http://foncinelebas.free.fr


Superstitions

 


Farfadets, lutins, dames blanches ou vertes, loups-garous ou encore basilic (croisement d'un coq et d'un crapaud) autant de superstitions et légendes qui ont su prendre racines dans les forêts profondes de nos montagnes. L'abbé Léon BOURGEOIS-MOINE, dans ses "Recherches sur Chapelle des Bois", en 1894, nous parle de ces êtres fantastiques qui ont habité les imaginations. On y apprend également que les fromagers étaient considérés comme des sorciers, ce qui les préservait des vols et autres malversations. Voici ces extraits :

Voir également :

Les chevaux de la légende Mort et superstitions La Vouivre Le Grandvaux et ses sorciers

Le sentiment profondément religieux des gens de Chapelle des Bois, leur origine, leur caractère généralement rêveur et mélancolique, l'étrangeté et la sauvagerie de certains sites, les rochers géants du Risoux et les forêts sombres, mystérieuses, les longs hivers de neige et les grandes ombres produites sur ce manteau blanc par la lune transparente, la bise qui, bien souvent vient se plaindre dans les arbres ou à travers les planches mal jointes, les feux follets qui se dégagent des marais et des tourbières, tout cela n'a pas peu contribué à peupler le pays de lutins (en patois "lutons"), de farfadets, de dames blanches ou vertes; on a même plusieurs fois entendu le sabbat et vu les diablotins s'agiter en danses frénétiques et boire le sang dans des sabots de pieds de vaches.

Les autres causes de cette crédulité superstitieuse peuvent être l'oeil fatigué par la vue des brumes fréquentes qui ressemblent à l'embrun des vagues, l'oreille assourdie par le mugissement des vents déchaînés, tout cela dispose l'esprit à accueillir les mirages de l'imagination et à voir des êtres fantastiques, surnaturels, là où ils n'existent pas.

la Queulette

Si à minuit on traverse les champs Magnin, au dessus du hameau des Creux, on est assuré de voir les formes vaporeuses de la dame blanche; d'autres endroits sont hantés par les dames vertes ou autres fées. C'était à la veillée, quand on s'assemblait autour du grand feu de la cuisine, qu'il fallait aller pour apprendre quelque chose du sabbat, du loup-garou, du basilic,des lutons, des fées, des revenants et des sorciers. A l'époque de la grande révolution, on entendait dans les solitudes d'Annondance, aux environs du chalet de la Queulette, dans certains endroits des rochers du Risoux ou contre le Pré-Poncet, des bruits insolites; c'était comme un cliquetis d'armes et un roulement de tambours; évidemment, disait-on, ce ne pouvait être que les bruits infernaux du sabbat; selon les uns, le sabbat se tenait dans les airs, selon d'autres dans des lieux solitaires ou au fond des forêts; on s'y rendait par la cheminée, et monté sur un balai frotté d'une graisse noire préparée à cet effet, et qui était celle d'un chat tout noir; le sabbat était présidé par le diable et composé de personnes qui avaient fait un pacte avec lui, arrivé dans le lieu du rassemblement, comme derrière la "place dessus", à Combe-David, on dansait autour d'un grand feu attisé par des diablotins; un festin splendide était préparé et attendait les joyeux convives; tout était servi avec la plus grande somptuosité : de belles tables, des couverts en or et parsemées de pierres précieuses. De plus, les membres du sabbat avaient le pouvoir de produire la grêle, de faire mourir bêtes et gens au moyen d'une poudre fournie par le diable, de se transformer ou de transformer d'autres personnes en loups-garous, etc ...

Les loups-garous étaient des sorciers qui couraient les rues et les champs transformés en loups par la puissance du sabbat; ils visitaient les villages et venaient quelques fois s'asseoir autour du feu, sans quitter leur horrible fourrure. Un soir, quelques loups-garous arrivèrent ainsi dans une maison du Maréchet pour s'y chauffer près d'un brasier allumé sous la grande cheminée; les habitants effrayés s'enfuirent à l'exception d'un qui n'en eut pas le temps, mais qui put se cacher dans l'angle obscur du tablet; il entendit un de ces sorciers dire à son voisin dont la queue pendait sur le feu : "tire ta quoa, Pirou, te la vas broulé" (Retire ta queue, Pierre, tu vas la brûler); c'était le patois du Grandvaux.

Que des loups-garous aient existé dans nos montagnes, c'est un fait qui ne saurait être douteux; de nombreux documents et les traditions de tous nos villages l'attestent; mais qui étaient-ils ? C'étaient des sorciers, comme semble le dire, Henri Raguet, grand juge de la terre de Saint-Claude en 1610, dans son discours exécrable et qui ainsi que Jean Roquet, en firent mourir un si grand nombre (1); ou bien n'étais-ce que des libertins qui se déguisaient ainsi pour voler ou attaquer plus impunément les jeunes personnes (2), il est difficile de le dire.

