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Faux en tous genres

exécution de Marie-Antoinette, le 16 octobre 1793

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Tiré des "Mystères du Jura" de Roger JAY, éditions "La Taillanderie


Curieuse et terrible époque que cet inter-siècles. Tout est faussé. Le temps lui-même est contrefait; les semaines durent dix jours et le décadi remplace le dimanche. Les dates deviennent fictives; nivôse fait l'hiver et messidor l'été; les lieux sont falsifiés; Lons devient Franciade.

La religion et la morale sont considérées comme des superstitions. La devise même de la République se fait synonyme d'hérésie; on emprisonne au nom de la Liberté, on abuse du pouvoir pour l'Egalité, on trahit pour mériter la Fraternité. "Que le père dénonce le fils, que le fils dénonce le père !". La rue impose la loi, les clubs défient les élus, la raison défie Dieu. Quelle raison ?

On ne baptise plus. Mais cependant il faut bien donner des prénoms aux nouveaux-nés, et l'on trouve ainsi des garçons nommés : Enée, Révolution, Constitution, Germinal, Agricole-Honoré, ou La Raison. Les charmantes fillettes ne sont pas épargnées, ainsi Clémence-Sans-Culotte, Abricot, Amable-Victorieuse, Laprudence ou la douce Alalanterne. Ce ne sont là que quelques exemples glanés à Saint-Claude, sûrement existe t-il d'autres trouvailles tout aussi confondantes ailleurs.

Fausse piété

Le terrible jacobin de Lons, André Rigueur, virulent, illetré, mais pas foncièrement mauvais malgré son langage (qui fut de ceux transféré à la prison de Bourg), n'avait-il pas, malgré ses convictions déclarées, fait baptiser sa fille ?

Mais cela s'était fait républiquement au pied de l'arbre de la Liberté, et le bambin avait reçu le prénom adorable de : Montagne-Victorieuse-Dedans-Les-Flancs-De-Sa-Mère. Dur, dur d'être bébé ! Ce sans-culotte fanatique qui faisait trembler les bourgeois avait de la religion. Alors qu'il visite le collège, lui l'illettré, il s'étonne que le jeune Désiré Monnier - qui deviendra l'un des grands écrivains régionnaux - ne sache pas faire son signe de croix républicain … : Au nom de Marat, de Pelletier et de Chalier, amen.

Le 4 floréal an II (23 avril 1794), on enterre le citoyen Gollut, curé de Monnet la Ville, sans cérémonie, tout acte extérieur du culte catholique étant interdit. Les soucis, les craintes étaient venues à bout de ce curé assermenté qui avait osé protester après et revenir à sa vrai foi chrétienne. Des années plus tard, lorsque les travaux furent entrepris dans le chœur de l'église, on découvrit son cercueil plein de terre et de cailloux.

pillage d'une église pendant la révolution (François Louis Swebach-Desfontaines)

Miracle ? non, émigration. Monsieur le curé, qui craignait des suites fâcheuses à son acte de courage, avait préféré une retraite en Souabe où il vécut jusqu'à l'âge de 104 ans. Il aurait été dommage de guillotiner un homme d'une telle santé. Il avait fait croire à cette mort, grâce à son ancien vicaire, alors curé de Loulle. " M. léger avait eu l'air d'accomplir les tristes cérémonies de l'ensevelissement, se chargeant seul de tous les soins d'une maladie à la dernière période, et de tous ceux qui suivent le décès. Il avait brûlé la correspondance et les papiers du défunt, et les héritiers avaient ensuite mis à l'encan son mobilier personnel " (Annales Anciennes).

Même les saints hommes se mirent donc à faire des faux. Le pauvre curé de Montrond, François-Xavier Tissot, prêtre réfractaire, avait vu ses biens retirés et vendus à l'encan, lui aussi. Lorsque la situation redevint normale, il réclama un dédommagement mérité au préfet du Jura, en faisant état de son manque de ressources. " A l'appui de ses dires, il fournit le détail de ses anciennes propriétés et des acquéreurs; elles étaient estimées 4866 livres " (Daniel Jeandot). Une vraie petite fortune. Pauvre vieux curé ! Mais au vu de ces documents, on découvre que le principal acquéreur se nomme Franois-Xavier Tissot (vous rappelez-vous de ce nom ?).

Ainsi il exista également de faux saints hommes. Le même ci-devant auteur a également noté l'inventaire, fait par les officiers municipaux de Nozeroy, des six moines qui, à cette époque de déchristianisation, vivaient au couvent des cordeliers : " placements judicieux, fondations, prêts … une belle fortune ! Chaque pièce est ensuite passée en revue : la sacristie et son argenterie, la cave et ses 25 tonneaux dont 10 remplis, la bibliothèque et ses 600 volumes; on termine par une somme de 730 livres d'argent liquide dans un tiroir ". Voilà pour le trésor, mais le secret reste inviolé.

Certaines communautés se sont spécialisées dans la fabrication de médailles, de fromages, de liqueurs, voire d'horoscopes. Les moines de Nozeroy possédaient le secret d'une potion magique, exactement un " potage " pour guérir les maladies honteuses. Lorsque la garde nationale expulsera effectivement les six moines, l'un des municipaux découvrira la source, le pot-aux-roses, la matière première dans l'humble remise là-bas au fond du jardin.

Imaginez la tête de l'homme délicat soulevant le couvercle de deux cuveaux de bois sans apparence : dans l'un grouille une masse énorme de couleuvres, dans le second ce sont des vipères. Imaginez encore les soldats, ayant abandonné leur encombrant fusil, qui " avec beaucoup de précaution, allèrent les jeter dans la nature, au lieu dit le Coteau Elion ". Heureusement que ces bêtes, oubliées lors de la première visite, ne figuraient pas sur l'inventaire, car elles auraient dû comme le reste être livrées aux autorités de la Convention.

Ces moines charmeurs, guérisseurs, nous ramènent aux cordeliers de Lons le saunier, dont le couvent fut transformé en prison, et l'église reconvertie en Temple de la Raison. La déesse était représentée par la fille de l'horloger Presset, choisie pour sa raison, sa beauté, ou son engagement ? Les contrefaçons se succèdent. La fête en l'honneur de l'Etre Suprême y est donné le 8 juin 1794.

Dieu, Jésus, Etre Suprême, cela n'embarrasse guère les véritables croyants. Sans aucun doute tout le monde dut applaudir. Les uns crièrent : " Vive la République ! ". Les autres murmurèrent : " Amen ".


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