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Les Ruines

 


Lucien RUTY est à la fois généalogiste et historien. Ses ancêtres vivaient, dès le XVème siècle, aux Ruines (*). C’est donc tout naturellement que dans ses livres on retrouve soit le hameau des Ruines, soit des habitants des Ruines, en opérations contre les Schwedes, ou avec Charles le Téméraire, les Croisés,  Bonaparte, Napoléon ...
Il me pardonnera de lui emprunter quelques extraits de son récit historique "Les sept vies du Burgonde" que certains fonciniers n’ont peut-être pas lus.

* Un jour où il rendait visite à Madame Macle (née Ruty), au Tatchet, il avait découvert le hameau de Rapoutier-Dessous où le premier RUTY trouvé dans ses archives avait vécu. C’était, "juste en face de chez l’Emilienne", disait-il.



menuLa mort aux Ruines en hiver

"Une nuit glaciale écrasait le hameau des Ruines, enfoui sous des montagnes de neige. Une lune blafarde, comme figée de froid, éclairait d’une lueur métallique les cinq fermes qui constituaient ce misérable écart du village de Foncine, les champs de neige et les pentes boisées de sapins de haute futaie au coeur desquels il se blottissait.

Une bise terrible, qui tenait seigneurie sur ce canton depuis plusieurs jours, cisaillait les hommes, soulevait des nuages de fine poussière blanche et brillante, se coulait entre les planches mal jointes des fenils et perçait jusqu’au coeur des maisons, secouant les flammes dans l’âtre devant lequel se serraient les familles. Le souffle lugubre du vent du nord inquiétait même les vaches qui tiraient sur leurs chaînes dans la chaude obscurité des étables. Dans les brefs moments où la bise maudite reprenait haleine, le tragique appel des loups prenait le relais et glaçait le sang des enfants.

Trois paysans qui s’étaient aventurés sur les pentes du Bayard dans la journée précédente avaient rapporté qu’une meute d’une trentaine de bêtes tenait tout le pays entre les Ruines et le Rutillet, ainsi que dans les bois au-dessus. Certains grands mâles, le poil hérissé et la bave aux babines, avaient même fait mine d’attaquer le petit groupe d’hommes, s’avançant vers eux queue raide, échine voûtée, crocs menaçants et grognant la faim. Seuls les bâtons noueux brandis par les paysans les avaient dissuadés de se ruer sur eux ...

Tapis au plus chaud de leurs foyers, à l’abri des fauves et de l’âpre bise, les paysans des Ruines ne dormaient pourtant pas. Ce n’était point tant les hurlements des uns et les sifflement des autres qui les tenaient éveillés ... non, ils savaient bien que les bêtes n’entreraient point en leurs logis et que le vent, si comme chaque hiver il faisait craquer et gémir les vieilles charpentes de leurs maisons, n’emporterait jamais leurs couverts alourdis par une épaisse couche de neige. Ce qui les empêchait de trouver le sommeil, en ce triste soir de novembre 1448, écorchait vif et brisait leur coeur, c’était le cri de bête blessée de cette femme de leur hameau qui souffrait le martyre pour expulser un enfant de son ventre.

Malgré le vacarme du vent, il sembla aux paysans qu’avec la fin des cris de douleurs de Perrenon le silence était retombé sur leur hameau. Ils se signèrent car tous savaient que, pour avoir tant souffert, la malheureuse n’avait point survécu. S’enveloppant dans leurs hardes, les hommes et les femmes des Ruines sortirent dans la nuit hostile et, cheminant dans les tranchées qu’ils avaient ouvertes dans la neige afin de relier leurs maisons entre elles, ils se dirigèrent vers la masure qu’ils appelaient "chieu Jehannin" parce que la plupart de ceux qui l’habitaient portaient ce patronyme. A l’intérieur de l’unique pièce les femmes s’activaient autour du nouveau-né.

Le lendemain, Perrin, avec trois de ses frères et beaux-frères, plaça sur un brancard le corps de Perrenon que les femmes avaient enveloppé d’un méchant linceul. A cause de la grande quantité de neige, il était impensable de tenter la passage par le Chemin des morts qui, par le Bayard, les Entre-Côtes et  la  Haute-Joux, reliait Foncine à  Sirod, la mère-paroisse, où se trouvait le cimetière. Ce d’autant que, la bise ayant brusquement chu dans la nuit, le temps se couvrait et promettait de ramener la neige. Les hommes descendirent vers les gorges de Malevaux pour atteindre le hameau des Planches et, de là, continuer sur  Sirod en contournant l’éperon de la Haute-Joux.

