rejoint Irma en Alsace. Il y a une dizaine d’années, il m’avait prêté quelques pages où il racontait des souvenirs de son enfance à Montliboz. Je viens de retrouver ces pages et je suis heureux d’en offrir quelques extraits à ses cousins. |
![]() |
Jean Vionnet, au volant d'un tracteur qu'il avait construit lui-même au cours de 2 hivers (1946-1947) à la Chaumusse (photo transmise par R. Le Corff) |
Ce récit est l’histoire vécue d’un cultivateur et d’un cheval. Le cultivateur c’était mon père (c’était Alcide Vionnet né en 1893 sur les Grands Côtes à Foncine le Haut et marié en 1922 à Joséphine Defert de la Chaux du Dombief). Le cheval, c’était le Coco. Il était le fruit d’un adultère entre la jument du brigadier de la gendarmerie de Saint Laurent et un jeune cheval qu’un farceur de la Chaux du Dombief avait conduit vers elle. Cela se passait en 1911 dans les environs de Morillon. La gendarmerie ne pouvait admettre une telle situation, même pour une jument. Il fallait donc cacher ce nouveau-né. César Martin, maréchal ferrant à Saint Laurent soignait les chevaux de la gendarmerie. De plus il était le beau-frère de mon grand père, Joseph Vionnet, qui venait d’arriver à Morillon. Il fut acheté, sans doute pas cher, et il grandit à Morillon. Le Coco avait été séparé trop jeune de sa mère. Cela nuisait à son développement. D’autre part, Il n’était pas joli car issu d’une mère cheval de selle et d’un père voiturier. Il ne servait à rien à la ferme, vivait avec les génisses dans les pâtures tant à Morillon qu’à la Queulette ou à la Cernée. Les hommes avaient été mobilisés. Le troupeau n’était surveillé que par des jeunes, filles ou garçons. Une fille courut au Pré d’haut chercher du renfort. pendant qu’un garçon , muni d’un puisard en bois s’évertuait à faire baisser l’eau de la citerne. Le Coco tournait en rond en attendant de retrouver pied. Mon récit continue à Montliboz où mon papa s’était établi après son mariage et avait bien achalandé son cheptel. Par l’intermédiaire de l’oncle César qui était maquignon - car le papa était comme moi, Il ne savait pas discuter - ,il avait acheté à la foire de Chalesmes, une bonne série de vaches dont je me rappelle encore les noms puisque chez nous elles vivaient jusqu’à 18 ans, entre autres la Coquette, la Colombe, le Papillon, ... A son mariage mon papa avait hérité de cet animal et l’avait amené à Montliboz. Là, il logeait dans le couloir qui menait directement de l’écurie à la cuisine. Chaque fois que papa passait, il le caressait de la main sur le dos. Nous, même si nous le poussions un peu, il ne bougeait pas, sauf quand il mangeait son avoine, alors il serrait les oreilles. Papa avait acheté un autre cheval, le Mousse, un peu plus fort mais paresseux, de sorte que c’était toujours le Coco qui était de corvée, que ce soit pour mener le fumier, pour faner pour amener le bois. Après avoir soigné les vaches et les génisses ,le papa lui apportait sa ration de foin, l’emmenait à la fontaine puis lui donnait de l’avoine. Il le brossait, le caressait ,l’arnachait toujours avec attention. Coco obéissait à la voix. Lorsque le papa prenait son casse-croûte, il tournait sa tête pour avoir son croûton ou un sucre.
Après les fortes neiges, il fallait déneiger les routes. La route de Syam était la corvée des Planches. C’était automatique : la maman préparait la musette et le papa le sac de foin et emplissait d’avoine un sac à sel. Papa partait pour les Planches. Il avait attelé le Coco à son train avant de voiture, qui était le plus solide du village. C’est à ce train avant qu’on accrochait la charrue que six ou huit chevaux allaient tirer. Il y avait souvent des retardataires. Quant tout le monde avait cassé la croûte, direction les Côtes chaudes. Il y en avait pour 4 ou 5 heures. Cette corvée n’était pas désagréable Il n’y avait pas grand chose à faire à cette saison et c’était payé. Sitôt la neige fondue, c’était la provision de bois pour l’année : des fagots de petit bois pour allumer le feu. Des morceaux un peu plus gros, 3 à 5 cm le large, 50 cm de long, coupés à la haches, pour le jour, du bois pour le four, du bois pour la chaudière car tous les jours d’hiver il faut faire des potées de choux et betteraves, d’orge concassé, de flezin. Merci à toi Jean, pour ce souvenir de jeunesse qui nous ramène encore une fois à Morillon. |