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Vieille Comté, Vieux Comtois

Vision du pays au début du XIXeme siècle


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Plus animée, infiniment plus vivante et plus variée, la région de la Haute Montagne. Là plus de terrain plat ni de grandes étendues toutes en "planure".

Une succession continuelle de "cimes très élevées et de vallon très creux, de petits plateaux et d'immenses vallées,

de pics arrondis et de sommets allongés, de raides coteaux où la main courageuse du montagnard sait encore cependant former des sillons; des côtes plus escarpées et rocailleuses, où le bûcheron a besoin de trouver dans un arbre un appui pour le retenir pendant qu'il coupe l'arbre voisin; des cimes garnies seulement d'une herbe courte où le bétail trouve un pâturage peu abondant mais exquis. Enfin quelques roches immenses, absolument dénudées par la faute des hommes", le tableau, depuis l'an IX n'a pas beaucoup changé. Ces hautes terres où l'hiver se prolongeait pendant huit mois étaient par excellence le domaine du sapin et de l'épicéa, ou "pesse"; si absolu l'empire de ces arbres au feuillage toujours persistant que l'arbre de plaisance et de luxe, pourrait on dire, celui qui ombrageait les places et les cimetières, c'était le tilleul, la tille traditionnelle avec ses feuilles caduques.

Du sapin, le montagnard tirait tout, le bois de construction, la toiture même de sa maison couverte non plus de laves pesantes mais de plaquettes de bois clouées les unes sur les autres: les tavaillons. Fallait il une clôture ? on comptait par dizaines des sapins qu'on dressait à cheval les uns sur les autres, à la bordures des prés ou des pâtures; une conduite d'eau ? des sapins encore, forés au milieu, la fournissaient. C'était un gaspillage, un abus perpétuel de ces belles forêts qui, partout, sous l'effort irréfléchi de l'homme, reculaient et cédaient la place aux friches; mais comment le scrupule serait il venu aux défricheurs ? on ne respecte guère les choses qu'en raison de leur coût et de leur rapport. Or Le Quinio nous apprend qu'au début du XIXeme siècle "un beau sapin de 50 à 60 pieds de tige utile" ne valait que 3 francs pris sur les lieux. La raison ? le manque de routes, de voies de communication aisées et multiples, et il cite encore cet exemple typique : "Aux forges de Sirod, l'on voit un arbre de roue hydraulique qui, tout dégarni de son écorce et de son aubier, tout arrondi, tout façonné enfin, conserve encore trois pieds 1/2 (1m12). Le sapin dont cette pièce faisait partie n'a coûté que 6 francs sur pied. Il a coûté près de 70 francs de transport quoiqu'il ne fut qu'à 3 heures de là". Rien de plus net : les forêts magnifiques du Haut-Jura c'était valeur de consommation, non valeur d'échange.

Or la culture ne suffisait pas à faire vivre les montagnards. La pomme de terre d'importation récente, l'orge et l'avoine semés en juin, moissonnés en septembre, c'étaient les seules ressources.

Elles demeuraient en dessous des besoins. En vain les jurassiens dont on disait qu'ils "vendangeait à coups de perches" s'ingéniaient ils à récolter les fruits sauvages, les noisettes notamment, les fraises, les framboises et toute cette menue provende qu'énumère la litanie fameuse des gens de Sarrageois près de Mouthe, montagnard déshérités, réduits à faire flèche de tout bois :

"N'oublions pas dans nos prières, les menus fruits de la terre, les mûres et le pimprenelles, les prunelles et les bruibelles, les poirottes et les gratte-culs, quand ils manquent, c'est grand bien perdu".

En vain se contentaient ils d'un pain d'avoine pure, et qu'on cuisait souvent pour plusieurs semaines; encore en fallait il à suffisance. Améliorer les rendements ? sans doute, mais où trouver l'engrais ? Pour ménager la paille on planchéiait partout les étables et le fumier manquait. L'achat s'imposait donc, l'échange tout au moins; mais entre les céréales indispensables qu'offrir ? Des produits agricoles ? Il n'y en avait pas. Des produits industriels ? c'était la fatalité du pays d'en créer et la nécessité vitale faisait du Haut-Jura une terre d'industrie. Industrie pastorale d'abord; on sait l'ancienneté et l'organisation de ces fruitières comtoises si souvent décrites et vantées par les vieux auteurs. Les unes étaient privées, elles avaient pour siège les grosses granges et les chalets de montagne. Une maison solidement bâtie en moellons cimentés de chaux avec un toit fort bas de tavaillons assujettis, contre le vent, par de lourdes pierres plates; à l'intérieur trois compartiments : un logis où se faisait le fromage, un magasin où il se conservait, une étable où s'opérait la traite. Tout autour un pâturage de 3 à 400 arpents, entouré d'un mur de pierres sèches où les vaches erraient et paissaient librement sous l'oeil des bergers. Tel était le matériel d'un chalet jurassien. Il n'était habité que pendant