C’était en hiver et avec un corps à porter, une journée de marche, mais au moins, ce soir, la Perrenon serait-elle inhumée en terre bénie. Humble parmi les humbles, serf sans biens en propres, Perrin n’était point riche assez pour faire enterrer sa femme sous une dalle à l’intérieur de l’église. Mais il avait de quoi mettre un beau cierge qui brillerait sur le maître-autel pendant l’office des morts. Cela le réconfortait un peu et il se disait que la mère de ses enfants ne partirait pas comme tant de misérables qu’on jetait en terre accompagnés d’un simple signe de croix et d’une brève prière."

N’oublions pas qu’à cette époque, pour aller des Ruines aux Planches, à moins d’emprunter le sentier direct conduisant aux Douanets, il fallait passer par la Chevrie où on traversait la Saine, puis par Combe Maria. On rejoignait le chemin des Serrettes à l’entrée de Foncine le bas, (là où est encore une croix en pierre très ancienne). Par l’actuel chemin du moulin on arrivait à la tannerie, où on traversait la Sainette qui venait de recevoir le Galaveau. On montait à la Sange Renaud d’où une route conduisait aux Planches. Ce n’est que vers 1850 que la route de Malvaux  a été ouverte.


menuLa peste            

Les Chalesmes

"Cette année là, la première neige arriva l’avant-veille de Noël, en même temps que l’annonce de la peste dans le proche Val de Mouthe.

Encore que la nouvelle fût inquiétante, elle  n’affecta pas outre mesure les serfs des Ruines. En effet, dès les premières neige on ne communiquait quasiment plus entre Foncine, dernier village au fond du Val de Saine, et Chatelblanc, premier hameau du Val de Mouthe, distant d’une bonne lieue et situé sur un haut. Il suffirait sans doute de placer en amont de Foncine des barricades de troncs de sapins et d’instaurer un service de guet pour refouler tout ce qui viendrait de la direction du val infecté. Les Ruines étant par chance encore situées en arrière et à l’écart de Foncine, on pouvait nourrir quelque espoir d’être protégés.

Néanmoins ,le 25 décembre, la messe que l’on alla entendre à Sirod fut-elle suivie avec encore plus de ferveur qu’à l’ordinaire et des prières y furent-elles dites pour éloigner la contagion de peste.
Le premier cas d’infection fut signalé à Foncine au hameau du Gros Voisiney le 10 janvier 1462. Malgré les précaution habituelles - isolement des malades, incendie des foyers infectés, bûchers permanents pour barrer la route aux miasmes, voeux de pénitence; le mal se propagea très vite et débordant du Val de Saine, s’étendit à toute la seigneurie. Les Ruines ne furent pas épargnées. Situées sur le chemin du Bas de Foncine et des Planches sous Malevaux, elles furent peut-être infectées par des serfs qui fuyaient Foncine et la maladie. Le mal s’abattit sur le hameau avec la force de la foudre. En deux jours les cinq fermes furent contaminées.

Chez le Jehannin, c’est Perrin, le père, qui mourut le premier, puis ses frères, sa soeur Claudia, et ses deux belles-soeurs. Il y eu une courte accalmie, à la fin janvier. On se compta : il ne restait au foyer que Jacques et trois femmes ... Ses voisins s’en sont allés.
La rémission fut de courte durée. Dès les premiers jours de février, le mal reprit ses ravages. La Regnaude chargea son frère Claude de tout ce qu’elle avait pu réunir de hardes, elle l’emmena sur la pente du Bayard, où à la lisière des sapins se trouvait une loge que son père avait restaurée naguère juste avant la neige.


menu Les Schwedes

Et puis vint le terrible hiver de 1638-1639.

Pour la première fois depuis des temps immémoriaux, il ne tomba pas de neige. En revanche, une bise glaciale  dessécha tout et tarit même  les rivières. La peste sévissait de plus belle; les incursions de l’ennemi se multipliaient; on désespérait de pouvoir enfin profiter du répit que l’habituelle épaisseur de la neige apportait aux opérations militaires.

La misère atteignit son paroxisme au mois de février 1639 Le duc de Saxe-Weimar venait de s’emparer de Pontarlier et du château de Joux. Les bandes suédoises prenaient leurs aises dans toute la région et il n’était point de village qui n’ait eu à souffrir de leur férocité. Les paysans que Nozeroy n’avaient pu accueillir en son enceinte ne quittaient plus l’abri des forêts où quand le froid et la peste ne les exterminaient pas, ils survivaient misérablement en se nourrissant de racines. On apprit que des familles de Bief des Maisons réfugiées dans l’étroite vallée d’Entre-Côtes y avaient été débusquées par les suédois qui avaient tout passé au fil de l’épée. Le comble de l’horreur fut atteint lorsque se répandit le bruit que des paysans de Gillois et de la Favière avaient déterré des cadavres récents pour en consummer la chair corrompue 


menuQui a créé les Foncines ?

