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Que la nature est belle, entre Saine et Lemme

 


En octobre 1968, Antoinette BRENET, à peine sortie de la Sorbonne, arrive au lycée Laveran de Constantine. Fille de général, elle est tout naturellement recommandée au général commandant la Région Militaire de Constantine.

l'Oppidum d'Alésia, depuis la plaine de Syam

Celui-ci est un fervent lecteur des auteurs latins et en particulier de Salluste. Il lui conseille vivement de voir André Berthier, directeur de la circonscription archéologique de Constantine qui a les mêmes lectures. Elle a déjà entendu parler d'André Berthier. Le général Henry MARTIN, des Rousses, camarade de promotion et vieil ami de son père le général François BRENET, avait remarqué un jour dans son unité, un soldat "qui prenait un peu de détente en lisant les grands auteurs latins" et qui se nommait André Berthier.

Voilà donc réunis deux latinistes qui vont lire, relire et retraduire les textes de Jules César et de Salluste, en tirer un "portrait robot", retracer les itinéraires de César et de Vercingétorix, et découvrir qu'Alésia est à la Chaux des Crotenay et nulle part ailleurs ... Encore fallait-il le confirmer sur le terrain, et c'est là que débuta une guerre de trente ans.

Tout d'abord, où était ce site ignoré de tous les archéologues ? Madame Berthier, qui posait la question, reçut cette réponse : "Quelque part à Chaux des Crottes, entre Billecul, Tépette et Cornu". On aurait pu ajouter Longcochon.

Antoinette Brenet, devenue la première collaboratrice d'André Berthier, sera un témoin privilégié de cette guerre "faite de haine, d'ambition, de mensonges, d'intrigues, d'abus de pouvoir, destinée à faire obstacle à la recherche de Berthier". De tout ce qu'elle a vu, entendu, lu, elle a tiré un livre "Les escargots de la Muluccha", particulièrement documenté, où elle se montre "tantôt amusée et narquoise, tantôt stupéfaite et consternée", mais toujours convaincante et agréable à lire (elle est professeur agrégée de lettres classiques et sera plus tard professeur à la Maison de l'Ecole de la Légion d'Honneur de Saint-Denis).

Elle me permettra de lui emprunter ces deux pages où elle relate la découverte de notre canton, en 1963, par deux grands savants venus de Constantine.


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Gorges de Malvaux (juillet 2008)


Malvaux (14.7.2008)

Ni Berthier, ni moi, ne connaissions la région. Nous fûmes très rapidement pris par la majesté et la fascination qu'il exerçait. On ne pouvait imaginer contraste plus grand avec l'aridité du grand sud et les teintes chaudes et roussies de l'Afrique du Nord. Ici, à l'inverse, s'exprimaient, omniprésentes, la richesse et la vitalité de la nature.

Cette intense impression, nous la devions d'abord à la présence vivifiante de l'eau ... Pour nous qui venions des pays secs, qui avions connu le Sahara, cette eau que l'on voyait sourdre de partout, à profusion, qui se faisait tour à tour rideau ou miroir, musique ou spectacle, chute verticale et grondante, ruissellement ou vibration, ou encore éparpillement de cristal, c'était un luxe oublié qui nous paraissait babylonien. la pluie, la brume, les lacs et les rivières, les cascades avaient dans ce pays quelque chose de miraculeux et d'obsédant.

Obsédante aussi, la surabondance de toutes les nuances du vert, camaïeu qui défiait le peintre, depuis le vert tendre des pâturages jusqu'au vert presque noir ou légèrement nuancé de bronze, des forêts d'épicéas, et le vert glauque des torrents qui faisait ressortir les paquets d'écume, et le léger voile de brume verdâtre qui couvraient les lointains, en valeurs dégradées, après les pluies, les faisaient paraître tout proches, au point qu'on avait l'illusion qu'en étendant la main, on eut pu saisir toute cette verdure.

Parce que les arbres en masses denses, brisaient, dentelaient ou courbaient harmonieusement les lignes, il fallait un certain temps pour prendre conscience que la verticalité des abîmes jurassiens ne cédait en rien à celles des gorges du Rhummel et que cette vitalité d'apparence sereine qui nous séduisait, dissimulait subtilement, elle aussi, à sa façon, tous les vertiges que peuvent rechercher les amoureux de l'absolu.

Nous ne découvrîmes qu'un peu plus tard les autres aspects, tout aussi réels et envoûtant du paysage jurassien, sa grandeur intemporelle et tragique des jours de tempête ou de neige; nous fîmes peu à peu connaissance de ces créatures surgies du fond des âges et qui le peuplent encore : génies, vouivres et dames qu'il ne faut pas déranger, et ces mystérieux chevaux ailés qui, la nuit, viennent boire aux sources, ou s'abattent pour un instant sur un pic voisin avant de prendre de nouveau leur essor.

Lucus protégé par un mur appareillé à une fausse porte (Foncine le Bas)

Pendant plus de trente ans nous devions revenir vagabonder dans ce paysage à la poursuite de nos propres fantômes, gaulois et romains, surgis, eux, des écrits antiques, et dont nous sentions confusément qu'ils étaient là aussi bien à leur place, que ceux qui peuplaient encore les contes régionaux dont nous découvrions peu à peu l'existence. Et après tout, peut-être étaient-ce les mêmes, qu'ils fussent transfigurés par l'imagination populaire, ou rendus plus crédibles par les références érudites ? Nous foulions enfin le sol de cette ville mythique fondée, nous disaient les Anciens, par Héraclès en personne après sa traversée des Alpes, "foyer et métropole de toute la Celtique" seuil immense encore consacré aux dieux et déesses depuis longtemps évanouis.

Cela fait, André Berthier décida de consacrer quelques jours de congés à la découverte du Jura ... Il s'installa à la Chaux des Crotenay, au milieu de son oppidum encore hypothétique, à l'hôtel de la Poste ...


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