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Les Francs-Comtois, caractère, coutumes, légendes

 


Dans son livre sur le Jura, G. Fraipont qui voyage avec son ami Georges, décrit avec justesse et d'un coup d'oeil, le pays qu'il parcourt et les gens qu'il rencontre. Dans le Canton de Baume, à Pont les Moulins, ils s'arrêtent dans une auberge et font la connaissance d'un médecin de campagne. Le médecin-chirurgien en tournée, enchanté de trouver quelqu'un à qui parler d'autre chose que des pommes de terre et des bestiaux, leur donne sa vision du pays qu'il parcourt en tous sens depuis des années. Il a pu par lui-même observer les caractères des habitants, en a étudié les moeurs, les usages, les coutumes, et a récolté une foule d'anecdotes et de légendes.

photo "les Amis du Grandvaux", auteur Jean-Pierre Thouverez


Le Franc-Comtois est plutôt sérieux, réfléchi, parfois même un peu sournois; il a l'esprit vif, la répartie facile, il aime assez à rire aux dépens de ses semblables; d'une imagination vive il a une certaine tendance à croire au merveilleux, ce qui ne l'empêche pas, par antithèse, d'avoir un sens très net de la réalité et d'être très pratique dans tout ce qu'il entreprend, ne laissant la liberté à la "folle du logis" qu'autant ... qu'elle ne fait pas de folies; habitué à vivre dans la montagne, où parfois la crevasse se cache sous la broussaille, il est prudent, méfiant même et comme le chat, tâte le terrain avant d'y poser la patte. Braves gens, en somme, loyaux et généreux, tenaces dans leurs affections autant que dans leurs entreprises, les Franc-Comtois me semblent avoir l'esprit plus scientifique qu'artistique. Ceci "en général", car si notre pays a donné naissance à de grands savants, il a aussi été le berceau de grands artistes, n'aurait-il compté que Victor Hugo parmi ses enfants, que cela serait déjà suffisant, qu'en dites-vous ?

Mais il en est d'autres encore, moins grands certes, mais d'une valeur incontestée : Francis Wey, Charles Nodier, Xavier Marmier, comme littérateurs; Gustave Courbet, Jean Gigoux, Gérôme, comme peintres; Perraud, Clésinger, comme sculpteurs ... Je cite ceux dont les noms me sont présents à la mémoire, mais il en est bien d'autres ... Quant aux scientifiques, ils sont légion en tête de laquelle nous placerons Pasteur.

Très souvent, j'ai été surpris des réponses pleines de malice qui m'étaient faites par de simples campagnards et d'autant plus que nos gars ont rarement le physique de l'emploi, leur allure un peu épaisse, lourdaude même, dissimule un fond de finesse grande et l'on est souvent déconcerté lorsque, tranquillement, en pince-sans-rire, ils répondent du tac au tac dans leur patois, avec cet accent nasillard, un peu traînard qui les caractérise, accent presque indélébile, car si le séjour des villes peut l'atténuer, il ne le fait jamais complètement disparaître.

Tenez, rien n'est amusant comme d'assister en ce pays à des réunions campagnardes, noces ou baptêmes, quand, assemblés, nos gens n'ont d'autres occupations que de chanter, boire et rire en se lançant les uns aux autres des plaisanteries vite ramassées et dont les ripostes rebondissent, promptes comme l'éclair.

A une noce un loustic du pays s'adressant à l'époux, lui donne les conseils suivants :

"Rappelle-toi qu'un garçon de paille vaut bien une fille de foin, que lorsque la poule chante plus haut que le coq, il faut la mettre au pot; qu'afin que le vin fasse du bien aux femmes, ce sont les hommes qui doivent le boire. Ne laisse pas la tienne porter la culotte; d'ailleurs, tu as lancé l'oeuf par-dessus le toit, malgré que les garçons d'honneur aient essayé de retenir ton bras (s'il était resté en deçà, adieu ton autorité dans le ménage), surtout ne te marie pas, gendre : tout mariage tout ménage.