 

Foncine le Haut

Simon de Commercy, seigneur de Châteauvillain, qui en 1172, rentre de Palestine où, croisé, il a passé dix années dont deux en captivité, a recueilli le jeune Oyen. qu’il attache à son service immédiat. Outre les rudes exercices auxquels il le soumet quotidiennement, ll l’emmène souvent  à travers ses terres.

 "Le jeune Oyen  aimait particulièrement une vallée sauvage et encore vierge où pullulaient les ours, les sangliers et les loups. Cette vallée dont l’extrémité en cul de sac marquait le fin bout de la seigneurie au Nord-Est, était parcourue par une petite rivière vive et limpide, à l’eau glaciale et délectable, qui prenait sa source en un lieu-dit Fons Sana. A peu de distance, en aval de la source, sur un replat,, la rivière prenait ses aises et formait un étang aux rives bordées d’ajoncs. Lors d’une course jusqu’en ce lieu du bout du monde, le sire de Commercy avait fait  part à oyen de son intention de prochainement implander des serfs au bord de l’étang qu’il voulait au centre d’un vaste cernois dans lequel s’élèverait un village".

Malgré son jeune âge, Oyen se passionna pour cette entreprise de mise en valeur de la vallée de la Saine . Le premier village vit rapidement le jour. De là, des serfs se dispersèrent sur de bonnes terres, peu boisées et nichées dans les nombreux replis de la vallée et de ses annexes. Une multitude de hameaux jaillirent qui constituèrent des éléments épars et parfois très éloignés de Foncine, village initial.

Oyen né en 1182 était le dernier enfant d’un seigneur local. Son père le rendait responsable du décès de sa mère, morte en le mettant au monde. Il  avait  été élevé par un bigre (bucheron). Lucien Ruty raconte longuement sa vie jusqu’à sa mort en 1229, à Jérusalem où il fut égorgé.


menuL'incendie des Planches

On pensait pouvoir entrer en composition avec les suédois parce que la marquise de Conflans, dame du Châteauvillain, était du sang de Nassau. Or le comte de Nassau était justement le lieutenant de Saxe-Waimar

Cette parenté n’empêcha pas les suédois d’envahir la seigneurie de Châteauvillain dans laquelle ils se livrèrent à leurs atrocités ordinaires. Les villages flambèrent les uns après les autres et l’un, en particulier les Planches-sous-Malevaux fut détruit de font en comble parce qu’il s’y trouva des paysans pour résister. Après avoir vécu un temps de pillage du Val de Saine, les Schwedes revinrent vers Sirod pour enfin mettre le siège au Châteauvillain, le 17 avril 1639.


menuLe droit de devenir bourgeois         

Nozeroy

Le droit d’habitandage était passé en peu de temps de trente à cent francs comtois. Or de nombreux étrangers résidant à Nozeroy ne demandaient pas mieux que d’y être admis bourgeois, mais trouvaient le prix de ce privilège trop élevé. Pour certains il fallait maintenir le droit à cent francs afin de permettre à la ville, endettée jusqu’au cou, de faire entrer plus d’argent dans les caisses et, de ce fait ,rembourser plus facilement les emprunts. Ceux-là, même s’ils ne l’exprimaient pas, voyaient d’un oeil favorable le maintien du droit à son niveau actuel qui permettait de n’admettre à la bourgeoisie, que des gens aisés, donc plutôt portés à soutenir les représentants "à la part des riches".

Pour les autres, au contraire, qui sans plus le formuler, formaient des voeux dans un but opposé, baisser le droit permettait de grossir le nombre des bourgeois, donc donnait plus d’importance à la cité. Ceux-là constituaient l’opposition aux riches et s’appuyaient sur les artisans, les petits boutiquiers, les vendeurs de la halle, et le menu peuple de la ville.

