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Louis Pergaud
Choix de poèmes

 


L'oeuvre poétique de Louis Pergaud se compose de deux recueils parus, le premier, "l'Aube", en 1904, le second, "l'Herbe d'Avril" en 1908, et d'un assez grand nombre de poèmes publiés dans de petites revues depuis longtemps oubliées ou demeurés inédits. Tous, à une exception près, sont antérieurs à "De Goupil à Margot". Voici quelques poèmes tirés de son deuxième recueil.


Réveil

Chant d'aube
   
Lorsque mon coeur en deuil évente sa tristesse
Pour vaincre dans l'espace et le temps vide et nu
Du sourd bourdonnement d'ombres des soirs déserts,
La conjuration de l'ombre et du silence,
Et que l'ennui, comme un félin que la faim presse,
Ma ferveur supputant de nobles alliances
Rampe sinistrement vers ses porches ouverts,
Avait suivi sans peur des chemins inconnus.
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Ma volonté, lionne implacable se lève,
Les rumeurs enlaçant les sillages multiples
Cambrant les reins puissants de son corps ramassé
Pour saluer le jour pavoisaient de chansons
Et lorsque ses chacals glapissent vers mon rêve
La nef d'aube surgie au loin dans l'horizon
Rugit au seuil flétri de mon espoir blessé.
Au retour du nocturne et ténébreux périple.
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Alors, à ce tragique et sauvage réveil,
Seule au fond de l'espace épuré du mystère,
Tous mes sens ont brandi leurs lances de soleil
La forêt hérissait ses sombres ponts-levis
Vers les havres d'azur des chimères prochaines,
Si noire qu'on eût cru qu'en ses houleux parvis
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La nuit avait parqué ses phalanges guerrières.
Tandis qu'en mon cerveau, lourd, bardé d'énergie,
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Sûr du sang généreux qui bouillonne en mes veines,
Mais je marchais, allié des armées de l'aurore
J'ouvre sur la Beauté les portes de ma vie.
Et mon verbe, tonnant comme un buccin de foi,
Le creux du Van
Faisait frémir au fond du sinistre sous-bois
Les monstres fabuleux que le soleil dévore.
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Nous avancions ainsi farouches, pas à pas,
Lui vêtu de lumière et moi bardé de rêve
Comme deux conquérants ivres du sang des sèves,
L'un descendu d'en haut, l'autre monté d'en bas.
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Et debout dans l'orgueil brutal de la victoire,
Quand la pourpre royale eut frôlé mon sayon,
Mon regard confronta, planté dans ses rayons,
La virile noblesse à la divine gloire.
Gorges du Doubs

Idéal

Stances à la mort
 
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Vers l'idéal, où le travail ainsi qu'un glaive
Je te salue, Divine, ô seule Taciturne,
Fraye à notre ferveur des sentiers méconnus,
Suzeraine des fiefs du temps et de l'espace,
Nous allons, et l'orgueil des vieux temps revenus
Puisque je vais sonder, sans regrets, face à face,
D'un héroïque espoir a fouetté notre sève.
L'abîme pressenti de ton regard nocturne.
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Nous voulons arriver devant l'aigle du rêve
J'ai dépouillé le lâche humain, vide d'audace,
Sur le roc soleillé, farouches, pauvres, nus,
Et ma volonté nue me raffermit la vie,
Et saluer debout la Beauté qui se lève
Vierge de compromis, sans haine et sans envie,
Du tragique sillon de nos grands fronts chenus.
Fièrement dans ses mains prendra tes mains de glace.
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Nos pieds seront meurtris, nos coeurs battront plus vite,
Dans les arènes d'aube où piaffent les sèves
Plus d'un sera tombé en travers de la route
Sous les molettes d'or des soleils bien fourbis,
Pour avoir rejeté la dégradante invite;
Mon ennui viager sera le linceul gris
.
Sur lequel saigneront les gouttes de mon rêve.
Et tous, peut-être, en proie au souvenir qui noue
.
Le laurier du triomphe au myrte des déroutes
Une à une, dans l'urne immense du néant
Auront du sang aux mains, mais n'auront pas de boue.
Qu'embrasse ton amour de son geste de pierre,
Et plein du souverain mépris de la prière,
Je les verrai tomber sans un frémissement,
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Car il sied à celui dont rien n'a pu troubler
La sereine douleur et la fierté pensive
De s'abîmer sans cris dans les ténèbres vives
Comme un soleil couchant qui ne doit plus briller.
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O mort, ô Mère auguste, éploie sur moi ton aile,
Ouvre ton giron noir au coeur digne de toi,
Et tends sur l'accent fier de ces mots sans émoi
Un pan de ton manteau de silence éternel.
Lac des Mortes