Quoi qu'il en soit, d'après l'opinion populaire, pour les tuer, ou du moins les dépouiller de cette peau de loup, il fallait de toute nécessité mettre dans le fusil, ou la balle, un morceau de cierge pascal; certains prêtres, comme M. l'abbé Jean-Claude Jeannin, disait-on, avaient la puissance de conjurer les orages et les grêles et de préserver les enfants qu'ils baptisaient contre les maléfices des sorciers et des loups-garous.

Le basilic était un serpent ailé, tout couvert d'yeux, et qui était né d'un oeuf de coq couvé par un crapaud; il se cachait dans les toits ou dans quelques trous de mur; si on avait la chance de l'apercevoir avant qu'il ne vous voit, il périssait; mais si au contraire l'un de ses yeux se fixait sur nous, avant que nous ayons pu le remarquer, c'était nous qui devions mourir. La chouette, la corneille, perchée sur un arbre voisin ou sur le toit de l'habitation, était aussi un signe de mort.

Les lutons de nos montagnes sont des nains ou des animaux noirs, à peine de la grosseur d'un chat, qui habitent les chalets et les fermes isolées; ils aiment surtout le fromage, ou la crème, ou le lait; la bonne ménagère doit toujours leur donner la première part; si elle agissait autrement, ils feraient la nuit, un vacarme épouvantable, renverseraient et briseraient les meubles de la maison, monteraient même le bétail de la ferme à la plus haute cime, comme ils l'ont fait cent fois, en particulier à la ferme du Boibe à la Norbière.

Quand on sait les respecter et leur plaire, ils sont très serviables; ils battent en grange toute la nuit, ensachent le grain, nettoient l'étable, pansent le bétail, etc ... Les nains naturellement ne sont pas méchants, et ils sont nombreux. Se figurait-on que nos ancêtres ont cru que les champignons, surtout les larges champignons, étaient des corps animés par les lutins ? Ces êtres mystérieux, moitié planté, moitié "je ne sais quoi", qui croissaient et grandissaient presque subitement, les intriguaient, et ils voyaient en eux quelque chose de surnaturel; ils les appelaient "sataba", c'est à dire lutins (espagnol : sotove = lutin) et se seraient bien donnés garde d'en briser un volontairement. Aujourd'hui encore, ce mot désigne le champignon, et on le donne aussi aux enfants gais, espiègles comme le luton. Ce sont donc les lutons dont les soins affectueux sont constants, si on sait les respecter, qui font prospérer la ferme. "Demandez", dit Munier "au père Chabot de la Norbière (Alexandre-Joseph Poux-Landry, dit Chabot) combien il leur est redevable".

A la mort d'une personne, on voit quelques fois dans ses héritages courir les fées ou dames ou follets, qui ne sont autre chose que les âmes de ces devanciers, ce sont ou des esprits malins, ou des damnés qui vont raudant partout, et qui conservent encore leur méchanceté, ou bien ce sont des âmes de parents qui viennent réclamer des prières. Ces esprits prennent la forme d'une langue de feu voltigeant avec confiance autour de vous, si vous ne faites pas de mouvements, et fuient devant vous si vous tentez de les atteindre. En 1858 et 1859, d'énormes bolides s'abattirent près d'une maison du village et dans les tourbières des Halles; on crut que de grands malheurs allaient éclater, mais il n'en fut rien. En 1862, (près d'une maison du village), on vit à Chapelle des Bois, une magnifique aurore boréale; on ne se rappelait pas d'avoir vu pareil phénomène; la population était consternée; il y en eut même qui croyant que c'était la fin du monde, s'empressèrent autour de leur pasteur et demandèrent à se confesser; on ne se sentait pas la conscience assez tranquille pour paraître ainsi devant le Père éternel.

Tous les fromagers fribourgeois étaient devenus sorciers; c'est reconnu dans nos montagnes, les preuves en sont inombrables. Tout le village a vu que les anciens gruygrins ne fermaient jamais leurs chalets et jamais personne ne pouvait pendant leur absence y pénétrer, sans recevoir de suite, la punition de sa témérité. Assurément il y a des sorciers, il peut y avoir des revenants, mais nous croyons que ces croyances sont tellement exagérées et implantées dans nos montagnes qu'on peut les ranger parmi d'autres superstitions qui existent aussi dans nos pays et ailleurs tels que : le nombre treize, les débris de paille en croix, le deuil des abeilles, etc ... du moins quelques unes ont leur côté utile au point de vue matériel. En effet cette croyance qui veut que les fromagers soient des sorciers, contribuait chez nos bons aïeux, à empêcher les fraudes du lait, ainsi que les vols qui se commettent dans les fromageries, plus puissamment que les éprouvettes, les galactomètres, les arcomètres, etc ... ne le font aujourd'hui.


haut de page