(extraits du "Progrès"
début 2002)
Le Progrès du dimanche a consacré début 2002 deux
articles très intéressants sur la R.N. 5 au-delà de Champagnole.
On apprend dans le premier, comment dès 1841, le pont
de l'Epée construit avant 1344, et mille fois refait, a été doublé par
un pont neuf à une seule arche ; puis comme ce pont neuf devenu inadapté
aux conditions modernes de circulation a été soulagé par le grand pont
de Cize construit en 1971-1972.
Le second explique dans quelles conditions a été adopté
le tracé actuel de la route entre la Billaude et le Pont de la Chaux :
qui reste " sur la rive gauche, peu éloigné de la rivière utilisant
dans sa partie avale l'ancienne route impériale. Aménagée au niveau du
ravin de la Renvoise par un passage sur l'adret en utilisant le pont "
Jean Tournier " et en érigeant le " pont Tati ".
Suivent quelques lignes qui disent bien d'où venait
la main-d'œuvre nécessaire à ces grands travaux routiers de l'époque.
Les trente ans du pont de
Cize
où la fuite vers le
sud des ponts de l'Ain
Le franchissement de l'Ain est au cœur de l'histoire
régionale. Le temps et les impératifs du transit ont déplacé vers le sud
ce trait d'union essentiel. Il y eu le pont de l'Epée, puis le pont Neuf,
enfin, il y a tout juste trente ans, le pont de " Cize ".
Le Jura est aussi le pays des ponts. Certaines villes
en possèdent des dizaines, lancés sur des torrents montagnards aux flots
puissants et rapides.
C'est la largeur limitée de ces cours d'eau qui a
ainsi multiplié les moyens de franchissement. Champagnole montre un visage
bien différent. L'Ain, encore dans sa prime adolescence, est déjà une
rivière significative au débit important et aux dimensions généreuses.
Son cours ne traverse pas la ville, il sépare efficacement
deux pays. Le bourg primitif, confortablement assis sur l'éperon sableux
de la " rue Darry " ne colonisa jamais, faute de pont, la rive qui lui
fait face. Bien longtemps, l'ambiance des coteaux rive gauche resta champêtre
ou sylvestre. En tout cas, la charte de franchise de 1320 ne traverse
pas la rivière, l'agglomération non plus.
Au moyen age, Ney, isolé " physiquement " de ses proches
voisins, cultiva une autonomie " de fait " qui lui accorda très tôt, le
statut de paroisse indépendante dans le même temps ou ses alters-ego,
satellisés autour de Champagnole, unissaient leurs destins religieux à
cette commune. Les légendes, les traditions, les rumeurs, narrant la construction
ou la disparition d'un pont sont légions dans les montagnes. Il n'y en
a qu'une qui se trouve attachée à la haute vallée de l'Ain. Il s'agit
d'un bien hypothétique passage, à la hauteur de Cize, appelé le pont.
Ou mieux, le gué de la Morte.
"Refait" mille fois
En fait le parcours supérieur de l'Ain n'offrait guère
qu'un seul point de franchissement fiable.
Sur une centaine de mètres, la rivière se trouve resserrée
entre deux bancs de roches indestructibles. Ce canal forcé est à l'origine
du Quartier du Parc.
Des usines, des moulins purent s'asseoir commodément,
mais surtout un pont put être lancé. La date de naissance du Pont de l'Epée
restera à jamais nébuleuse. Elle est antérieure toutefois à 1344, date
à laquelle il est déjà cité. Il fut " refait " mille fois. En 1771 il
menaçait ruine. On reconstitua les parties attaquées mais les structures
porteuses ne semblent pas avoir été améliorées.
En tout cas cent ans plus tard, en 1879, tout est
à refaire. " Les murs en retour, la voûte, les tympans sont tellement
dégradés (que l'on redoute) qu'ils n'entraînent la chute de cette construction
". Mais ce sont surtout les accès qui consacrent le caractère obsolète
du vieil ouvrage. Ces aspects sont déjà soulignés lors des restructurations
du réseau entamées par les intendants de Louis XV. Le projet qui mûrit
longuement, avant 1840, s'attache justement à traiter ces abords … " Partant
du sommet de la pente de l'Epée, suivra la Grand Rue, tournera sur la
rive droite pour se développer sur le flanc du coteau, traversera la rivière
un peu en amont des usines Muller et reviendra rejoindre la route actuelle
au niveau de la poste aux chevaux … " Personne, même parmi les propriétaires
expropriés ne conteste l'intérêt du futur Pont Neuf.
