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Le héros oublié

le marquis de Launay, gouverneur de la Bastille, capturé par les assaillants le 14 juillet 1789 (Charles Thevenin, musée Carnavalet)

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Tiré des "Mystères du Jura" de Roger JAY, éditions "La Taillanderie


Qui sait si notre sort actuel, celui de tous les français, et peut-être des autres, n’aurait pas été différent sans le Jura ? Tout au moins sans un homme tout simple de chez nous, de Dole exactement.


Si la Révolution de 1789 n’avait pas eu lieu, ou plus tard , en un autre pays, car la fièvre tenait l’Europe entière, que serait-il advenu de notre société ? La Révolution nous a donné la République et les Droits de l’Homme; mais quel événement nous donna la Révolution ? Qu’est-ce qui la déclencha, la rendit possible ? Qu’est-ce qui la symbolise encore au moins une fois l’an ? Son signe, c’est la Bastille qui fut prise. Et la Bastille, qui l’a prise ?


Le peuple de Paris, bien sûr, fait de provinciaux venus de chaque coin de France, et à leur tête, celui qui permit que ce qui pourrait être un échec sans suite, changea la face du monde : le petit Jurassien grenadier aux gardes, le sieur Arnay de Dole.


Bien sûr, direz-vous, si ce n’avait pas été lui cela aurait été un autre; si ce n’avait pas été la Bastille cela aurait pu être les Tuileries; si cela ne s’était pas passé un 14 juillet cela aurait pu avoir lieu le 4 août. Si, si …


D’autres viendront, les Tuileries seront prises à leur tour, le 4 août suivra trois semaines plus tard comme il se doit. Evidences. Tout ceci n’est que jeu de mots. Mais le brave Arnay exista. Qui s’en souvient ? Qui s’en soucie ?

Le brave grenadier – puisque cette appellation reste son seul titre de gloire à défaut de galon – faisait partie de la compagnie de Réfuvelle qui partit de l’Hôtel de Ville pour accompagner la foule jusqu’à la Bastille. Arnay se rendit au premier rang, à seul fin d’étudier la situation. Mais lorsque le pont-levis de la cour inférieure tomba, il saisit cette opportunité, réflexe de soldat, et sauta dessus pour éviter qu’il ne soit relevé.

Entré de ce fait parmi les premiers dans la forteresse, il eut la présence d’esprit de grimper sur l’une des tours et de brandir son bonnet au bout de sa baïonnette pour faire cesser le feu, toujours réflexe de soldat. C’est encore lui qui désarma le gouverneur de Launay, il était bien placé pour cela, et lui enleva l’épée dont il voulait se percer et la brisa, comme on le fait pour un vaincu. Puis il reprit sa fonction au sein de sa compagnie. Si tout cela est vrai, il s’agit bien d'un simple soldat et d’un véritable héros.

la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 (Jean-Baptiste Lallemand)


Les discours d’hommes politiques sont toujours d’affreux bouillons qui ne servent qu’à nous endormir. Les harangues emberlificotées des orateurs rococos de la période révolutionnaire valent quelquefois le temps de s’y attarder, car il se trouve des chefs-d’œuvre en cette matière comme en toute autre. Le brave grenadier en inspira un, ce fut sa seule récompense.


Discours sur la prise de la Bastille, prononcé à Lons le Saunier dans le Temple de l’Etre Suprême, par l’ancien gardien des capucins de Besançon, Thélesphore Jousserandot, le 26 messidor an 2 de la république, correspondant au 14 juillet 1794 :

"Il existait à Paris un monstre de féodalité gothique sous tous les aspects. Il avait trois gueules comme le cerbère; ses horribles entrailles étaient faites de gros et durs cailloux; des fers, des chaînes, des verrous lui servaient de nerfs, de muscles et de tendons; ses mains étaient des ponts-levis; il avait de petits yeux enfoncés, triplement grillés d’acier et surmontés de créneaux en forme de sourcils et de paupières; ses oreilles étaient d’énormes tours qui faisaient peur aux plus aguerris, son dos était chargé de quatre batteries.

Il avait quatre cent ans, ce monstre épouvantable, et il semblait que plus il avançait en âge, plus il acquérait de force; il était insatiable, et il ne se nourrissait que d’hommes vivants, innocents ou coupables, tout lui tait égal …
Ce monstre, citoyens, c’était a Bastille !
Quel est-il le courageux patriote, qui dans la première victoire de la liberté sur la tyrannie, monta le premier à l ‘assaut ? Quel est celui qui le premier arbora l’étendard du peuple souverain sur les hautes tours du despotisme, c’est un citoyen du département du Jura, c’est le brave d’Arnay …


O mon compatriote ! que ne puis-je maintenant te serrer dans mes bras; que ne puis-je te presser sur mon sein attendri; tu fus meurtri, ensanglanté, criblé (?) de blessures dans cette journée célèbre; que ne puis-je après avoir reposé mes lèvres sur tes glorieuses cicatrices, te montrer du haut de cette tribune à tout ce peuple qui m’écoute … Nos neveux liront ton nom immortel avec transport à côté de ceux de Guillaume Tell, des Melctal, des Wasingthon (sic) … "

Ce même Thélesphore, commit un autre discours, plein de figures menaçantes et de troublantes vérités. Cela eut lieu au même endroit, trois semaines plus tard, sur l’égalité conquise le jour de la prise du ci-devant château des Tuileries :


" L’assemblée constituante plaça un homme au-dessus de tous les français. Sans le rendre impeccable, elle le déclara impunissable. Elle rendit sa place héréditaire, elle n’osa seulement pas préjuger que des Capets espagnols, que des Capets napolitains, ou des Bourbons parmésans, ne seraient pas un jour des représentants-nés du peuple français et ne viendraient pas le commander en maître.


Poële céramique en forme de Bastille (musée Carnavalet)

Une nombreuse dynastie de ces Capets restait en France; elle privilégia encore toute cette dynastie, elle fit une multitude de "princes français". En doutez-vous ? Citoyens, bientôt des princesses autrichiennes, des princesses espagnoles, des princesses piémontaises, de nouvelles Médicis, mariées à ces princes français seraient venues nous éclabousser de nouveau, ainsi que leurs époux, leurs chevaux et leurs laquais. Bientôt ces laquais auraient eu des titres; avec ces titres ils auraient eu des exceptions, des droits de "commitimus", peut-être des droits de corvées; leurs maîtres leur auraient communiqué le privilège réservé de chasser dans la commune de Versailles, dans la forêt de Fontainebleau, dans les champs de Compiègne, et sûrement sous peu dans les vôtres.

Pour ressaisir ces droits "incontestables à des princes", on avait eu l’adresse de se ménager des bâtons de maréchaux de France : on s’était réservé une maison militaire; vingt-cinq millions nets de liste civile et le revenu de sept châteaux à énormes dépendances.

Avec de telles ressources, citoyens, et vous, avec votre demi liberté, vous auriez bientôt couru de nouveau les risques d’être envoyés aux galères pour l’énorme attentat d’avoir osé tirer un lièvre ou pêcher une écrevisse … ".

Il se trouve dans ces phrases grandiloquentes, bien des occasions de rire ou de nous moquer. Cependant, on ne peut s’empêcher de reconnaître un réel talent de poète au citoyen Jousserandot.


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