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Le traité du médecin Munier

 


Docteur aux Planches, Jean-Baptiste Munier a laissé un extraordinaire traité sur le fonctionnement des fruitières aux 18 et 19e siècles. On y apprend que ce principe de mise en société de plusieurs petits propriétaires remonte à l'origine même de nos villages. C'est le sujet de ce nouvel article de Charles Thevenin, tiré du "Progrès".


Chalet de Fort du Plasne

Il avait trouvé dans l'héritage de sa femme, les nuées sulfureuses des ruines encore fumantes du Château de la Folie, aux Planches en Montagne. En septembre 1836, Jean-Baptiste Munier avait épousé Appolonie Fumey. Après le décès de son frère Albert, celle-ci restait la seule descendante de Claude-François Fumey, le singulier bâtisseur de la villa céleste.

Jean-Baptiste était né en novembre 1805 dans une vieille famille de Foncine le Haut. Il s'installa dans ce village dont il devint maire, avant d'être nommé conseiller d'arrondissement. Sa position sociale, bourgeoisement assise sur un solide tapis de rentes, lui permit de ne s'intéresser que modérément à la pratique de sa profession primitive, ou du moins de l'aborder avec le recul du chercheur. Ce "temps libre" ne fut pas oisif. Jean-Baptiste Munier s'intéressa à tous les aspects économiques et sociaux qui constituaient le fond ethnologique de sa région natale. Ses études historiques ne sortent pas du contexte général contemporain mais d'autres domaines révèlent une compétence peu courante. Son "Etude rurale sur la Fromagerie" en est un bel exemple.

Le principe de la "fruitière" remonte, dans nos montagnes, aux époques les plus reculées. Jean-Baptiste Munier trouve son origine à la naissance même de nos villages. C'est en Suisse voisine que furent établis ces principes de fonctionnement basés sur une expérience pluriséculaire. Il était rare qu'un seul particulier posséda un nombre suffisant de vaches pour fabriquer des fromages dit "de gruyère". La réunion du produit de plusieurs traites permit aux petits propriétaires de tirer de leur lait le même parti que s'ils étaient suffisamment riches pour avoir une fromagerie propre. On devine l'impact d'un tel constat sur les sociétés rurales montagnardes et les conséquences sociales qui allait en sortir.

Chalet de Fort du Plasne

Le "médecin" Munier cite par exemple "la femme dont l'époux est absent ou insolvable, le mineur, l'interdit, en un mot celui qui est inhabile à former un contrat volontaire ou juridique, peut cependant concourir à une fabrication de fromage et devenir membre d'une société ". Un certain nombre de règles, librement consenties, strictement appliquées, deviennent ainsi le moteur d'un véritable éveil rural. Le fonctionnement est exemplaire malgré sa simplicité;

"Le premier jour de la manipulation, tous les produits de la fruitière appartiennent à celui qui a apporté la plus grande quantité de lait. Comme on a manipulé beaucoup plus qu'il n'en a fourni, il reste débiteur envers la société pour l'excédant. Son tour étant passé, on ne "fromage" plus pour lui que lorsque, après avoir payé sa dette, il sera de nouveau en avance et son plus fort créancier, ainsi de suite … ".

Mise en garde contre le lait alliacé.

Le docteur Munier ne se contente pas, dans son étude, de la partie "administrative". De longues pages racontent des spécificités fromagères bien oubliées. Si selon lui, la luzerne et la vesce offrent le meilleur lait, les fromages fabriqués à partir du lait de vache consommant du cytise, sont de véritables "délices grecs". Il est notable que l'on arrive presque au même résultat avec du feuillage de frêne. Il ne trouve au "trifolium montanum", le trèfle si courant maintenant, que "l'avantage de sucrer le lait". Munier donne la liste de ces plantes qui colorent ou altèrent le lait. Cet impact, involontaire dans le cas du gratteron, de l'anémone sylvie qui donnent une teinte rougeâtre, peut être utilisé, avec le "galium" (caille lait jaune) pour obtenir une pâte plus jaune. Il met en garde contre le lait "alliacé" obtenu lorsque les vaches pâturent dans les prés où les crucifères poussent en abondance. Il raconte encore les croyances liées au lait vert ou bleu, ou à celui qui issu d'un bétail qui a consommé des jeunes pousses de sapin, contracte l'odeur et la saveur de cet arbre. Ce dernier coagule très mal.

Des gens d'une probité reconnue.

Chalet de Fort du Plasne

Même la démocratie trouvera dans la "fruitière" un primitif champ d'expérience. Pour la première fois, un individu élu représente ses condisciples ruraux. Munier raconte ces élections d'échevins, titre équivalent à celui d'administrateur de société. Dans certains cas, ces charges "dévolues à des gens d'une probité reconnue" hissaient l'intéressé jusqu'à l'anoblissement. Il cite des édits de 1680, de 1703 où l'on voit des "paysans" ainsi distingués. C'est l'échevin qui engage le fromager et le pâtre, qui achète les peaux à cailler, le sel, les toiles à fromage, la paille de riz. Il statue sans formalité, sans appel, sans recours aux tribunaux. Il distribue le prix des ventes du fromage mais il doit préalablement s'assurer de la solvabilité du marchand car cette charge comporte aussi quelques risques. C'est l'échevin qui répond personnellement des dommages et intérêts que pourrait générer sa conduite.


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