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Château Vilain

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Henri Bouchot, avec le style poétique qu'on lui connait, nous fait une autre description de Château-Vilain, de la vallée qu'il surplombe, "embrouissaillée de bois argentés de brouillards" et de ses célèbres voisines, les "trois commères". Voici ce texte tiré de son livre de 1890 sur la Franche-Comté.

les pertes de l'Ain


Château-Vilain, la porte d'entrée.

En escaladant aux heures de la soirée la rocaille tourmentée sur laquelle Château-Vilain dort son sommeil; la sensation est de poésie troublante et sauvage. Une part toute noire et sombre s'étend à droite, embroussaillée de bois, sabrée de masses aiguës et de cluses; l'air fraîchi arrête les fumées des forges, les roule en brouillards épais qui lèchent les sapinières et argentent les fonds. A main gauche, par contre, les grisailles de la terre de Sirod, les taupinières médiocres du lointain demeurent claires et rosées. Une fente abrupte conduit l'Ain à sa perte, car c'est au bas de Château-Vilain, à la male heure des roches amoncelées, que la rivière s'égare et disparaît par mille fissures, mille trous avides, pour tantôt revenir plus audacieuse.

Il y a moins d'un siècle, le château hérissé de toits et d'échauguettes levait sa masse de murs blanchâtres à l'extrême bordure d'une terrasse maçonnée. Pour monter jusqu'à lui, c'était un chemin crâne, raide, tranché à vif, qui s'en venait passer sous la porte de défense, à cheval sur deux pans de roches, presque une porte de ville armée de herses et fermant hermétiquement le rempart naturel; ce pavillon est resté debout.

 

coulevrine

En arrière de lui les seigneurs pouvaient attendre l'attaque et prendre leurs dispositions de défense; l'avancée des ouvrages apparaissait non loin de là; des tours rondes, des pignons épais, de lourds bastions en formaient la réserve imposante. L'assaillant eut il forcé la passe avancée, tout était à refaire un peu plus loin, sous le feu convergent des coulevrines et des arquebuses.

Les damoiseaux de Commercy, qui l'avaient ainsi campé et muni à la fin du XIIe siècle, ne prévoyaient pas les intentions de Louis XI. Celui-ci ne fit qu'une bouchée de ces terribles murailles, d'autres fols y vinrent encore qui mirent la destruction à son point. Au commencement du règne de Louis XIII, Nicolas de Watteville releva consciencieusement les fondations, ajouta quelques forces nouvelles aux débris restaurés et fit la place grande et imprenable. Pour le plaisir des yeux et son agrément de châtelain, Watteville imita la reine Sémiramis et suspendit à la fine pointe d'en haut des jardins, des bosquets ombreux, un parc entier de grands arbres. dans sa joie d'avoir assis un palais en plein désert, il inscrivit a fronton d'une porte ce distique qui se lit encore :

Rident vicini glebas et saxa moventem
Quodque fuit rupes arx sit amoena simul
1616

"Les voisins me raillent de bouleverser les terres et les rocailles, mais j'aurai fait d'une côte pelée la plus agréable citadelle". La vengeance n'était point à la portée de tout le monde, les rieurs passèrent bientôt du côté de l'audacieux, et ils y restèrent quand Weimar, s'étant risqué à vouloir remuer ces pierres insolentes reçut des partisans comtois la plus fière leçon qu'il eût encore enregistrée.

arquebusiers

De même qu'Oliferne, Château-Vilain possède ses trois dames de pierre, ses trois "commères" mollement assises au revers de la montagne, monolithes calcaires isolés du roc par les infiltrations et les pluies, quelque peu effondrées mais toujours respectées par les légendes. Au pied d'elles la fée Mélusine s'en est venue chanter ses vêpres lugubres et pleurer à la nuit; c'est même pour l'avoir entendue gémir et se lamenter que l'une d'entre elles a abandonné la place; Dieu sait ce qu'il adviendra de notre pauvre monde, du val de Sirod, de l'Ain, de vous et de moi quand la dernière disparaîtra ! Il vaut mieux ne pas le savoir et s'en remettre aux fées.

En disant adieu à cette inimitable caresse du Jura pour rentrer sous terre et repasser le tunnel, des regrets vous viennent. Jamais de plus tendre repos ne se retrouvera; la splendide menace des torrents, les solennelles horreurs des vaux oppressent. Au contraire, l'échappée des collines apporte la subtile sensation de l'espace, de l'air respiré, le très doux engourdissement ressenti dans les pièces aux plafonds larges. Subitement nous voici replongés en forêt; la route s'escarpe, et comme une rampe des Alpes, s'en va quérir la coupe de montagnes par où l'Ain tombe du val de Sirod dans la tourmente d'en bas. C'est une nappe d'eau immense, écumante, déversée d'un bloc par deux chutes superposées, creusant un bassin au centre d'une forge noire et enfumée. L'usine est pareille aux autres, avec ses longues bâtisses sales, ses hautes cheminées, le grouillement d'une population bronzée. Ses chemins d'enfer sont pavés de scories, ses brouillards gris roulent un nuage à mi-hauteur des bois. L'homme s'est sottement attaqué à ce Tempé de jadis, il l'a empuanti de machines, éventré de chemins de fer, il en a fait le creux du diable.

les trois commères à Bourg de Sirod


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