Ouais ! interrompt une des femmes, mais pour un bon mari combien de naquets, de vade-mecum (1) qui valent ce que les poules font, sauf les oeufs ! Combien d'ivrognes, paresseux, débauchés pour lesquels on devrait ressusciter la vieille coutume : tous les ans, au mois de mai, régaler d'un charivari les hommes qui ont battu leurs femmes ! Combien de ménagères sont à la fois la fourche et le râteau ! Vous dites : battre sa femme, c'est battre la fausse monnaie ! nous répondons : battre sa femme, c'est battre sa bourse. Como quo te fa, fa li, quement di l'ousé".

Après les lazzis se croisant d'un bout de la table à l'autre, voici venir les chansons de terroir, gaies, assaisonnées souvent d'un brin de sel gaulois, mais souvent aussi pleines de mélancolique poésie; quoi de plus charmant que cette vieille romance, par exemple, que chevrota, en guise de bénédiction, la grand-mère de la mariée :

A la quenouille au ruban blanc
A ta quenouille au ruban d'or
File, file pour ton galant
File toujours, et file encor,
La chemise à plis qu'il mettra
Caules, langeottes et maillots,
Tantôt, quand il t'épousera.
Pour ton premier poupenot.
   
A ta quenouille au ruban bleu
A ta quenouille au ruban roux
File, en priant bien le bon Dieu,
File un mouchoir de chanvre doux,
L'aube du vieux prêtre béni
Afin que, si pleurer tu veux,
Qui vous dira : "je vous unis"
Tu puisses essuyer tes beaux yeux.
   
A ta quenouille au ruban vert
A ta quenouille au ruban noir,
File la nappe à cent couverts
File, sans trop le laisser voir
Sur laquelle, de si bon coeur,
Le linceul dont, quand tu mourras,
Nous y boirons à ton bonheur !
L'un de nous t'enveloppera.

Vous parlerai-je des anciennes coutumes à propos des mariages ? ... celles, par exemple, de la principauté de Montbéliard, où l'assistance clouait le mariage en frappant du pied le sol ? Dans certaines paroisses, au moment de l'union des époux, un homme désigné à cet effet enfonçait à coups de marteau un clou dans la balustrade de la galerie dominant la nef du temple.

Nombreuses sont les légendes, les traditions, les coutumes à propos des mariages; il en est pour tous les goûts, toutes les situations et tous les âges ! je n'en finirais pas si je voulais vous les citer, mais laissez-moi vous dire ces vers naïfs qui me reviennent à l'esprit, ce sont ceux que récitaient autrefois les amoureux au pied de la Madone de Sornay (près de Marnay) :

Sainte Vierge Marie
Sainte Vierge Marie
Aussi blanche que di paipie,
Aussi blanche que du papier,
Aussi douce que di lie,
Aussi douce que du miel,
Faut-u lou penre ou lou lassie ?
Faut-il le prendre ou le laisser ?

Et maintenant, voulez-vous que je vous cite une histoire du crû qui peint bien le Comtois malin, retors ? ... Il s'agit d'un pari fait entre un fermier et son seigneur.

- J'ai vu dans mes voyages, dit ce dernier, des choses si merveilleuses que tu n'aurais jamais pu même les rêver !
- Ça dépend, notre sire !
- Comment ?
- C'est selon, vous dis-je !
Les têtes s'échauffent, les paris s'engagent; l'enjeu c'est le fermage; le gagnant sera celui qui, de l'aveu de l'adversaire, aura rapporté la chose la plus incroyable. Voilà donc notre seigneur commençant le récit de son voyage au Pérou, voyage qu'il agrémente de toutes les fantaisies que lui suggère son désir de gagner le pari. A chaque merveille citée pour ébaubir notre paysan, celui-ci se contente de hocher la tête :
- Peuh ! oui, c'est beau, mais j'ai vu mieux que ça !
- Alors, dis-moi ce que tu as vu.
- Donc, ayant semé un grain de chénevis dans notre clos, il arriva qu'en peu de jours le chanvre trésit, grandit d'une telle force qu'il montait à vue d'oeil et sembla bientôt escalader le ciel. Je suis curieux de nature et ne pus résister à la tentation; je grimpai de branche en branche et parvenu tout en haut, je passai ma tête à travers le soleil qui n'est qu'un trou de la voûte céleste.
- Bah !
- C'est comme je vous le dis. Alors, Jésus, Maria, je fus récompensé de mes peines, car je vis, aussi distinctement que je vous vois, les plaines du paradis avec des arbres chargés de fruits, des prés immenses où pâturaient des millions de bêtes à cornes, des moissons magnifiques où chaque gerbe rendait un double de blé que récoltaient pour leur propre compte des paysans libres de toute servitude, affranchie des dîmes, des droits féodaux. Je vis ... mais, monseigneur, je n'oserai jamais vous dire ce que je vis !
- Va donc !
- Je vis feu mon grand-père porté en litière par deux laquais galonnés; il avait cet air majestueux qui vous sied si bien, messire, et, comme vous, il était vêtu d'un superbe pourpoint de drap bleu avec une toque de velours. Puis, non loin de lui, j'ai vu ...
- Continue ...
- J'ai vu, las moi ! notre feu seigneur, votre père, fort misérable, guenilleux, qui gardait des pourceaux.
- Tu mens, insolent, c'est impossible !
- Messire, vous avez perdu votre pari.

