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Du Haut Jura au Québec, en 1893

 


Les grandvalliers, et leurs voisins, voyageaient dans toute la France. D'autres, nombreux aussi, s'expatriaient. L'abbé Léon Bourgeois, dans son "Histoire de Chapelle des Bois", raconte longuement les départs de missionnaires et de religieuses vers les Indes ou la Chine. Il y a aussi ceux qui s'en allaient, pour y rester, aux amériques. Les voyages étaient souvent épiques. Voici un exemple, tiré de l'"Histoire de Bois d'Amont", de l'abbé Francis Bono. Il s'agit de quatre familles qui en 1893, quittent Bois d'Amont pour Saint-Claude du Manitoba. Départ : 22 avril 1893, arrivée 31 mai 1893.

Voir également :
des Fonciniers en Savoie
Les grands voyages des Chapelans
les soeurs Paget

Le 22 avril 1893, à 6 heures, quatre familles Arbez, Cretin et Vandel, quittaient Bois d'Amont pour Paris. La ligne de chemin de fer n'allait pas au-delà de Saint-Laurent : ils gagnèrent donc Saint-Laurent en voiture à cheval, et après avoir fait enregistrer leurs bagages, ils prient le train à 18heures 30 et arrivèrent le lendemain vers 11 heures en gare de Lyon. Après trois jours de démarches et de paperasseries à Parie, ils reprirent le train pour Boulogne. Charles Arbez avait atteint à ce moment-là ses 18 ans. Avec l'autorisation paternelle arrivée par lettre, il fut admis pour le départ. Mais Joseph Cretin, frère d'Henri, ne put embarquer : sa femme boitait un peu et fut refusée par les services canadiens d'immigration.

"Clair de lune sur le port de Boulogne", Edouart Manet

Le 27 avril, à 19 heures, ces trois familles et Charles Arbez embarquèrent sur un vieux bateau, mal bâti, usé et sale, le "P. Galland". Il y eut donc en tout 7 adultes et 6 enfants qui partirent. La traversée fut très pénible pour nos montagnards qui voyaient la mer pour la première fois. Le mal de mer, le froid, le rationnement de l'eau, la mauvaise nourriture éprouvèrent tous nos gens, surtout Anne Berthe Vandel et Marie Arbez qui, mariées de l'automne, attendaient leur premier enfant.

Après 15 jours de mer, ils débarquèrent, non pas à Québec au Canada, mais aux Etats-Unis, à New-York, le 12 mai à 9 heures du soir. Puis encore une journée de paperasses et de formalités et ils reprirent le train le lendemain, à 10 heures du soir. Il fallait 6 journées de train pour arriver à Winnipeg, capitale du Manitoba. Et parfois les inondations des rivières obligeaient le train à rouler avec de l'eau jusqu en haut des roues et jusqu'aux marches d'escaliers des wagons ... C'est ce qui arriva. Après les tempêtes de l'Atlantique, nos Bois-d'Amoniers durent affronter les dangers des rivières en crue dans des wagons peu confortables. Et le voyage dura 7 jours, du 11 au 18 mai. C'était le printemps; avec la pluie et la neige, les rivières débordaient ...

Le 14 mai, le train s'arrêta au cours du voyage : la voie ferrée avait été emportée par la crue d'une rivière. Il fallait attendre la réparation de la ligne. Dans le train, il faisait froid. Un peu plus loin, l'eau montait jusqu'au marchepied. On se demandait si la voie en dessous allait tenir ...

Après bien des angoisses, nos compatriotes arrivèrent à Winnipeg, et c'est en voiture à cheval qu ils firent le dernier trajet. Leur première nuit sur la terre ferme, ils la passèrent au village de Notre-Dame de Lourdes, Dom Benoit les accueillit. Tous dormirent dans l'église, allongés sur du foin.

Encore dix jours et ils logèrent dans une cabane de chantier pour bûcherons, dans le village de Saint-Claude. C'est dans ce village qu'ils s'établiront le 31 mai 1893.

Pour la deuxième nuit, la pauvre cabane leur causa une désagréable surprise : la pluie tombait sur leurs matelas. Parapluies et ombrelles purent endiguer les gouttières. Au lever du jour, les hommes avaient emprunter du papier goudronné pour réparer le toit. Autour de l'endroit où ils avaient trouver refuge, le chantier forestier était un vrai bourbier, il fallait pourtant s'organiser.
Leur premier souci fut de trouver une vache qui fournirait le lait, nourriture de base pour nos Bois-d'Amoniers de l'époque. Donc en huit jours ils construisirent une petite étable en bois et achetèrent une vache.
Le lendemain, dimanche 11 juin, c'était la fête de Saint-Claude. Un prêtre de Notre-Dame de Lourdes vint célébrer messe et vêpres. Ce prêtre était un jurassien : le père Cottet, de Cinquétral. L'église n'était pas encore terminée. Et le père Cottet loua les bras de nos Bois-d'Amoniers, experts en tavaillons, afin de terminer la couverture de l'église. Ces trois jours de travail apportèrent aussi un petit salaire, bien venu car l'escarcelle était plate.
Enfin l'été vint sur cette terre marécageuse et les moustiques tourbillonnaient et piquaient. La nuit, les loups approchaient de l'étable et hurlaient. Il y eut des jours sombres. Les femmes surtout avaient le mal du pays et leurs lettres firent couler bien des larmes au Vivier.


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