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Morillon ou les portes du Haut-Jura


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Voici encore, après déjà beaucoup d'autres, un article de Charles Thevenin paru dans le journal du dimanche du 30 novembre 2003. Mais celui-ci intéresse tout particulièrement nos Vionnet.

Pont du Quartier

En effet, il concerne Morillon ; et c'est à Morillon (exactement à la grange du Cernoir) que Joseph Vionnet (le joussé au Gros Pierre), a amené, en 1907, sa femme, ses onze enfants et son train de culture ; c'est au pied de la croix et de la Vierge qu'il a été écrasé par une automobile le 5 février 1921, c'est dans la ferme de Morillon que sont nés et ont grandi beaucoup de ses 37 petits-enfants. C'est avec des demoiselles de Morillon que se sont mariés trois de ses garçons : une venait de la garde barrière de la Culotte, une de la ferme la plus proche du vieux pont, et une de la scierie maintenant brûlée.

A ce moment, la partie de Morillon appartenant à Entre deux Monts était appelée le Quartier. Nos Vionnet avaient réservé le nom de Morillon pour leur ferme. Cela sonnait mieux que Cernoir.

La Vie de la Serre était le chemin normal pour se rendre de Morillon à Saint-Laurent à pied. Les vaches partant pour la boucherie y faisaient leur dernier voyage. Et les truites de la Lemme, pêchées à la main, à la barbe du brigadier Grenier des Planches, comme les verrons, piégés dans des bouteilles savamment aménagées amélioraient souvent le quotidien des repas.

Merci à Charles Thevenin de nous rappeler si bien ce temps qui n'est pas si éloigné, comme il l'a déjà fait pour la Langouette, le Château de la folie, les Entre côtes et tous ces endroits du Canton des Planches qu'il aime et qu'il connaît.


La Langouette en novembre 2002


En partant de L'ouest, celui-ci est le cinquième des neuf chaînons parallèles jurassiens.

le Quartier

Comme les autres, le Maclu forme, du nord au sud, un barrage presque hermétique, échancré seulement par de rares cluses. Mais ici, la montagne, symbole de force et de sérénité, subit une loi implacable, celle justement, capable de déplacer les montagnes.

Une "faille", scissure invisible, l'a littéralement découpée. Puis un irrésistible mouvement, entraînant différemment les deux pans de montagne, les a séparés et écartés. Aujourd'hui, les deux extrémités se trouvent à trois cents mètres l'une de l'autre. Dans la blessure, la rivière et la route, profitant de cette faiblesse, se sont glissées. Et c'est de part et d'autre de cette catastrophe géologique au ralenti que s'installa le hameau de Morillon.

Le passage, pour le roitelet médiéval, c'était aussi le bénéfice. Le pont de Morillon, aux confins de plusieurs "pays" éveilla l'intérêt des Chartreux de Bonlieu. Il fut longuement jumelé à un péage, supprimé seulement par la Révolution. On se trouve ici, aux limites méridionales du pays d'oïl et par conséquent aux extrémités nord de la zone d'influence du franco-provençal de langue d'oc. Mais cette ligne de partage ne fut plus guère perceptible quand le patois tomba en désuétude. On discute toujours, par contre, les limites du Grandvaux même si le débat actuel ne porte plus guère que des conséquences symboliques.

Souvent, dans des textes émanant de l'Abbaye de Bonlieu, de la seigneurie de l'Aigle ou même dans les chartriers de Saint-Claude, c'est le Dombief qui marge les confins nord du pays grandvallier. Mais cet affluent de la Lemme partage la plaine de Morillon et il semble bien que localement on ne subit jamais les effets de cette division.

Ferme de Morillon, dessin de Madame Braun

 

Morillon, faisait intégralement partie de la baronnie de la Chaux. Pourtant ces complications, déjà dignes de Courteline, ont laissé des traces. Le territoire se partage entre deux communes, Entre deux Monts pour l'essentiel, l'occident appartenant à la Chaux du Dombief. Mais on se trouve ainsi dans deux cantons. La pointe ouest de Morillon marque même le contact de quatre communes, réparties dans trois cantons, contenus par deux arrondissements.

Même le Parc Régional du Haut Jura oubliait, il y a peu encore, une bonne partie de Morillon. En 1941, c'est là encore que les Allemands fixèrent la ligne de démarcation qui signifiait les limites sud-ouest de leur hypothétique Vaterland. Plus "historique" encore, Morillon et le Cernois contiennent, dans l'hypothèse du Professeur Berthier qui situe Alésia à Chaux des Crotenay, l'extrémité sud-ouest du dispositif romain, à double justifications stratégiques.

