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Célébrités ignorées au cimetière de la Chaux

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Il est bien difficile de ne pas voir au cimetière de Chaux des Crotenay, à quelques mètres de l’entrée de l‘église, l’énorme tombeau au sommet duquel règne le portrait de Richard Hammer dont la notoriété est confirmée par une palme académique bien effeuillée.

On devine quelques autres noms pratiquement illisibles. Les cent ans de concession sont manifestement épuisés. Qui donc repose ici ?



Xavier Guyot connaît un début de réponse. Il a relevé l’acte de décès de l’un des occupants :

Le 11 août 1890 devant ...

"LAMY Elie, 42 ans, cafetier et MONNIER Alphonse 33 ans, voisins, domiciliés au Pont de la Chaux déclarent qu’aujourd’hui 11 août, Clotilde Flore Julienne RAGON de BETTIGNIES âgée de 80 ans, sans profession, domiciliée à Paris rue Blanche numéro 77, née à Tournay (Belgique) le 11 décembre 1890, fille de RAGON Jean-Baptiste Marie et de BETTIGNIES Nathalie Amélie Louise, en leur vivant domiciliés à Tournay, est décédée au domicile de Lamy Elie."

Cet acte nous permet de situer cette demoiselle parmi les de Bettignies trouvés sur internet. Il confirme que son père est décédé (en 1862 comme on le savait) et que sa mère est aussi décédée (date inconnue).

Jean-Pierre Fumey a relevé que la concession de sa place au cimetière a été demandée pour 15 ans par Mr Hammer domicilié à Paris 79 rue Blanche (coût 4 francs).
En décembre 1906 une concession perpétuelle a été demandée par Mme Amélie Hammer née Ragon pour Mme Amélie Ragon de Bettignies (coût 60 francs, place 166).
Le portrait de Richard Hammer nous précise qu’il est né en 1828 et décédé en 1907. La place numéro 167 lui est concédée le 31 août 1907.

Qui étaient donc ce Richard Hammer et cette Amélie Hammer née Ragon ?

Jean-Marie Ragon

DES parents mais pas LES parents ...

Nathalie, Amélie Louise de Bettignies, épouse de J.B.Ragon, est née le 7 octobre 1788 ...

Mais on connaît Jean-Baptiste RAGON et Nathalie de BETTIGNIES, les parents de Clotilde.

Jean-Marie RAGON est né en 1781 à Bray sur Seine. Son père est notaire. En 1804 Il est à Bruges, caissier dans une administration impériale. Il est initié à la franc-maçonnerie, membre du "Grand Orient de France", puis président de la célèbre loge "les Trinosophes". Il écrit de nombreux ouvrages, dont "la messe et ses mystères", qui font de lui "le franc-maçon le plus instruit du XIXème siècle".
Il meurt en 1862.

Nathalie de BETTIGNIES appartient à une noblesse qui tire son nom d’un petit village situé sur la route Paris-Bruxelle, entre Maubeuge et Mons; village qui a souffert de nombreuses guerres, sans remonter trop haut : 1792-1794, 1814, 1914-1918, 1940-1844.

Le père de Nathalie est l’avocat Jean Maximilien Joseph de Bettignies (1755-1802). Il a épousé en 1783 Amélie Ernestine Joséphine PETERINCK (1757-1842) fille de François Joseph Peterinck, ancien officier de l’armée française, propriétaire depuis 1751 d’une manufacture de Faïence qui deviendra célèbre puisqu’elle travaillera pour le prince Charles de Lorraine gouverneur général des Pays-Bas. Joseph Peterinck obtiendra un monopole de 30 ans, puis le titre pour sa manufacture d’Impériale et Royale.

Mais des difficultés le conduisent à chercher des bailleurs de fonds. Il ne lui reste qu’un tiers de son entreprise. Il est même emprisonné, mais un Comte le fait remettre en liberté.
En 1798 (il a 79 ans et mourra l’année suivante), il vend sa manufacture à l’une de ses filles, Amélie, qui avait épousé en 1866 Maximilien de Bettignies. Celui-ci meurt en 1802. Amélie dirige la société jusqu’en 1808 puis elle la cède à trois de ses huit enfants : Henri, Olympe et Nathalie qui vient d’épouser Jean-Baptiste RAGON, déjà franc-maçon. C’est ce dernier qui prend la direction de la nouvelle société. Il l’appelle "Ragon, de Bettignies et Cie" et il la conduit à la faillite en 1814.


Louise de Bettignies

Plus qu’aux faïenciers, c’est à la " Jeanne d’Arc du Nord" que le nom de Bettignies doit de rester dans les mémoires.

Louise de Bettignies née le 15 juillet 1880 était à l’origine destinée au Carmel mais en 1914 elle s’est retrouvée dans la résistance et l’espionnage. Elle est polyglotte (français-anglais-allemand-italien).

