Les dessous de Morillon |
Morillon est une petite plaine que les automobilistes, sortant d'une gorge de la Lemme, se hâtent de traverser avant d'aborder une autre gorge de la Lemme. Ils roulent à la vitesse qu'autorise la peur du gendarme et ne voient ni le Rachet, ni le viaduc. Les gens du pays connaissent les sentiers et les chemins de la Chèvre à la côte Coulon, de la Vie de la Serre à la Culotte. Mais qui sait ce qui existe dessous, s'il n'a pas lu l'article de Charles THEVENIN paru fin 2003 dans le Progrès au sujet de la faille X ? En voici un extrait : |
Certaines zones du Jura sont littéralement hachées par un réseau dense de failles. Des gens vivent dessus, y ont parfois construit leurs maisons, sans ses douter un instant que sous leurs pieds, s'affrontent des forces tectoniques colossales. Mais ces mouvements sont si lents, qu'il faudrait bien des générations humaines pour en constater les effets. A l'échelle planétaire, le mot faille est lié à des endroits terribles. C'est là que les forces tectoniques sous jacentes, contenues tant bien que mal par l'enveloppe terrestre, arrivent parfois à la lumière. La "faille" c'est San Andréa, en Californie, et la promesse d'un prochain cataclysme, ou le Rift africain, quand la dérive des continents est presque invisible à l'oeil nu. Dans le Jura, la faille, c'est quelque chose de beaucoup plus subtil. Les couches sédimentaires empilées au cours des âges, sont de compacité, d'homogénéité fort diverses. Le "plissement" jurassique, les mouvements qu'il engendre, arrivent à déchirer les lits d'âges géologiques différents. Ces cassures, capables de renverser les montagnes, sont en fait des mouvements d'une extrême lenteur. Leur évolution peut durer des millions d'années et les rend ainsi imperceptibles. Une foule de phénomènes annexes s'appliquent ultérieurement à les masquer. Pourtant les résultats sont là, mais seuls quelques spécialistes sont à même de les disséquer. Paul Cornier est de ceux-là. Il est né à Sirod, au pied d'un des plus spectaculaire réseau de décrochement géologiques en tous genres. Conventionnellement, on l'appelle le faisceau de Syam. Il s'agit d'une longue bande de terrain ne dépassant pas un kilomètre de large. Elle prend naissance au sud du lac d'Ilay et s'achève 20 kilomètres au nord de ce point de départ, aux abords d'Onglières. Syam et Sirod se trouvent à peu près au milieu. Cette lanière qui traverse deux cantons est parcourue par une série de dix failles courant parallèlement, délimitant ainsi neuf "compartiments". Dans certains cas, ces failles, à l'état de traces, sont recouvertes de dépôts glacières ou fluviatiles. D'autres fois, le contact entre deux compartiments se passe sous un relief original très perturbé, sur le flanc d'un anticlinal, par exemple. On constate alors d'impressionnantes érections rocheuses, témoins des puissances colossales qui se heurtent en profondeur. L'une de ces cassures est particulièrement spectaculaire. C'est la fameuse faille X. Celle-ci constitue également la limite orientale du faisceau de Syam. On le reconnaît, au sud, au hameau de la Chèvre, à Morillon où elle coupe l'anticlinal d'Entre deux Monts. La Lemme l'utilise un instant. Elle passe à l'ouest de Pont de la Chaux et traverse diagonalement les bois de Cornu. Elle traverse Côte Poire dans sa plus grande longueur et se présente au coude que décrit l'Ain avant de s'engager dans les Pertes. A l"amont, et sur plus de 500 mètres, la rivière occupe exactement la faille.
Les deux rives sont constituées par les bords de deux compartiments différents. Il est facile ici, pour le géologue, de mettre en évidence les pendages différents, 45% à l'est, 75 pour la rive occidentale, presque verticalisée qui supporte, dans ses hauteurs le vieux Chateauvilain. Le nom des couches géologique est inspiré par le site où elles ont été, une première fois reconnue. Par exemple, l'Oxfordien affleure à Oxford. Quand l'Ain occupe la faille X, celle-ci affecte l'étage Portlandien. Mais c'est au niveau de la Percée qu'elle révèle ses aspects les plus spectaculaires. Elle constitue alors la muraille verticale qui s'élève au dessus du tunnel. En regardant de chaque côté de l'entrée, on distingue même les couches par la tranche. Ce pan rocheux se singularise par la présence de la célèbre Commère. Ce restant de falaise, oublié par l'érosion, est déjà, en lui-même, une curiosité géologique. Mais sur les hauteurs qui dominent ce bétyle, la faille X a commis un travail qui offre à l'endroit un statut particulier. Au pied du rejet horizontal, constitué par la falaise, vient s'écraser l'Hauterivien, redressé à la verticale. Un "crochon" pic émergeant résistant, en est le témoin. Entre les Etarpiers et la Varpillière, à l'ouest de Lent, la faille traverse dans sa longueur, une combe hauterivienne. Le décrochement est matérialisé, en surface, par un talus de deux mètres de haut. La fuite vers le nord passe par Menaison, prairie que l'on trouve à l'amont du défilé d'Entreportes. La faille coupe la route de Lent à une centaine de mètres du carrefour. Les organisateurs de la course de côte, qui utilisaient il y a quelques années cette montée, ont judicieusement utilisé ses aptitudes. Un escalier, destiné à faciliter l'accès des spectateurs aux rochers dominants, en occupe les premiers mètres. La faille X a encore quelques kilomètres à vivre. En sortant de Charbonny, en direction d'Onglières, elle est pratiquement couverte par la nationale 471. On trouve, à l'intérieur des coupes pratiquées dans les buttes que franchit la route, de singuliers conglomérats. Des éléments arrondis, cérusés par l'eau, sont soudés entre eux par une sorte de ciment. On appelle ça des gompholites et plus précisément dans ce cas qui met en oeuvre des galets, un poudingue. Ce mot est issu de l'anglais "pudding" et ceux qui ont déjà goûté à ce sommet de la gastronomie britannique, comprendront aisément le type de cuisine qu'à pu exercer la faille pour obtenir une telle consistance. En prolongement du décrochement de Morez, la faille X s'autorise, à Morillon, une phase particulièrement spectaculaire. Lorsque la Nationale 5 aborde la ligne droite de Morillon, un kilomètre après le Pont de la Chaux, elle laisse sur sa gauche, de l'autre côté de la Lemme, les rocs en lames de couteau du Rachet. 500 mètres plus loin, juste avant le pont sur la rivière, elle frôle, à droite cette fois, la base d'une haute muraille verticale. Ce décrochement a brisé la continuité d'une même chaîne montagneuse, "scientifiquement" désignée sous le nom d'anticlinal d'Entre deux Monts. Ultérieurement l'un des pans de chaîne ainsi séparé (ou peut-être les deux), s'est déplacé sur une distance de 500 mètres, laissant la nationale et la rivière se glisser entre eux. |