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La Révolution aux Rousses

les Rousses (vue de la Dole, novembre 2006)

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Tiré du livres "les Rousses " de l'abbé Marc Berthet


la main morte

On sait peu de choses sur ce qui se passa aux Rousses pendant la Révolution. Les registres ont disparu et on ne peut se fier à toutes les traditions locales. Rapportons ce qu'il y a de certain.

Voici ce qu'on lit dans les registres de l'abbé Dalloz :

"l'année 1789 a été très médiocre. Les prix du blé et du vin ont beaucoup varié. Le froment s'est vendu de 3 livres à 6 livres, le vin de 10 à 13 livres ... La nuit du 4 au 5 août a été célèbre par l'abolition de toute mainmorte, des droits féodaux. On a brûlé plusieurs châteaux. On a été menacé des brigands. On a établi la milice nationale".

"On a eu peur des brigands" écrivait l'abbé Dalloz. En effet : "Le 29 juillet 1789, M. Febvre, curé de Bois d'Amont, croit de son devoir d'informer les autorités de Morez que des bergers auraient vu des gens suspects rôder à travers bois". Le brave curé demande des armes et des munitions pour combattre les brigands.

Le 15 septembre 1789, Claude Pierre Ogier dit qu'il a envoyé 50 hommes dans les bois du Risoux au secours de Bois d'Amont, menacé. Un peu plus tard, la garde nationale part pour combattre 500 brigands signalés du côté de Champagnole. Il est presque superflu d'ajouter que les gardes-nationaux des Rousses rentrèrent bredouilles. "L'année 1790, dit l'abbé Dalloz, sera fameuse dans l'histoire : elle a été des plus tristes et des plus orageuses. Nous avons eu presque une disette générale dans la France pendant deux ou trois mois, surtout dans ces montagnes. Les Genevois nous ont prêté du blé dans ce moment de crise. Le vin, le froment et l'orge ont été extrêmement chers. Le vin se vendit depuis 12 à 20 livres le barral, le froment de 6 à 7 livres, l'orge 3, 4 et 5 livres. Cependant, Dieu soit loué, personne n'a péri de misère dans cette paroisse. Les pommes de terre ont été pour nous d'une grande ressource".

Aimé Marie Bonnefoy est délégué à la fête de la Fédération. Parmi les premiers émigrés qui cherchèrent un asile en Suisse en passant par les Rousses, il faut citer l'évêque de Saint-Claude Jean-Baptiste de Chabot, avec ses deux grands vicaires, Sénailhac et de Bare, le Directeur du Séminaire, Thévenin, son secrétaire, Arthaud et trois de ses domestiques. Lors de leur passage aux Cressonnières, ils furent l'objet de quelques violences de paroles et de menaces, le 10 février 1791. Le curé des Rousses, Claude Ambroise Dalloz et son vicaire, Pierre Emmanuel Chavin, ayant refusé le serment à la Constitution civile du Clergé quittèrent l'église au mois de juin.

levée de volontaires

On lit dans les "Annales semi-contemporaines de Désiré Monnier" : "Le 13 janvier 1792, les officiers municipaux des Rousses reçurent l'ordre de comparaître devant les membres du district de Saint-Claude pour y rendre compte de leur conduite aux 24, 25 décembre 1791 et au 1er janvier 1792, jours de troubles où ils se seraient décidés à proclamer la loi martiale dans cette commune. Des attroupements armés s'étaient permis d'exercer des perquisitions nocturnes chez plusieurs particuliers, de blesser d'un coup de baïonnette Alexis Chavin, de tirer trois coups de fusil sur une jeune fille de ce nom qui se sauvait, de maltraiter, de terrasser Emmanuel Chavin et un enfant de 13 ans, de séquestrer enfin, pendant une demie journée, trois jeunes gens des Rousses Hautes, dans des lieux infects".

