Quand la tante Guitte faisait au four |
Au début du siècle
dernier, - ce n'est pas si loin - les paysans ne manipulaient que peu
d'argent. Ils tiraient leur nourriture de leur terre et de leur travail.
Le jardin fournissait les légumes; le pommier, le poirier, les
pruniers et le Mont-Noir, les fruits; le poulailler les oeufs; le clapier
la viande. Pour les en-cas, on avait tué la "moitié
d'un cochon"et mis les morceaux au saloir.
Quant au pain, l'essentiel, il était totalement de fabrication maison. François avait labouré.
La Poulette, sa jument, qui avait été choisie pour
tirer le corbillard communal parcequ'elle était noire et parceque,
comme son maître elle était calme, la Poulette avait,
en tirant la charrue Brabant sous la surveillance de François,
tracé des sillons réguliers puis tiré la bêcheuse
et la herse. Et son maître, imitant le geste auguste du semeur qui
décorait le mur du poêle à côté de l'Angélus,
avait dispersé la semence réservée lors de la dernière
moisson. Puis il avait mis les javelles en gerbes qu'il avait liées avec des baguettes de coudrier savamment tordues et retordues. On avait délicatement chargé le baria et la Poulette avait amené la voiture à la grange. La déchargeuse, et son moteur Bernard, avaient hissé l'ensemble de la récolte jusqu'au wagonnet. Il ne restait plus qu'à la jeter à sa place, sur le grenier. La Toussaint passée, les pommes de terre ramassées, les choux et les choux-raves rentrés, la batteuse d'Entre deux Monts était arrivée, conduite par Jules, le maire de ce village. La paille avait été rangée pour l'hiver; et le grain versé dans le grenier à grain pour sécher encore un peu avant d'être conduit chez le meunier. Celui-ci l'avait moulu, Il avait
gardé pour lui, en paiement de son travail, une partie de la farine
et il avait rendu à François sa part de farine et le son.
Dès lors La Guitte avait ce qu'il lui fallait pour faire
au four. Il avait allumé puis surveillé
la couleur de la voûte. C'est cette couleur qui donnait le signal
d'enfourner. Enfin il avait retiré les cendres qu'il avait jetées
dans le cendrier (elles serviront lors de la prochaine grande lessive).
Les vanottes avaient été apportées à la cuisine,
la pelle installée, l'avant sur le bord du four, l'extrémité
du long manche sur la table. Le four était prêt. François
passait les vanottes une à une, La Guitte les renversait
et les plaquait sur la pelle, puis poussait celle-ci dans le four, rangeant
chaque pièce sans perdre de place et en évitant tout contact.
Enfin d'un geste brusque elle retirait la pelle qui se délestait
de sa charge. Un dernier coup d'œil puis elle fermait la porte du
four et glissait un peu de cendre à sa base pour éviter
des pertes de chaleur et lentement la pâte devenait miches. Après la guerre de 1914-1918
nos ancêtres ne cultivaient plus ni le lin ni le chanvre, mais chaque
paysan semait de l'avoine pour le cheval, un peu de seigle, et de l'orge
pour les poules et pour le boire aux veaux.
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