Les critiques fusent
En 1841, le grand pont a une seule arche en plein
ceintre " un peu aiguë ", il devient même un des emblèmes représentatifs
de la ville.
Pourtant les critiques fusent, en ce qui concerne
sa conception. On dit qu'il est d'une architecture lourde et sans grâce,
qu'on a eu le tort de faire le tablier plus étroit au-dessus de l'arche
que dans les autres parties. On s'habitue vite toutefois, à cette grande
arche qui toise l'eau du haut de ses 19m 90. C'est plutôt son environnement
qui, intras muros, va alimenter les conversations.
Pensez donc ! Déjà l'espace compris entre le haut
de la Cote du Pont et la ferme Jobez avait été aménagé en promenade. Au-delà
de cette active exploitation agricole, la grande boucle descendante qui
amenait la route au niveau du nouveau pont, enfermait, enfermait une large
esplanade. Or des propositions, au plus haut niveau communal, souhaitaient
profiter de cette opportunité pour doubler la surface de belle Frise.
Evidemment la tranche laborieuse de la population s'insurgeait contre
ces nouvelles et onéreuses facilitées offertes aux " feignants ".
L'eau coula sereinement pendant cent trente ans sous
le pont. Déjà, la philosophie du transit avait bien évolué avec le goudronnage.
Le nouveau profilage bombé de la chaussée était surtout destiné à évacuer
l'eau, facteur accidentogène redouté, le plus rapidement possible. Cette
pratique ne posait pas de problème dans les segments droits. Mais lorsque
la crête médiane de la route devait suivre un angle droit, elle oubliait
dans l'espace mort une impressionnante cuvette. Les suspensions hydropneumatiques
à fort débattement des premières DS, n'oublieront jamais le virage de
l'Hôtel du Parc. Ces inconvénients furent, un peu masqués par les enrobés
aux profils plus tolérants. Mais après la " révolution " de 68, une nouvelle
génération technologique conjuguée à des habitudes sociales fondamentalement
changées, exigèrent des équipements adaptés à une nervosité ambiante exacerbée
. Les esses du quartier du Parc, le dévers sournois du virage de Gerland,
la traversée de Cize constituaient des écueils difficilement assimilables
dans les conditions modernes d'utilisation.
Il y a tout juste 30 ans
L'inscription, au VI ème Plan, d'un " ouvrage de franchissement
" sur la rivière d'Ain, arrivait à son heure. Le premier coup de pelle
fut donné le 1er mars 1972, il y a tout juste 30 ans. Pourtant, les fouilles
de fondation de la rive droite, révélèrent une surprise de taille. Le
rocher présentait un pendage surprenant, rendant aléatoire l'assise de
la pile.
C'est un problème identique qui avait conduit, en
1884, le démantèlement de la partie déjà bâtie du viaduc ferroviaire de
la Roche. photos viaduc Dans ce cas, c'est la pile de la rive gauche qui
avait cédé. On avait dû, dans l'urgence déplacer le pont d'un bon kilomètre.
Le viaduc de Cize devint syamois.
Les conditions cette fois, avaient quand même bien
évolué. On ne perdit " qu'un mois " à recalculer l'ouvrage, ce qui, à
l'époque constitua une performance remarquable. Finalement, on allongea
le tablier de 9.21 mètres, ce qui permit de retrouver les assises espérées.
L'ouvrage comportera trois traversées en béton précontraint pour un développement
total de 150 mètres. C'est une entreprise grenobloise qui fut chargée
après concours, de la réalisation.
Le pont fut inauguré au mois de juin 73, il avait
coûté 2.517.000 Francs. Cize, enfin, retrouvait un " viaduc ".
A l'assaut des rampes
le nouveau tracé de
la RN.5
Certains ont écrit que la route "est
une lente acquisition de l'homme sur la nature". A l'évidence
cette quête a duré plus de vingt siècles. Nos régions
montagneuses sont même, à cet égard, caricaturale.
Il est souvent facile de trouver, à l'origine des routes de la
plaine jurassienne ou du Revermont, une volonté organisatrice très
ancienne. Les montagnes sont beaucoup plus égocentriques. Le chemin
est empiriquement tracé par des besoins locaux à très
faible rayon d'action. Une communauté quelconque lançait,
en étoile, des rayons à usages domestiques. Parfois, une
branche de ces étoiles atteignait l'extrémité d'une
excroissance voisine, constituant ainsi une continuité spatiale.