François Courdier fit remarquer que bon an mal an, la communauté de Nozeroy agrège environ vingt nouveaux bourgeois ce qui procure au trésor de la ville deux mille francs comtois. En rabaissant ledit droit d’habitation à trente francs, c’est mille quatre cent francs qui manquent à la communauté.
Tous les partisans levèrent la main, ainsi que quelques membres de l’opposition, les autres restant renfrognés en leur déconfiture.


menuLe nom des "Ruines"

extrait du Progrès du 25 juillet 2007

Le nom peut paraître péjoratif. Il ne reflète qu'une tragédie désormais lointaine. Aujourd'hui, la quiétude est revenue envelopper le hameau des Ruines.

Il y eut un avant. L' après relève d'une toute autre nature. L'anéantissement fut si parfait qu'on a même perdu le nom du bourg qui l'a subi. Le résultat n'avait laissé que ruines ...

Foncine le Haut (photo JP. Fumey)

L'érection de Foncine le Haut en tant que commune, est un fait moderne. Longtemps, un certain nombre de hameaux, ou plutôt de "voisinals", se trouvaient égayés entre la rivière Saine, l'adret de la Haute-Joux et l'avers du Mont Noir. Plusieurs d'entre eux, en fonction de fratries, avaient acquis une quasi autonomie et fonctionnaient en autarcie sur un territoire disposant de prairies suffisantes et de bois conséquents.

Au sud ouest de la vallée, largement étalé plein sud, sous l'extrémité occidentale du Mont Bayard, un village qu'on imagine volontiers opulent, s'était taillé une place au soleil. Quelques preuves, des trouvailles, des traditions à connotations légendaires confirment ces impressions. A l'aval, un pavage disposé en hémicycle avait même suggéré un temple celtique. Sur les hauteurs de la "combe à la Claudine", des amoncellements détritiques de gros blocs de pierre, marquent l'emplacement de la citadelle. On y pose volontiers un fortin, même si ce toponyme s'applique souvent, dans le Jura, à des roches naturelles significatives.

Vers 1900, on trouva en creusant, des fondations, un sol de "cadettes" rubéfiées. On les attribua à un château. Entre celui-ci et la citadelle, on voit encore courir, par bribes, la "Vie Dessus", nerf irriguant qui devait posséder un pendant inférieur. Puis arriva l'invasion française.

Les "Gris" français, les "Schweds" suédois ou allemands, la peste, s'écrasèrent avec tant d'acharnement sur le pauvre village, qu'on en oublia même son nom. Lorsque le calme fut revenu on se réinstalla dans ce qui n'était plus que "ruines".

De nouvelles bâtisses s'élevèrent, mais dans un emplacement situé plus en amont que l'ancien village. Des groupes familiaux, forts de leurs droits ancestraux, vinrent réinvestir leur territoire. Car il semble bien, à l'image de ce que l'on constate sur les hauts plateaux, que l'ensemble de la population dut fuir face au déchaînement de fer et de feu. On trouve les traces de leur présence pendant quatre, parfois cinq ans, dans plusieurs communes savoyardes, protégées alors par une frontière.

Négociation dans Malvaux

En 1792, des agents du nouvel État social, s'emparèrent des vases sacrés gardés jusqu'alors dans la chapelle des Ruines. Après leur départ, Ethevenin et Jobard, deux habitants des Ruines, se précipitèrent à travers bois et montagnes, jusque dans les gorges de Malvaux où ils guettèrent le passage de la commission républicaine.

Une étrange négociation commença à l'issue de laquelle les Fonciniers récupérèrent, en échange d'une autre pièce et d'une soulte, un précieux calice. Ce vase, devenu symbole, attira encore cent ans plus tard la convoitise d'un curé de Foncine. Les habitants des Ruines, une nouvelle fois unis, n'hésitèrent pas à attaquer le prêtre en justice. Ils gagnèrent leur procès, et le vase est depuis, toujours resté aux Ruines. Il n'est plus dans la chapelle, mais chez un habitant.

belvédère du Couillou

La Roche du Couillou

Tout en haut des Ruines, sur la Roche du Couillou, on a planté il y a quarante ans un réémetteur de télévision. Judicieusement perché, le grand mât arrose aisément l'occident qui s'étend à ses pieds. Evidemment, l'aiguille altière souffrit la comparaison lorsque, quelques années plus tard, on ficha plus au nord un immense relais sur la pointe du Croz. Celui des Ruines se trouve au bout d'un monde.

La Roche du Couillou (le couloir qui laisse passer une sente à ses pieds) est cernée par les précipices. Au XVIIe siècle, une jeune fille poursuivie par les soudards suédois, se jeta dans le vide. On raconte qu'elle survécu à sa chute et put se réfugier à Chalesmes. Dans une niche du rocher, une statuette de la Vierge, aujourd'hui disparue, a longtemps rappeler cette histoire.


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