photo "les Amis du Grandvaux", auteur Jean-Pierre Thouverez

L'histoire est peut-être inventée à plaisir. mais authentique ou non, la parabole en est, en tout cas, aussi claire que transparente. N'essayez pas de jouer au plus fin avec les ruraux francs-comtois, vous courriez d'être, tout comme le gentilhomme ci-dessus, fait "quinaud".

Ils ont des réponses toutes prêtes, et leur sac est bourré de vieux adages, de vieux dictons, créés par leurs ancêtres et par eux récoltés, ou d'histoires piquantes tout à fait inattendue. Vous croyez sans doute, et je le croyais aussi, que Requiescat in pace était du latin ? ...détrompez-vous comme m'a détrompé moi-même Charles Turick qui a conté la légende du dernier sire de ray, sauvé de l'enfer par sa femme, la pieuse Quantine, à qui Saint Pierre avait imposé de demeurer encore trois ans sur terre à prier pour lui.

"Adonc, ayant ouï dire que dans le grand voyage de la terre au ciel, les âmes sont attaquées par des légions de diables qui s'efforcent de les arracher aux anges, elle pria instamment son époux de se tenir vers l'huis du paradis, afin qu'il l'ouvrit aussitôt lorsqu'elle l'appellerait. Ray promit, foi de chevalier, et ayant passé de vie à trépas, il demeura vers Saint-Pierre, son patron, à la porte du paradis, pour y attendre Quantine. Lorsque le tour de celle-ci vient, elle cria :

- Ray !
- Qui est-ce ?
- Quantine !
- Passez !

Ainsi fut-elle reçue par son mari dans la vie éternelle. D'autres âmes qui attendaient à la porte du ciel ayant vu Quantine entrer si aisément, s'avisèrent de répéter les mêmes paroles et leur admission ne souffrit aucune difficulté.

le col des roches

Et voilà pourquoi, dans l'espoir d'un pareil succès, on inscrit sur les tombes chrétiennes ces trois mots : Requiescat in pace, que vous et moi, et bien d'autres prenions pour du latin avant de connaître la très véridique histoire du sire de Ray et de la dame Quantine !

