http://foncinelebas.free.fr

La Saine, il y a 2000 ans

 


Au temps de César et de Vercingétorix, on admirait déjà la Saine. Antoinette Brenet, collaboratrice de la première heure d'André Berthier - le découvreur d'Alésia / Cornu - nous le rappelle en se référant à Sénèque dans son livre "Les escargots de Muluccha" consacré aux tribulations, puis au succès de son maître.

Voici quelques paragraphes de ce livre qui intéresseront ceux qui aiment la Saine et ses cascades :


la Saine, entre Foncine le Bas et les Planches

retour


Foncine le Bas, cascade du Bief de la Ruine, au dessus des gorges de la Saine

Le pays mandubien ne se limitait pas, évidemment, à l'oppidum (Alésia) dont nous commencions à nous faire une idée plus précise. Nos premières excursions en dehors de l'oppidum nous révélèrent en plusieurs points des environs immédiats, des monuments en pierre sèche qui ressemblaient à ceux que nous avions remarqués sur l'oppidum.

Les pierres dressées étaient nombreuses, le plus souvent encore debout. La plus grande, celle de La Chevry, entre Foncine le Bas et Foncine le Haut, a quelques deux mètres cinquante de haut et porte aujourd'hui encore le nom de "Pierre des Druides".

Ce nom de Foncine, porté par les deux villages situés au pied des sources de la Saine, nous avait intrigués. Tout autant que celui même de la Saine, dont le nom s'écrit Seine sur les plus vieilles cartes. Pouvait-il s'agir de ce Sequoanas dont parle Strabon, qui coule en direction de l'Océan parallèlement au Rhin à travers le peuple du même nom qui touche le Rhin du côté de l'Est et la Saône de l'autre côté ?

C'est à la démonstration de cette hypothèse que Berthier s'attela en 1975 :

J. Carcopino avait traduit : "La Seine, voie commerciale des Marseillais, de laquelle est venu le nom du peuple des Séquanes". Mais J. Carcopino ne voulait voir dans cette Seine que celle qui arrose Paris. C'est une voie bien éloignée de Marseille. Si au contraire on veut rester dans l'axe des relations commerciales plus directement reliées aux marseillais, on imagine plus facilement que ceux-ci ont suivi le couloir Saône-Rhône. Pourquoi n'aurait-il pas été tentés de pénétrer dans la vallée de l'Ain dont une des branches supérieures s'appelle Saine ? Le cours d'eau Ain + Saine n'aurait-il pas été la Séquana des Séquanes ?

Était-ce la raison qui faisait que les sources de la Saine nous fascinaient à ce point ?

Mandubiens

L'étonnante beauté du paysage que nous découvrions peu à peu en gravissant la longue voie d'accès qui menait au bord de la falaise et plus particulièrement la sauvagerie des ciels d'orages avec leurs teintes plombées, traversées parfois d'étranges fulgurances, qui, plus d'une fois pesèrent sur le cirque des falaises et des collines, expliquaient-elles l'attrait que nous éprouvions ?

Ces abîmes creusés par la Saine, toutes les cascades qui s'y jettent, cette superbe région des lacs du Haut-Jura se retrouvent tout entiers dans la description de Sénèque :

"Cet antre tient sur des rocs profondément minés une montagne suspendue; il n'est pas de main d'homme; des causes naturelles ont creusé l'énorme excavation : le sentiment d'un religieux mystère saisira ton âme. Nous vénérons la source des grands fleuves; des autels marquent la place où une rivière souterraine a soudain largement jailli. On honore d'un culte les sources d'eaux thermales. La sombre couleur, l'insondable profondeur de leurs eaux ont conféré à certains étangs un caractère sacré ..."