Les boeufs à l'abreuvoir

Veillée
   
Dès l'aube, sous l'oeil clos de l'abat-foin des granges,
De l'âtre écussonné d'un grand lys héraldique,
Vaurtés sur le fumier qui colle leurs poils roux,
L'ombre, comme un rôdeur, à petits pas s'approche;
Ils regardent béats se reposer les jougs,
Au-dehors, sur les champs, s'effeuille un son de cloche
Près des croisées où le liceul de gel s'effrange.
Et la retraite meurt dans l'air mélancolique.
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Le vieux bouvier remplit de foin les râteliers,
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Et sur les noirs pavés que l'urine corrode,
L'aïeule a raconté, branlant son chef antique,
Le bruit de ses sabots trouble la torpeur chaude,
La Vouivre et son front où la perle s'accroche,
Où les boeufs font craquer leurs grands muscles d'acier.
Et sous un vent de peur, les rêves s'effilochent
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En ce soir pastoral frère des soirs bibliques.
Foulant le rire épais des bouses écrasées,
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Les croupes frémissant lorsque le fouet les touche
Les grillons se sont tus dans leurs loges de cendres,
Ils s'en vont en ruant vers l'auge accoutumée,
La flamme du foyer se tord en bleus méandres
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Léchant de baisers lents et chauds la crémaillère,
Et saouls des énergies qui font leurs reins vibrants,
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Les mufles allongés dans un appel farouche
Et la nuit et le vent, complices de la pluie,
Meuglent éperdument vers l'horizon de sang.
Qui font gémir la vitre et crépiter la suie
Creusent jusqu'à l'effroi les cernes des paupières.

Les hiboux


Les chats
Le bras du jour qui meurt s'abolit au vitrail;
Dans l'ombre qui défaille aux versants des toitures
Par l'air enlinceulé de la rumeur des cloches
Ruisselle la fraîcheur nocturne du silence,
On dirait que la vie inscrit d'un geste gauche
Et Cynthia surgie des abîmes immenses
Son horreur du mystère au fronton des portails.
A l'horizon noirci blasonne ses fêlures.
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Exhalaison putride aux lèvres d'un sol mou,
La prunelle hypnotique effaçant leurs paupières,
Ce qui reste des morts remonte vers les fentes,
Râlant du désir fauve éveillé dans leurs reins,
Et, comme un philtre bu sur les seins d'une amante,
Glissant leur pas muet, les amoureux félins
Fait miauler d'amour les sinistres hiboux.
Ondulent lentement aux rebords des gouttières.
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Sur le geste de fer d'un grand Christ éperdu,
Devant leurs dos arqués pour les mortels défis,
Par les croix où se nouent leur vol silencieux
Devant le glauque éclair de leurs yeux agrandis,
Le soir hanté qui passe à l'air d'être velu;
La chatte langoureuse a tu ses pleurs d'enfant,
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Et la nuit s'ajustant étroitement aux cieux
Et, l'oeil lubrique, attend, couchée, l'air sphynxial,
Frémit de leur amour qui semble en ce décor
Du beau mâle rougi au sang de son rival,
Vouloir féconder l'ombre et rénover la mort.
La souffrance adorée qui sacrera ses flancs.

Chaux des Crotenay (octobre 2007)

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