Si le Comtois a gardé de ses ancêtres l'esprit naturel, l'amour des réparties et le culte de certaines traditions, comme ses ancêtres aussi il est dur à la peine, ne se rebute pas, et quand il a entrepris un travail, il ne le lâchera qu'une fois celui-ci mené à bien, quel que soit le mal qu'il doive se donner; ah ! par exemple, il faut que cela lui rapporte et que le bénéfice soit en raison de la peine. J'en ai connu qui travaillaient sans cesse, se privant du strict nécessaire pour gaîgner, pour amasser toujours et mouraient de faim toute leur vie ... sans doute pour avoir de quoi vivre après leur mort. Ceci du reste, n'est point spécial au pays; j'ai vécu ailleurs, et j'ai constaté qu'un peu partout l'amour du lucre accompagné d'une certaine avarice fait le fond du caractère campagnard; cela se comprend, le paysan doit lutter contre les bêtes, les gens, les éléments; il voit si souvent tout le bénéfice de son travail compromis en un instant par la tempête, l'épidémie, la grêle, que l'argent qu'il a pu économiser lui tient au coeur et que, à force de le garder pour parer aux mauvaises années, il prend l'habitude, petit à petit, de thésauriser et ne sort qu'avec désespoir les sous de son bas de laine pour payer ce qu'il doit ... J'en sais quelque chose, moi qui vous parle, et depuis bien des années, bien avant que je n'habite ce pays, j'ai renoncé à me faire payer mes honoraires en écus sonnants par mes clients ruraux, me contentant d'émarger chez mes clients citadins. Pour les villageois, pas tous mais ceux que je sais ne pas être très à leur aise. J'emploie un moyen simple. Je ne sais si vous avez remarqué la singularité de mon attelage, quelque peu difforme ? A l'arrière-train surgit une bosse, telle une loupe sur un crâne. Cette bosse est mon coffre à honoraires, il se bourre d'un tas de choses. tel client acquitte sa note en y fourrant quelque canard dodu ou quelque poule rondelette; tel autre, braconnier ou chasseur, y glisse un lièvre ou des perdreaux, celui-ci y aligne des oeufs qui se changent en omelette souvent avant d'être arrivés dans ma cuisine. D'autres me fournissent de fruits, j'en ai qui me soldent en vin de leur récolte. Et c'est ainsi que moi je n'y perds pas et qu'eux sont ravis de n'avoir pas à délier les cordons de leur bourse pour payer le docteur. En somme je les aime bien tous, mes braves Comtois, et s'ils ont quelques défauts, ils les rachètent par des qualités énormes, probité, économie, travail, contrairement à tant d'autres qui rachètent de petites qualités par de grands défauts.

les dames d'Entreportes

Une grande gaillarde de bonne, haute comme un cheval de cavalerie et au pas aussi léger, nous apporte notre café ... Sapristi, si tous les montagnards sont taillés de cette façon ! Le café qu'elle nous verse n'est certes pas du moka, mais bast ! il a au moins la qualité d'être bouillant, et puis nous le boirons en écoutant les histoires de notre Hippocrate, cela le fera passer. "Complétez-le avec du kirch", nous dit celui-ci. Vous savez que nous sommes dans un pays où cette liqueur est parfaite; rien de tel pour rendre exquis un café médiocre.

Je vous ai dit, continue le docteur, que le paysan de cette contrée avait l'esprit enclin à croire au merveilleux; maintes légendes le prouvent, mais je dois ajouter qu'elles ont un peu perdu de leur crédit et que, si nos ancêtres les prenaient comme paroles d'évangile, les gars de notre temps sont beaucoup moins naïfs; l'instruction a pénétré ici comme partout, chassant du pays les fées et les sorciers, satan et abaddou, auxquels ne croient plus guère que quelques esprits simples ou les indigènes d'une autre génération... Fini des vieux contes où les êtres surnaturels, mystérieux, jouaient les premiers grands rôles et qu'autrefois nos ancêtres, blottis sous les grandes cheminées où pétillait le sapin, les hommes teillant le chanvre, les femmes filant la quenouille, écoutaient en tremblant. En ce pays, le décor semblait fait pour les mystérieuses apparitions : gorges profondes, crevasses sombres, gouffres insondables, paraissaient des repaires tout indiqués pour les réunions de gnomes et de farfadets, d'antithées et de démons. Chaque gorge avait son lutin, chaque fontaine son ondine. Tel vieux castel en ruines servait de retraite à la Vouivre, tel vallon était habité par la dame verte, malebête et bonne dame célèbres en Franche-Comté.

Quant aux enchanteurs et aux sorcières ils étaient nombreux; chaque village en possédait pour le moins un ou deux, et vous trouverez des vieillards qui vous raconteront avec le plus grands sérieux que leurs grands-pères ont eu maille à partir avec eux. Un de mes vieux clients me narrait un jour, et cela avec une inébranlable conviction, l'aventure suivante arrivée à son père disait-il :

"Il y avait dans le pays une vieille femme, qui était une sorcière, à preuve que le père de mon bonhomme, qui habitait la maison à côté, l'entendait marmotter les jours de sabbat :