On se contenta longtemps de ces sentes naturelles.
Gommer toutes les incohérences
Au milieu du XIXè siècle, on prit soudain
conscience du réalisme douteux de certains tracés. La révolution
industrielle, secouant le pays jusqu'aux frontières, avait besoin
de rationalité. Entre 1840 et 1860, les autorités départementales
semblèrent vouloir d'un coup, gommer toutes les incohérences.
Il était temps. La fin du siècle verra le triomphe du chemin
de fer. Les disponibilités lui seront presque exclusivement affectées.
Il faudra attendre l'avènement de l'automobile pour que la route
retrouve ses prérogatives.
Deux grands chantiers, les premiers de ce type, ont
animé la vie locale dans ces années là. Il est facile
d'imaginer l'impact de ces travaux, gigantesques pour l'époque,
sur une population qui découvrait l'efficacité des services
publics dans un domaine autre que l'astreinte militaire.
Deux routes"royales" ex "impériales"
quittaient Champagnole pour irriguer la montagne. Elles existent toujours.
Leurs qualités présentes est prudemment "nationale"
que l'on fait suivre des numéros 471 à 5. Elles possèdent
un trait physique commun. Juste à l'amont de la ville, elles doivent
affronter de rudes défilés. Ces deux "rampes"
firent l'objet entre 1840 et 1852 de rectifications fondamentale.
La route à péage d'Entreportes
Sur une carte le tracé de la route Royale "de
Chalons à la Suisse" au début du XIXe siècle,
respire le bon sens. De Champagnole à Pontarlier, le trait ne s'écarte
guère de la ligne droite qui, comme chacun sait, est le plus court
moyen de joindre un point à un autre. Même la montée
de la Fresse, au pendage énorme, ne déroge guère
ç cette règle. Sur le papier, un saillant suffit à
effacer cette difficulté. Il n'en est pas de même sur le
terrain. On est à 620 mètres d'altitude à la sortie
d'Equevillon. Deux kilomètres plus loin, on a gagné 124
mètres, au sommet de la Vieille Fresse. La Platière est
encore plus haut, à 780 mètres. Il est facile d'imaginer,
au temps de la traction animale, les dangers représentés
par de telles pentes. L'hiver en période de gel, la descente était
impraticable. La montée estivale exigeait le doublement des équipages.
Mais la Fresse n'est pas que le nom usuel de la forêt occupant ici
ce synclinal. C'est le troisième des dix chaînons parallèles
qui parcourt le Jura du nord au sud. Il est particulièrement compact
dans cette région et son imperméabilité se trouve
accrue par le fait que la chaîne suivante, le Maclu, s'y trouve
collé.
Toutes les études effectuées pour tenter
d'amollir cette pente se heurtèrent au même raisonnement.
On opta finalement pour une solution radicale. Le tracé de la Fresse
fut purement et simplement abandonné. Un projet fut approuvé
en mars 1839. Il s'attelait à tracer une nouvelle route sur 9,914
kilomètres, chiffre énorme que l'on peut comparer, par exemple,
avec les 5,3 kilomètres de la déviation de Champagnole.
Il prévoyait, d'abord une première rectification dans la
rampe de la Cude, avant même Equevillon. celle-ci sera même
réalisée avec beaucoup plus d'ampleur que le projet initial
le prévoyait, puisque finalement la route évitera complètement
le village. Il existait un chemin desservant, au départ d'Equevillon,
le village de Lent. Celui-ci empruntait déjà le défilé
d'Entreportes. cette route fut recalibrée et améliorée.
mais aucune trace n'avait encore pénétrée la combe
marneuse du bief de Peuly. D'Entreportes à Charbonny, la route
fut créée de toutes pièces. Ce village aussi était
évité. Un large virage emmenait la route plein ouest et
il fallait un second coude pour la réorienter vers Onglières.
Finalement, cette partie amont sera abandonnée.