Les diligences sur la Vie de la Serre

C'est un Morel qui se trouve aux origines de Morez. Un membre de cette famille s'installa un jour de 1295, à Morillon, dans une possible "calma morellis" (la chaux des Morel).

Mais on peut, avec autant d'incertitude, y trouver d'abondantes taches de morilles. C'est la Lemme qui justifie ces prises de possession. Depuis la Pierre Carrée et le Saut de la Serre, elle chute en plusieurs endroits offrant une énergie facile à asservir. Au Saut de la Bique, alors que le lieudit s'appelle la Chèvre, on trouva jadis un moulin qui devint scierie. Vers l'aval, de l'autre côté de la Nationale, il en exista une autre. La rectification, ou plutôt la construction de la nouvelle route impériale en 1848, modifia sensiblement le faciès cadastral des lieux. Jadis, les propriétés, les usines s'étendaient de manière linéaire le long de la rivière.

Morillon est un enfant tout à fait légitime de la Vie de la Serre. La "Via", c'est la route latine ou romane, la "Vie", en est une évocation phonétique. Dans la falaise occidentale, juste "au dessus" de la Nationale, une niche abrite depuis des siècles, une petite Vierge.

La légende raconte qu'après la bataille de Poitiers en 732, des troupes sarrasines, échappées du désastre, "remontèrent" jusqu'aux montagnes jurassiennes. Lorsque celles ci franchirent la "passe" de Morillon, et pour ne pas avoir à constater la profanation des terres monastiques, la Vierge se retourna dans son logement. La statuette initiale, victime des aléas permissifs du temps, engendra (un comble pour une vierge) une foule de descendantes. La dernière est là depuis les années 90.

Scierie

Le hameau se trouve à la base d'une marche essentielle dans la progression vers le Haut Jura. Le passage, "la serre" est ardu. On en voit plusieurs traces. La plus ancienne, au plus près de la rivière, serpente douloureusement dans les rochers. Celle qui lui succéda est beaucoup plus sereine. Elle quitte Morillon, vers l'amont sur un confortable toboggan qui la hisse, sans trop de peine, jusqu'au col. Ce sont les intendants royaux de Louis XV, Quéret notamment, qui en assumèrent la conception. Elle franchissait la rivière sur le beau pont de pierres qui se trouve à quelques mètres à l'amont de l'ouvrage moderne.

L'orientation principale filait vers Entre deux Monts, ou, par le Col du Gyps, elle gagnait la Chaux. Le passage du trafic sur la rive droite de la Lemme, à partir de 1848, signifia une sorte de marginalisation pour Morillon "sud". Il ne semble pas, pourtant, que le hameau fut déserté pour autant. C'est même vers cette date que fut construit, ou plus probablement reconstruit, le très beau "relais", siège aujourd'hui de l'exploitation agricole de Marcel Pagnier.

Col du Gyp

En fait c'est un peu plus tardivement, en tout cas dès que la gare de Champagnole fut inaugurée, que la Diligence "Bouvet" connut son heure de gloire. Le PLM, installant dans la Perle du Jura, la tête de ligne pour toute la montagne fit en 30 ans, la fortune des transporteurs. Il signifia aussi leur arrêt de mort, lorsqu'en 1900 le train atteignit Morez. Pourtant, c'est toujours par Morillon que transitaient les fumeux convois. Mais ils ne faisaient qu'effleurer le hameau. On aperçoit encore le train aujourd'hui, de loin, en ombres chinoises, filant sur deux magnifiques viaducs, exactement séparés par un long tunnel.

Morillon paya le prix au centre décisionnaire villageois. Entre deux Monts n'échappe pas à la règle. Il y a peu encore, les distances, non abolies par les moyens de locomotions modernes, restaient des obstacles. Ce sont les jeunes, les filles essentiellement, qui devaient conduire au chalet le fruit des traites quotidiennes. Les deux fermes de Morillon, celle des Vionnet, celle des Guichard, avaient été amenées à concevoir des équipages particuliers. Pour Jeannette Pagnier, née Guichard, c'était une remorque tirée par un chien. La sociabilité mesurée de certains fromagers, les deux bons kilomètres de côtes s'associaient pour rendre chaque périple haletant. Au retour, souvent, il fallait passer par le Pont de la Chaux, chercher l'essence pour la "Kiva", engin dinosaurien aux allures inadaptables au macadam.

Intérieur de la ferme de Morillon, dessin de Madame BRAUN

Aujourd'hui, Morillon a oublié l'odeur de la sciure qui fit sa fortune. Deux grosses fermes, un centre équestre, un petit café continuent à garantir au lieu une activité bien adaptée à l'environnement fait de grasses prairies, de vertes forêts, de rocs virils.


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