Le "Trappe", dernier horloger de Foncine

 

 

 

 

 

une horloge du "Trappe", photographiée en septembre 1988

Voir également : les "horlogeurs" de Foncine

L'horlogerie est connue depuis longtemps à Foncine. Ce serait d'ailleurs là que se situerait la légende des frères Mayet qui, vers 1660, importèrent le pendule. On fabriquait alors les horloges en bois. Mais c'est après la Révolution que cette industrie se développe. D'une part les armuriers, qui avaient beaucoup travaillé de 1793 à 1815, doivent se reconvertir. D'autre part on abandonne la division du mois en trente jour, du jour en dix heures, de l'heure en 100 minutes et de la minute en 100 secondes mise en place par le décret du 4 Frimaire an II sur l'Ère Nouvelle, pour revenir au mode ancien et encore universel. Enfin, Morez et Morbier deviennent le centre français de l'horlogerie, et cette activité déborde sur les villages voisins et entre autres sur les Foncines. Les paysans deviennent des paysans-horlogers. Ils ont deux ou trois vaches et un établi installé devant l'unique et étroite fenêtre de la maison.

Horloge Terraillon et Petitjean, exposée à Notre Dame de la Salette

Vers 1800, Lequinio, en visite dans le Haut-Jura, écrit "Tous les hameaux, toutes les habitations isolées sont des ateliers, des cabinets de mécaniques où le cultivateur intelligent exerce son adresse et creuse fructueusement l'inépuisable mine de l'industrie, tandis que la neige défend à ses troupeaux de parcourir les monts ... A Foncine, dans tous les villages environnants, ce n'est qu'ateliers pendant la morte saison" Et plus loin "Sur les roches glacées du Jura, la nonchalance et l'oisiveté n'existent pas, la misère est inconnue".

Horloge Terraillon, exposée à Notre Dame de la Salette

En 1857 à Foncine, on compte 100 ouvriers travaillant à l'horlogerie dont un quart toute l'année, les autres n'y travaillant que lorsque les travaux agricoles le permettent. Certains fabriquent entièrement les horloges, d'autres plus nombreux ne fabriquent que certaines pièces qu'ils portent à Morez ou Morbier où sont faits le montage, le réglage et la finition.

A la fin du XIXème siècle, Foncine le Bas se spécialise dans les horloges d'édifices. C'est le cas de Louis Delphin ODOBEY. En 1868 il va s'installer quai de l'hôpital à Morez où il crée la société ODOBEY-CADET horlogerie mécanique et électrique monumentale. Cette société passera à son fils Paul puis à Lucien Terraillon qui s'associera à Petitjean en 1914 et partira à Perrigny.

Vers 1900 le village compte encore deux fabricants de cabinets d'horloges, les frères Cretin et Ernest Lamy. Il y a aussi deux exportateurs : Achille Poux et Louis Jeunet qui sont mandataires de Joseph Jeunet, horloger en Pennsylvanie. Achille Poux meurt subitement à Foncine le Bas le 28 juin 1891 à son retour d'Amérique.

Dès 1880 la lunetterie remplace l'horlogerie. Les lunetiers sont mieux organisés et mieux rémunérés. Jules Cottet et J. Poux achètent à Foncine le Bas, l'usine où Henri Berrod fabriquait des thermomètres, baromètres et anémomètres.

Jules Cottet amène avec lui des ouvriers formés à Morez, comme les Blondeau-Renaud qui s'installent à la caserne libérée par les douaniers. En 1914 il cède cette usine à la Société des lunetiers qui bâtit une seconde usine. A son tour, la lunetterie quittera Foncine en 1931.

Le dernier horloger du village meurt en 1991 à 86 ans. C'est Henri Blondeau, dit "le Trappe", sans doute parcequ'issu d'une branche de Blondeau-Toiny ayant vécu au hameau de La Trappe à Chatelblanc.

Son père était paysan-horloger, mais lui-même ne l'était pas.

Henri Blondeau, devant la maison du "Tatchet", en  1988

Il avait été tourneur, fraiseur, scieur, affûteur et même apiculteur. Ce n'est qu'après le décès de son épouse, en 1958, et surtout après son admission à la retraite, qu'il viendra à l'horlogerie. Il avait conservé les outils et le savoir-faire de son père.

Il entreprend alors la construction d'une horloge de parquet qu'il mettra vingt ans à achever. Puis il en construira deux autres, "du bâti aux leviers" comme la première. Il en remettra en état trois autres et autant de pendules.

Pour cela il achète quelques pièces préfabriquées, mais il taille lui-même les roues dentées dans une plaque de laiton, après avoir tout calculé et mesuré au compas. Pour les balanciers, il utilise du cuivre récupéré chez la garagiste du village. Il se plaît à installer des sonneries donnant et répétant les quarts, demies et heures. Tout cela dans son petit logement sans confort et bien peu éclairé du Tatchet.

 

Ci-dessus, horloge fabriquée en 1870 par Narcisse Guyon (mon arrière grand-père). Elle tomba en panne après 100 ans et fut remise en marche en 1970, par Henri Blondeau de Foncine le Bas. Elle fonctionne toujours aujourd'hui.

A sa mort il laisse à son fils Charles, avec ses outils, six comtoises et autant de pendules. Mais en 1999, survient un sinistre, le feu détruit son logement. Ses oeuvres sont indemnes, mais la fumée a aggravé les dégâts, que l'humidité du lieu avait déjà faits. En outre Charles doit déménager. Son nouveau logement est trop étroit pour recevoir tout cet héritage. Il en fait don au Musée du Temps de Besançon.

Certes ces horloges ne présentent pas un intérêt exceptionnel au point de vue technique, encore qu'elles recèlent certainement quelques astuces insoupçonnées. Par contre, elles témoignent de ce que pouvaient faire nos anciens avec leurs bien maigres moyens.

Malheureusement, avant de pouvoir les exposer, le Musée du Temps devra les soumettre à un sérieux nettoyage. Il faudra du temps.

Sources : La Comtoise, histoire technique ; et une industrie à la campagne entre 1780 et 1914 de Jean-Marc Olivier


Horloge fabriquée par Narcisse Guyon en 1870 et réparée par Henri Blondeau
chez Henri Blondeau, en septembre 1988

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