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Quand la tante Guitte faisait au four


Au début du siècle dernier, - ce n'est pas si loin - les paysans ne manipulaient que peu d'argent. Ils tiraient leur nourriture de leur terre et de leur travail. Le jardin fournissait les légumes; le pommier, le poirier, les pruniers et le Mont-Noir, les fruits; le poulailler les oeufs; le clapier la viande. Pour les en-cas, on avait tué la "moitié d'un cochon"et mis les morceaux au saloir.
Quant au pain, l'essentiel, il était totalement de fabrication maison.
charrue Brabant

François avait labouré. La Poulette, sa jument, qui avait été choisie pour tirer le corbillard communal parcequ'elle était noire et parceque, comme son maître elle était calme, la Poulette avait, en tirant la charrue Brabant sous la surveillance de François, tracé des sillons réguliers puis tiré la bêcheuse et la herse. Et son maître, imitant le geste auguste du semeur qui décorait le mur du poêle à côté de l'Angélus, avait dispersé la semence réservée lors de la dernière moisson.

En août, les foins rentrés, la fête de Foncine passée et le regain poussant, on avait moissonné. François avait fauché Il avait fixé sur sa faux un cerceau de bois qui permettait de coucher les tiges et les épis pour faire des javelles parfaites.

Puis il avait mis les javelles en gerbes qu'il avait liées avec des baguettes de coudrier savamment tordues et retordues. On avait délicatement chargé le baria et la Poulette avait amené la voiture à la grange. La déchargeuse, et son moteur Bernard, avaient hissé l'ensemble de la récolte jusqu'au wagonnet. Il ne restait plus qu'à la jeter à sa place, sur le grenier.

La Toussaint passée, les pommes de terre ramassées, les choux et les choux-raves rentrés, la batteuse d'Entre deux Monts était arrivée, conduite par Jules, le maire de ce village. La paille avait été rangée pour l'hiver; et le grain versé dans le grenier à grain pour sécher encore un peu avant d'être conduit chez le meunier.

Foncine le Bas

Celui-ci l'avait moulu, Il avait gardé pour lui, en paiement de son travail, une partie de la farine et il avait rendu à François sa part de farine et le son. Dès lors La Guitte avait ce qu'il lui fallait pour faire au four.

La veille elle avait amené la maie au poële près du fourneau; elle y avait déposé ce qu'il fallait de farine pour faire douze miches de pain et mis à portée de sa main l'eau, le sel, et le levain - pot de pâte fermentée prélevée sur la fournée précédente - puis, petit à petit, elle avait mêlé farine et eau, pétri par poignées de plus en plus grosses, puis poings fermés et enfin levant et laissant retomber des brassées de pâte pour bien l'aérer. Enfin elle avait laissé le levain faire son travail toute la nuit

De bon matin, la pâte avait grossi. Il était temps de la mettre dans les vanottes. La Guitte les avait apportées près de la maie. Elle les saupoudrait une à une d'un peu de farine et donnait à chacune sa ration de pâte . Elle mettait de côté, dans un pot de terre, ce qui serait le levain de la prochaine fournée. Puis, s'il restait un peu de pâte elle en faisait une ou deux petites boules qui deviendraient des quignons pour les gamins. Encore un peu de repos, la pâte gonflait encore, puis arrivait le moment de mettre au four. François avait préparé le feu : des brindilles, du petit bois tiré d'une bûche de sapin, puis des bûches de plus en plus grosses de foyard bien sec.

Il avait allumé puis surveillé la couleur de la voûte. C'est cette couleur qui donnait le signal d'enfourner. Enfin il avait retiré les cendres qu'il avait jetées dans le cendrier (elles serviront lors de la prochaine grande lessive). Les vanottes avaient été apportées à la cuisine, la pelle installée, l'avant sur le bord du four, l'extrémité du long manche sur la table. Le four était prêt. François passait les vanottes une à une, La Guitte les renversait et les plaquait sur la pelle, puis poussait celle-ci dans le four, rangeant chaque pièce sans perdre de place et en évitant tout contact. Enfin d'un geste brusque elle retirait la pelle qui se délestait de sa charge. Un dernier coup d'œil puis elle fermait la porte du four et glissait un peu de cendre à sa base pour éviter des pertes de chaleur et lentement la pâte devenait miches.

La Guitte venait guetter par l'œilleton de la porte du four si tout allait bien et le moment venu - elle savait le deviner - elle défournait. Les miches refroidies étaient rangées dans la chambre dessus. Il fallait attendre quatre jours avant de manger la première. Cela ne les empêchaient de garder toute leur saveur.

Au moment des foins,des voisines venaient donner un coup de main pour râteler. Avant de rentrer chez elles, elles faisaient "quatre heures". Il fallait voir alors avec quel appétit leurs gamins, assis sur les marches des escaliers, dévoraient leur tartine.


G.G

Les bôlons

Après la guerre de 1914-1918 nos ancêtres ne cultivaient plus ni le lin ni le chanvre, mais chaque paysan semait de l'avoine pour le cheval, un peu de seigle, et de l'orge pour les poules et pour le boire aux veaux.
De l'orge, on faisait aussi des bôlons. Le meunier en tirait une farine moins blutée donc plus colorée que la farine de blé. Cette farine était pétrie, puis roulée en boules de la grosseur d'un poing et ces boules étaient mises au four une fois défourné le pain. Elles y étaient maintenues tant que le four gardait un minimum de chaleur.
Les bôlons ainsi obtenus, se conservaient de trois à six mois sans jamais moisir. Ils étaient si durs qu'aucune dent ne pouvait les mordre. On les brisait soit avec un marteau soit en les frappant l'un contre l'autre. On les faisait tremper dans la marmite. Avec une goutte de lait, ils devenaient un déjeuner ou une soupe nourrissante et appréciée qui permettait d'économiser le pain.

La cuisson du Pain
Emile Verhaeren (1855 - 1916)

 

Les servantes faisaient le pain pour les dimanches,
Avec le meilleur lait, avec le meilleur grain,
Le front courbé, le coude en pointe hors des manches,
La sueur les mouillant et coulant au pétrin.

Leurs mains, leurs doigts, leur corps entier fumait de hâte,
Leur gorge remuait dans les corsages pleins.
Leurs deux poings monstrueux pataugeaient dans la pâte
Et la moulaient en ronds comme la chair des seins.

Le bois brûlé se fendillait en braises rouges
Et deux par deux, du bout d'une planche, les gouges
Dans le ventre des fours engouffraient les pains mous.

Et les flammes, par les gueules s'ouvrant passage,
Comme une meute énorme et chaude de chiens roux,
Sautaient en rugissant leur mordre le visage.

 

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