On peut gagner le sommet du cirque d'où naît la Saine, par un très vieux chemin encore porté sur les cartes de l'IGN. Sinueux, creusé par endroits dans le roc, marqué en plusieurs point d'ornières sans âge (1), il monte en pente douce, depuis le hameau du Bayard pour conduire à une vaste clairière au milieu des bois épais qui dominent la source actuelle. Là on découvre au milieu d'un amoncellement de blocs erratiques qui, au premier abord semblent ne devoir rien qu'à la nature, des traces évidentes d'interventions humaines. Une pierre trapézoïdale se dresse au centre d'une organisation en partie naturelle, en partie faite de main d'homme dont plusieurs exemples, de dimensions plus modestes, se rencontrent sur l'oppidum. Il semble qu'il y ait les restes d'une enceinte. A l'arrière, une impressionnante allée, bordée de tumulus et un enclos rectangulaire dont la destination demeure mystérieuse.

On accède à la grande pierre par un escalier fruste, mais intentionnellement aménagé. Dans tout le secteur qui sépare la pierre dressée de la bordure de la falaise, au pied de laquelle jaillit la Saine, se développe une ligne d'aménagements périphériques, le long du banc rocheux, qui pourraient être autant de petits sanctuaires : "la divinité, écrivait Pline le Jeune à propos des sources du Clitumme, réside dans le temple et y rend des oracles comme l'indique la présence des sorts. Tout autour sont disséminées de petites chapelles et autant de dieux. Chacune a son culte spécial, son nom et quelques-unes mêmes leurs sources. Car outre cette source qui est comme la mère des autres, il y en a de plus petites, ayant chacune leur lieu d'origine, mais qui viennent se mêler à la rivière" (2).

gorges de la Langouette

La Saine ainsi que son prolongement moderne, l'Ain, est sacralisée sur tout son cours. En bordure même de la rivière, à proximité des tronçons encore visibles du chemin très ancien qui la longe sur sa rive gauche, alternent pierres dressées soigneusement calées et petits monuments de toute sorte. Les sources de chacun des torrents, parfois minuscules, qui s'y jettent et chaque chute d'eau ont fait l'objet d'aménagements soignés. Certaines sources argileuses sont encore, dans l'esprit populaire, créditées de vertus curatives.

Bien des monuments ont dû disparaître avec le temps, emportés par les crues, arrachés par l'exploitation brutale de la forêt ou débités à des fins utilitaires diverses par l'ignorance ou la sottise humaine. Il y a urgence, si l'on veut sauver quelque chose de ce passé fragile; déjà, hélas ! certains monuments ne subsistent que par nos photos, nos relevés, nos croquis.

Auprès de ces vestiges des hommes avaient connu autrefois, des exaltations et des terreurs mystiques que nous ne comprenons plus mais auxquelles, pour un peu, et au prix de l'abandon de toute rigueur cartésienne, nous pouvons être tentés de nous laisser prendre. Jacques Lacarrière évoque très bien ce sentiment :

"c'est en général le cheval qui représente le plus fréquemment l'eau jaillissante. On le surprend près des sources, à l'aube, à midi ou au crépuscule, en ces moments cruciaux de la journée où les dieux et les démons aiment à se manifester. La source éprouve alors le besoin de quitter son roc ou son lit, de se mêler à la danse des lumières et des formes, aux autres divinités de l'air et de la terre, dans l'émoi de l'univers. C'est à de telles heures qu'on peut la surprendre sous sa forme animale ou humaine, mais une telle vision n'est pas sans risque pour l'homme. Il est toujours dangereux pour lui de surprendre l'invisible, de voir ce qui doit demeurer caché à ses yeux ...".

Nous avons soulevé un coin du voile et manifestement les dieux ne s'en offusquaient pas. C'était assez pour nous convaincre que, dans ce domaine aussi, il fallait tenter d'aller plus loin dans la connaissance de ces hommes et de ces dieux qui peuplaient encore le site.

1) Sur son trajet, la végétation porte encore les traces d'une exploitation intensive d'une terre, progressivement abandonnée par l'homme et que la nature reconquiert lentement; l'écosystème présente les mêmes caractéristiques qu'au Larzac, où l'exploitation a pu être datée de l'âge de bronze.

2) Pline le Jeune, correspondance VIII, 8, 5


haut de page