"Pais dessus bo, pais dessus barres, pais dessus braintches, pais dessus tout 2 )" ce qui est, paraît-il, la formule cabalistique des sorcières enfourchant leur manche à balai, formule qui a pour vertu de vous faire immédiatement filer, comme un simple ramoneur, à travers la cheminée et de là comme un cerf-volant à travers les monts et les vaux jusqu'à l'endroit choisi pour les réunions diaboliques. Ah ! par exemple, si vous n'êtes point agrégé en sorcellerie, ne vous avisez pas d'employer la formule, je vous la donne sous le sceau du secret, car vous vous verriez aussitôt enlevé brusquement, vous seriez trimballé dans l'espace, et, faux-frère ayant voulu pénétrer les cabalistiques secrets, vous seriez heurté aux murailles, écorché aux rochers, accroché aux arbres, puis, brusquement vous retomberiez les reins brisés, la tête fendue, en quelque trou d'on vous auriez peine à sortir ...Encore, si la chance voulait que je me trouve sur votre passage pour vous raccommoder au moment de votre chute ! Comme rien n'est moins certain, mieux vaut ne pas essayer.

J'en reviens à ma sorcière : or donc, celle-ci avait la spécialité de fabriquer du beurre sans lait ni crème; un simple paquet de ficelle remplaçait l'un et l'autre, battu en baratte en prononçant des abracadabras ... la crème aussitôt jaillissait !

le saut du Doubs

Un jour que la femme était absente de chez elle, partie sans doute à quelque incantation, le père de mon client, curieux de sa nature et désirant pénétrer le secret de la vieille cauquemare, se glissa chez elle, ouvrit la baratte et y trouva le paquet de ficelle ! ... oui, mais voilà qu'au même moment il entend du bruit dans l'âtre : la sorcière revenait par la cheminée, son chemin de prédilection; vite le bonhomme, pris de peur, se fourre derrière un meuble, cachant à la hâte sous sa chemise le contenu de la baratte ! Il était temps, la ma^tresse du logis rentrait et se remettait aussitôt à l'oeuvre, battant son beurre à tour de bras. Mais au premier coup un flot de crème jaillit sur la poitrine du pauvre diable; second coup, second flot de crème ... en quelques instants cela débordait, inondant le bonhomme qui en avait maintenant plein le nez, plein les oreilles; étouffant à moitié, et pris d'une frousse terrible, il demande grâce, supplie sa voisine de s'arrêter, puis lui jetant son paquet de ficelle, s'élance au dehors plus mort que vif ! Tandis que la vieille carabosse, riant en montrant sa mâchoire édentée, lui criait : "S'te leçon vaut bin in fouerdmaige, sains doute 3)"... Le bonhomme, qui en attrapa une superbe jaunisse, "D'jurait, main in po ta qu'on n'li r'painrait pu 4)", laissa dès lors sa voisine chevaucher à l'aise sur son manche à balai et battre son beurre à sa guise."

Quelques vieilles coutumes superstitieuses subsistent encore en Franche-Comté, et maints "esprits forts" n'osent s'en affranchir. Certains légumes doivent être plantés en vieille lune, sous peine de ne pas arriver à maturité. Le chanvre doit être semé à la Saint-Pancrace, l'orge à la Saint-Georges, les raves à la Saint-Barnabé; ainsi le veulent les vieux adages :

 

 

 

Ai lai Saint Pancra, vouogne ton tcheneva,
Ai lai Saint Jeourdge, vouogne ton ouerdge,
Ai lai Saint Barnabé, vouogne ton das raves, t'en airé.

Voici des recettes maintenant : l'une supprimant les nostradamus, mathieu de la Drôme et autres farceurs, l'autre supprimant simplement les vétérinaires.

- Si vous voulez savoir le temps qu'il fera pendant l'année, placez, la nuit de Noël, douze oignons bien rangés sur une planchette, mettez sur chacun une pincée de sel. Chacun représente un mois de l'année; ceux sur lesquels le sel fondra indiqueront que les mois correspondant seront pluvieux, les autres promettront le beau temps.

-Pour éviter le vétérinaire qui se fait payer, on n'a qu'à enlever le fumier des étables le jour de Carnaval, cela évite sept maladies aux bestiaux ...

Diable ! s'écrie tout à coup notre conteur en tirant sa montre, vous me faites oublier mes malades ! à regret il faut que je me sauve, mais nous nous reverrons, j'y compte.

Après échange de courtes et chaudes poignées de main, notre docteur remonte en son véhicule et fouette son cheval en nous criant : "Serviteur, Messieurs !".

 

1) le patois franc-comtois a conservé beaucoup de mots latins.

2) par dessus bois, par dessus barres, par dessus branches, par dessus tout.

3) Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute?

4) Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.


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