Lors de la levée de volontaires en 1792, Aimé Marie Bonnefoy et plus tard, en 1794 son frère Claude Ambroise, s'engagèrent; fils de riches marchands, ils avaient fait des études, ils avaient été lecteurs assidus de Voltaire et de Rousseau; ils témoignèrent de la sincérité de leurs convictions. Ils devinrent officiers dans les armées de la République. Aimé Marie rentra aux Rousses en 1796, Claude Ambroise en 1800. Après le départ des frères Bonnefoy, la Société populaire des Rousses s'incarne dans Jean-Alexis Gindre, Claure-Pierre Ogier et Richard Vaucheret. Ils seront les instigateurs de quelques représailles anticléricales parfaitement inutiles : expulsion du clergé constitutionnel, abattage du hêtre de la Sainte Barbe appelé gros Foyard, dispersion des pierres de l'oratoire de Notre Dame de la Frontière. Pour obéir aux injonctions du commissaire du pouvoir exécutif, la municipalité décida d'enlever la croix du clocher. Un premier charpentier refusa pour des "motifs religieux", un deuxième, Claude Marie Ponard de Longchaumois, tenta d'exécuter le marché conclu, mais la foule des habitants s'y opposa.

Charles-Maurice de Talleyrand, par Pierre-Paul Prud'hon

Le jour de la visite de Lémare et Génisset aux Rousses, on organise un Comité de surveillance, le 10 octobre an II de la République. Le 3& octobre, "le comité de surveillance, assemblé au nombre de onze membres, un membre a dit que le devoir des comités de surveillance était de mettre à exécution le plus tôt possible les lois du 12 août et 17 septembre derniers en dressant la liste des gens suspects qui sont dans l'arrondissement du comité, le comité a dressé le tableau des gens suspects de la commune et qui doivent être mis en arrestation. Le 24 brumaire, on se plaint que le blé s'arrête à Morez et n'arrive pas aux Rousses : "Notre municipalité a fourni 1200 livres de fonds depuis plusieurs mois et a fait beaucoup de démarches pour fournir des bleds aux marchés de Morez". Sur une lettre de Génisset qui critique d'avoir fait une pareille liste pour des motifs futiles, le 25 frimaire, on raye toutes les dénonciations. Le 23 pluviose, on annonce qu'une quarantaine de jeunes gens se sont fait requérir pour travailler aux piques, pour voiturer du bois et du charbon, et d'autres se sont faits salpêtrier ou même se sont coupé les doigts pour ne pas aller soldats.

Toute l'année 1794 au moins, jusqu'au 9 Thermidor, le Comité des Rousses travaille beaucoup. Il fait arrêter des étrangers, et Pierre Gabriel Benoit Guyot et Jean Baptiste Buffard. Celui-ci a été attiré dans un guet-apens. Deux citoyens de Lyon, Baud et Durand, sont venus les chercher. Ils sont arrêtés sous prétexte de faux assignats. Enfin, après un an de travail, le comité de surveillance est supprimé le 7 vendémiaire an III (fin septembre 1794). Tous les papiers sont envoyés à Lons le Saunier. Une note de Talleyrand, ministre des relations extérieures du Directoire, datée du 12 frimaire an VII (2 décembre 1798) montre les difficultés rencontrées par les autorités révolutionnaires aux Rousses. La note est adressée "au citoyen Champion, commissaire du Directoire exécutif près l'administration centrale du département du Jura à Lons le Saunier" : "J'ai reçu, citoyen, la lettre que vous m'avez adressée le 3 de ce mois, N° 750. Vous m'annoncez que les préposés des Douanes du canton de Morez, se permettent de faire des perquisitions dans le village des Cressonnières dépendant du canton helvétique du Léman, et que ces préposés, ainsi que leur directeur, se prévalent d'un arrêté du Directoire du 19 germinal dernier, qui les y autorise. Cet arrêté ne m'est pas connu s'il existe, il a sans doute été pris sur le rapport du Ministre des finances qui a les douanes dans ses attributions. Je vous invite à le consulter à ce sujet. S'il est vrai, comme vous l'assurez, que la commune des Cressonnières suisses, soit l'asyle des émigrés, des prêtres réfractaires, des déserteurs, des contrebandiers et des fuyards de la réquisition, je pense que les autorités constituées helvétiques sont très disposées à faire faire la perquisition de ces transfuges, sur le territoire suisse, comme elles l'ont fait dernièrement, à la demande du Commissaire Rapinat, dans le hameau de la Jacquette, mais par leur propre force armée.

