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C'est Noël

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Extrait du livre "l'Hiver" de Bernard Clavel


Il y a chaque année, à partir du début décembre, dans la vitrine de ce magasin qu'on appelle "Le Grand Bazar", un train électrique fabuleux. Tout y est, une gare, des signaux lumineux qui fonctionnent, une énorme locomotive, au moins sept ou huit wagons, un passage à niveau avec des barrières qui se lèvent et retombent. Tout, absolument ! Il faut jouer des coudes pour approcher la devanture.
J'attends toujours le 25 décembre avec une grande impatience. Bien longtemps avant ce jour merveilleux, en m'appliquant beaucoup, j'écris au Père Noël. Puis nous portons ma lettre à la poste, maman et moi, et je m'efforce d'être sage pour mériter ce que j'ai demandé.

Une année, je devais avoir cinq ou six ans, je fis une lettre particulièrement longue (au moins dix lignes) et appliquée ; à peine une douzaine de fautes d'orthographe. J'avais apporté à l'écrire énormément de soin, car je demandais un train électrique. J'avais précisé, pour que le Père Noël ne se trompe pas : "Celui qui est dans la vitrine du Grand Bazar". Maman avait soupiré : "Tu es trop exigeant. Le Père Noël n'est pas assez riche. Si tous les enfants font comme toi, le pauvre homme sera bien embarrassé !". Mais j'avais tenu bon, et ma lettre était partie.

Le matin du 25 décembre, levé bien avant mes parents, je descendis à la cuisine. Il faisait très froid. Il avait neigé toute la nuit et le jardin immobile dormait encore, tout blanc sous le ciel gris.

Dans mes souliers, devant la cheminée : quelques oranges, des bonbons, un cornet de chocolats et une boite qui me parut toute petite. Je l'ouvris et découvris ...

Quelle déception ! Une pauvre locomotive dont il fallait remonter le moteur avec une clef, deux malheureux wagons et une misérable gare en carton. Il fallut longtemps à Maman pour me consoler.

Je consentis à jouer un peu avec ce train ridicule, mais sans y trouver de plaisir. Toujours je pensais à l'autre, celui du Grand Bazar.

L'après-midi, comme le soleil venait de déchirer les nuages, je sortis pour m'amuser dans la neige. Dehors je trouvais Marinette ; une petite fille de mon âge qui avait perdu ses parents et habitait avec sa grand-mère, tout au bout de la rue.

Dès qu'elle me vit arriver, elle accourut en riant : "Viens vite ... Viens vite voir ce que le Père Noël m'a apporté !". Je la suivais dans l'escalier sombre conduisant à la mansarde où sa grand-mère tricotait une minuscule fenêtre donnant sur les toits blancs.

J'avais un peu peur de trouver chez elle le train du Grand Bazar. Au milieu de la table, il y avait deux oranges posées sur une assiette blanche. Marinette me les montra, en disant : "Tu vois, il ne t'a pas oublié. Il y en a certainement une pour toi, car grand-mère n'en mange pas".

Je pris l'orange qu'elle me tendait et sans bien savoir pourquoi, je me mis à pleurer, puis je partis en courant.

Un peu plus tard, je revenais avec Maman qui portait dans un panier des fruits, des chocolats, des gâteaux et un de mes plus beaux livres d'images. Maman s'approcha de Marinette : "Ce sacré Père Noël est bien gentil, mais il commence à se faire vieux. Il t'apporte deux oranges au lieu d'une, et voilà qu'il dépose chez nous ce panier qui est pour toi".

 

Émerveillée, pleurant de joie et d'émotion, Marinette ne pouvait plus dire un mot. Moi je ne pensais plus au train électrique du Grand Bazar, je regardais Marinette et c'était son bonheur qui me rendait heureux. Depuis ce jour là, chaque fois qu'il m'arrive de désirer une chose inaccessible, je réfléchis qu'il y a quelque part une petite Marinette que la vie n'a pas gâté autant que moi.


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