Avec l’assentiment de son père spirituel elle a accepté de servir son pays en tant qu’agent de renseignement pour l’Intelligence Service Britannique puis pour le 2ème bureau français. Elle est si efficace que ses supérieurs anglais la surnomment " the queen of spies" et que pour les français elle devient la " Jeanne d’Arc du Nord".

Mais le 20 octobre 1915 dans des circonstances restées mystérieuses, elle est arrêtée par les allemands. Sa condamnation à mort du 16 mars 1916 est commuée en détention à perpétuité. Elle meurt le 27 septembre 1918 à Cologne des suites d’un abcès mal opéré. A titre posthume elle reçoit la Légion d’Honneur, la croix de guerre et la Médaille Militaire anglaise et elle est faite officier de l’ordre de l’Empire Britannique.
Son corps a été rapatrié sur un affût de canon. Elle repose à Saint-Amand-les-eaux. A l’initiative de la maréchale Foch et de la générale Weygand, une statue lui a été élevée à Lille.
Louise de Bettignies descend, comme Nathalie, de Jean Maximilien Joseph de Bettignies et d’Amélie Ernestine Louise Peterinck.

Un autre héros à Saint-Amand les Eaux

Le général Charles DELESTRAINT

Le général Charles DELESTRAINT, premier chef de l’Armée Secrète, vivait à Saint-Amand des Eaux, pays de son épouse. Après la guerre, en 1940 il vient à Bourg en Bresse et très rapidement il se range derrière le général de Gaule qu’il a eu sous ses ordres quelques mois avant ...

En août 1942 sur proposition de Jean Moulin et des autres chefs de mouvements de Résistance déjà existants, et avec l’accord du général de Gaule, il est nommé Chef de l’Armée Secrète créée pour fusionner ces mouvements. En avril 1943, il est, avec Jean Moulin et bon nombre de ses collègues, victime d’un traître qui le conduit à la gestapo.

Le 9 avril, à Paris, il est piégé, emmené et interrogé comme on le sait, rue Foch et, à Neuilly sur Seine, puis interné au Struthof puis à Dachau où il arrive en septembre 1944.
Le 19 avril 1945 - c’est l’une des dernières exécutions - sur ordre de Berlin, il est conduit au four crématoire, qui ne peut fonctionner et il est exécuté de deux balles dans la tête.
Moins de trois semaines après c’est la fin de la guerre ...


 


Richard Hammer, Syamour, Harlor


Signature de Syamour (Marguerite Gagneur)

En repassant devant la tombe de Richard Hammer, en mai 2011, je remarque sur le portrait en bronze la signature de l'auteur. Il s'agit de Syamour.

Syamour (Syam + Amour) est connue dans la région et un peu plus encore depuis que l'on vient de proposer aux mairies, comme modèle pour la statue de Marianne, sa statue érigée dans le cimetière de Chatelneuf.

Née en 1857 à Chatelneuf sous le nom de Marguerite GAGNEUR, fille de Wladimir Gagneur, avocat et député jurassien, elle est décédée en 1945. Sa vie et surtout ses sculptures lui valent une grande célébrité. Ses œuvres sont recherchées. Ce portrait dans ce cimetière mérite d’être protégé.

Et maintenant, qui était Richard Hammer ?

Richard Hammer

J'ai trouvé la réponse dans un livre anglais ("Feminisms of the belle epoque") où on trouve un paragraphe consacré à une certaine "HARLOR".

Richard Hammer a été l’un des plus grands professeurs de musique de son temps.

Sa femme, Amélie Ragon, est fille de Jean-Marie Ragon et de Nathalie de Bettignies.

Elle est également l’une des premières féministes, vice-présidente de la Société Union Fraternelle des Femmes.

Richard Hammer est le beau-père de Jeanne Fernande Clothilde Désirée PERROT, plus connu sous le pseudonyme de "HARLOR", qui après avoir été musicienne, devint une journaliste engagée dans le féminisme. Elle est aussi auteur de plusieurs romans qui lui valurent le Grand Prix "Georges Sand".

Comment cette famille est-elle arrivée à la Chaux des Crotenay ?

l'acte de décès que l'on peut lire plus haut sur cette page, nous l’apprend; Daté du 11 août 1890, il concerne Clothilde Flore Julienne RAGON de BETTIGNIES née à Tournay, Belgique, fille de Ragon Jean-Baptiste Marie et de Bettignies Nathalie Amélie Louise en leur vivant domiciliés à Tournay, donc sœur d’Amélie.

Elle est décédée au domicile de LAMY Elie, cafetier au Pont de la Chaux; puis elle a été inhumée à la place N° 166 avec une concession de 15 ans.

En 1906 puis 1907 Amélie et Richard rejoignent Clothilde. La concession devient "perpétuelle".

Syamour livre ainsi Richard HAMMER à la mémoire.

On remarquera que beaucoup de ces morts sont francs-maçons ou libres-penseurs.


Ci-dessous, l'extrait d'un livre de 1921 ("Cinquante ans de féminisme 1870-1920") où l'on retrouve les noms de Richard Hammer, Amélie Ragon et Clothilde Perrot :


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