9 Thermidor an II, On voit Robespierre tentant de monter à la tribune et Tallien brandissant un poignard menaçant de tuer Robespierre si la Convention ne le décrétait pas d'accusation.

Cette mesure me paraît préférable à tout autre qui tendrait à une violation de territoire chez une puissance amie et alliée de la République. Au reste je vais communiquer au ministre Français à Lucerne, les renseignements que vous me donnez, et j'appellerai la surveillance particulière sur les Cressonnières suisses.

Salut et fraternité. Talleyrand".

C'était aux Cressonnières que s'était réfugié Jean-Baptiste Louvet de Couvray, député du Loiret à la Convention, il voulut être le porte-voix des Girondins et lança contre Robespierre, du haut de la tribune, une accusation restée fameuse, le 29 octobre 1792. Décrété d'accusation le 2 juin 1793, il se réfugia aux Cressonnières. Là, il écrivit "Récit de mes périls". Après Thermidor, il revient à l'Assemblée, il en devint le président et fut membre du comité de salut public et plus tard du Conseil des Cinq-Cents. Pendant son séjour aux Cressonnières, dans les moments d'alerte, il s'est peut-être réfugié dans une grotte au dessus des Tuffes; cette grotte s'appelle "la grotte des immigrés".

L'abbé Claude Ambroise Dalloz vint plusieurs fois célébrer les premières communions des enfants des Rousses aux Cressonnières. Son vicaire, Pierre Emmanuel Chavin, instruisait les enfants, faisait les mariages. Après le départ du curé constitutionnel Pierre Ponard, il donna le baptême. Il avait toujours refusé sa soumission au curé "intrus". Il se cachait, se déguisait pour remplir sa mission. Parmi les prêtres réfractaires réfugiés aux Cressonnières, nous connaissons les noms de : Perrad ancien curé de Prémanon; Brossette curé de Bourcia; Guigrand et Cochet ancien vicaire des Rousses; un abbé Prost inconnu par ailleurs. Quand, au printemps de 1798, les troupes françaises envahirent la Suisse, les réfugiés des Cressonnières durent quitter leur asile, au moins temporairement, puisqu'ils sont encore nombreux à l'automne de cette même année.

Plat commémoratif de la Constitution civile du clergé. 1790. Musée Carnavalet, Paris

Le 9 février 1803 à 9 heures du soir, un incendie éclate dans la maison commune située près de l'église. Le feu poussé par une bise violente, envahit bientôt les maisons voisines. Il fut impossible de combattre le fléau. Ce fut une nuit épouvantable. Les maisons étaient couvertes de tavaillons. Une tempête de neige et un froid intense permettaient à peine aux femmes et aux enfants de s'enfuir. ce n'est que guidés par la lueur des flammes qu'ils arrivaient aux hameaux voisins. Quelques personnes moururent de froid, un grand nombre eurent les mains, les oreilles et les pieds gelés. Sur les 19 maisons que comptait le village, 14 furent brûlées.

Les maisons préservées furent : l'église, la cure (école de garçons), la maison de Girod (dit le Biroulet) contiguë à celle de Jean Alexis Gindre, détruite en 1872 et non reconstruite, celles de Jean Modeste et François Xavier Chevassus-Gazalier (maison Bonnefoy Claudet), celle enfin de Jean Claude Paget (dit Pia) aubergiste (maison Yves Cordier). Le conseil municipal s'assembla le 13 février. Un comité fut chargé de recueillir et de distribuer les secours. Une quête fut immédiatement organisée dans la commune. Elle produisit la somme de 544 francs. Des souscriptions furent ouvertes dans la plupart des communes du Jura et plusieurs villages suisses firent des gestes de solidarité. Les archives communales, les rôles, les registres de l'état civil de 1792 au jour de l'incendie furent brûlés. L'état civil enregistré par les curés de la paroisse jusqu'en 1792 a été en partie brûlé.


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