Ampleur des travaux et moyens disponibles
Si l'ampleur des travaux était tout à
fait inhabituelle à l'époque, les moyens mis en oeuvre pour
parvenir aux résultats, le furent encore moins.Par une ordonnance
royale de 1844, on autorisa l'adjudicataire à prélever un
droit de péage. Le décret fixait les tarifs : cheval ou
mulet attelé : 0,30 Francs, paire de boeufs ou vaches attelés
: 0,30 francs; cheval, boeuf, vache, âne, ânesse non attelé,
non chargé : 0,05 francs. Pour percevoir ce droit, il fallut bien
entendu, sédentariser un agent. La baraque du péage d'Equevillon
a été rasée en 1994. Elle était la seule construction
de ce village bâtie sur le côté droit de la route,
avant d'aborder le parcours payant.
La route des "habitants du Vaudioux"
Le percement des gorges de Cornu fut à l'origine
d'une agitation publique originale. La rampe du Vieux Cornu était
étroite, sinueuse et dangereuse. Elle empruntait le pont "Jean
Tournier" nom préféré par le bâtisseur
de cet ouvrage en 1552. Elle était de plus mal orientée
et conservait ainsi les stigmates hivernaux pendant de très longues
périodes. La ville de Champagnole fut un des animateurs essentiels
du projet, "une grande partie de ses intérêts commerciaux
se rattache à l'importance de cette rectification". Dans ces
conditions, la publication des plans initiaux souleva au sein de l'assemblée
municipale, un vaste débat suivi immédiatement d'un véritable
tollé. L'ingénieur OISEL, des Ponts et Chaussées,
avait, il est vrai, élaboré un tracé quelque peu
singulier. "Sa" route quittait la vieille voie impériale
à hauteur du carrefour du Vaudioux. Elle passait à deux
cents mètres à l'est de la Billode (ainsi orthographié)
et traversait la Lemme sur un pont de pierres. Elle escaladait ensuite
les coteaux de la rive droite. L'importante dénivellation était
effacée par deux redoutables épingles à cheveux.
Cette nouvelle manière de dessiner les rampes était alors
fort en vogue. Les virages brusques étaient sans danger alors qu'il
convenait de ménager les équipages. On venait d'aménager
ainsi la rampe des Ferrières, entre Arbois et Champagnole, la montée
de Revigny et surtout de 1841 à 1852, les fameux lacets de Septmoncel.
La commune du Vaudioux fut la première à réagir.
La justification même du hameau de la Billode ne se trouvait-elle
pas justement dans le transit ? Or, la nouvelle voie s'en écartait
délibérément. Puis , c'est le conseil municipal de
Champagnole qui se mêla à l'affaire par la voix, principalement
du maire BILLOT.
L'agent communal fut charger d'élaborer un
contre-projet. Celui-ci commençait dans le village du Vaudioux,
puis sans jamais quitter la rive gauche, montait en pente très
douce jusqu'à Pont-de-la-Chaux. Champagnole réunit autour
de son projet un véritable cartel. On vit les municipalités
de Morez, Saint-Claude, intervenir pour soutenir cette proposition. mais
elle fut jugée beaucoup trop longue et par conséquent trop
dispendieuse. C'est alors qu'intervinrent les "habitants du Vaudioux".
Hommes de terrain, forestiers, paysans, ils démontrèrent
intelligemment la faisabilité d'un tracé restant sur la
rive gauche, peu éloigné de la rivière utilisant
dans sa partie avale l'ancienne route impériale. Ce sont ces propositions
qui seront retenues, aménagées au niveau du ravin de la
Renvoise par un passage sur l'adret en utilisant le pont "Jean Tournier"
et en érigeant le pont Tati.
Études pleines de bon sens
Les études effectuées par les Champagnolais
étaient pourtant pleines de bon sens. Quelques années plus
tard, lorsque le train se présenta au bas des gorges de Cornu,
elles seront à l'exception des tunnels, intégralement reprises.
C'est un entrepreneur de Chaux-du-Dombief, Jean LEVY qui assura l'exécution
des travaux. Il dut, en cours de chantier, faire face à une vague
anarchique générée par les événements
du printemps 1848. Des ouvriers expulsés des villes, se présentaient
à son bureau, établi sur le chantier.
Par la force, par la menace, l'entrepreneur se voyait
contraint de les embaucher. LEVY se plaint d'avoir du occuper ainsi "300
à 350 ouvriers tous plus mauvais les uns que les autres".
Il précise, dans un courrier adressé
au préfet : "il ne fallait pas songer à recourir à
la force, celle-ci était désorganisée et n'existait
plus nulle part".
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