Le
Progrès du dimanche 21 avril 2002 publie un bel article sur la
batteuse. L'ambiance qui régnait les jours de batteuse y est
décrit parfaitement.
On y apprend également qu'une autre solution existait pour ceux dont les faibles quantités de grains ne justifiaient pas le lourd matériel de la batteuse mobile. Le voici : Les gerbes avaient été hissées sur le "percheri" à la fin des moissons. Le gerbier, montant jusqu'au toit, avait ainsi passé le début de l'automne, attendant sagement la fin des regains, puis l'achèvement des labours. Au début de la morte saison, l'homme avait dilué sa présence dans la campagne apaisée. Quelques génissons, des petites troupes de broutards, ruminant, dont la plénitude physique pouvait souffrir quelques retards, quêtaient, entre la "vairrée" montante, les rares touffes de repoussons ... Dans les villages, l'heure n'était pas encore à l'endormissement hivernal. Il restait à attendre un des points d'orgues de l'année, la journée de batteuse. La "BATTEUSE" était arrivée au pays la veille. Le convoi était imposant. Il n'existait pas, dans la mécanisation rurale embryonnaire, d'autres exemples de complexe technique mobile. Derrière un puissant tracteur, déjà une curiosité en soi, était attelé un incroyable bâti, mariant le fer et le bois, laissant échapper de toute part, d'énormes poulies, des bras de force, des trappes de visite mystérieuses. Le tout circulait à petite vitesse sur trois ou quatre trains de roues en fer aux diamètres fort différents. La batteuse proprement dite avait été glissée dans la grange. La "Locomobile" à vapeur, plus tard le tracteur, restait à l'air libre. De longues courroies transmettaient la force motrice "externe" aux éléments installés à l'intérieur. Dans la soirée, on avait effectué le "calage" des deux engins, "faire calot", comme disait cet entrepreneur originaire de Branges (Saône et Loire), opération essentielle pour assurer la symbiose entre l'élément moteur et les lourds arbres transmetteurs de la batteuse. La machine devait être "d'applomb" pour que la "bielle" travaille "bien droite". La veillées d'armes s'était achevée ainsi. On s'était levé tôt dans la ferme. La traite, l'alimentation du bétail, avaient été rondement menées. Rapidement, le "poêle" s'était empli de voisins, d'amis venus "s'aider", étayant pour la circonstance la famille insuffisante. ce coup de main temporaire sera "rendu", lorsqu'à son tour, la batteuse investira la grange voisine.
Malgré la rareté de l'événement, chacun connaît sa place. D'ailleurs, dans le vacarme et l'opacité ambiante, la communication est difficile. On procède plutôt par signes. Un nuage de poussière s'échappe par la porte de grange, violemment animé par le battement des courroies. De temps en temps, l'un des servants, toussant, crachant, vient s'appuyer contre le montant de la pierre, humant quelques secondes l'air frais avant de retourner prendre sa place dans la founaise. Les tâches sont clairement définies. Du "gerbier", l'un des participants, lance les bottes au plus près de la machine. Un second aide, les place tout près de la gueule du battoir dans lequel un troisième homme "enfile" régulièrement les épis. Il y en a encore un devant le "glissoir", juste sous les "marionnettes" qui évacuent la paille. D'autres, près des "tarares", attendent que les sacs se remplissent de grains ... Le paysan recueille enfin les fruits de son travail. Ce sont des ombres sales, "trempées de chaud", les yeux rougis, qui s'extraient de la grange le soir venu. Pour les gamins, qui n'ont guère cessé de tourner autour de la batteuse malgré les recommandations maternelles, c'est l'heure de tirer sur la ficelle du sifflet avec le "restant de vapeur". Viendra ensuite le traditionnel et plantureux "repas de batteuse", mais c'est une autre histoire .. Les plus gros entrepreneurs étaient généralement bressans. En fait, il y en avait d'un peu partout, Orgelet, Fontenu, Saugeot ou Saillenard, Branges. Leurs rayons d'action toutefois étaient extrêmement variables. Des entrepreneurs de la région champagnolaise issaient leur matériel sur des wagons PLM, dès le mois d'août. L'époque des battages commençait dans la plaine lyonnaise. La saison avançant, les voyait gagner en altitude. Certains finissaient autour de la Toussaint, sur les confins nationaux. Le retour des bressans, s'effectuait parfois dans les mêmes conditions que "l'aller" des Jurassiens. Croquis d'une batteuse fixe (Dessin JL. Clade "La vie des paysans Francs-Comtois dans les années 50) Il est évident que cette forme d'apothéose de la vie rurale était extrêmement ponctuelle. Or, les paysans souvent avaient besoin de matériel de battage plus souple. C'était notamment le cas pour les petits exploitants. Il eut paru disproportionné d'installer le lourd matériel pour travailler de faibles quantités. Dans d'autres cas, c'est l'architecture même de la ferme et son environnement qui interdisait purement et simplement l'installation. Cette forme de "demande" avait naturellement suscité un "type d'offre" adaptée. Léon Chevassu occupait une sorte de remise en planches, construite pour un usage bien spécifique. On la trouvait le long de la route de Pontarlier, sur un terrain qui se trouve aujourd'hui compris dans l'enceinte du stade des Aciéries. On y joue maintenant à la pétanque. Son seul voisin, coté impair, était le percepteur. C'est à l'intérieur que se trouvait la justification de la baraque. En fait, tout avait été conçu pour faciliter le fonctionnement d'une batteuse fixe "Breloux". Celle-ci était mue à l'électricité. Dès la fin de la moisson, les cultivateurs champagnolais se pressaient chez Chevassu. Les "entreprises" remontant de la plaine bressane, n'arrivaient que relativement tard sur le plateau. Ce fait avait l'inconvénient majeur d'empêcher la préparation des semences d'automne que l'on devait évidemment produire à partir des plans cultivés dans l'année. On faisait donc "battre" une voiture de blé dès la fin de la récolte. Les paysans arrivaient avec deux voitures tirées par un cheval ou par des boeufs. La première contenait des gerbes à travailler, la deuxième était vide. On glissait celle-ci sous les secoueuses de la machine. La "paille" tombait dedans, la voiture ainsi chargée rentrait directement à la ferme. Certains petits récoltants passaient la totalité de leurs moissons chez Chevassu. Les inconvénients liés au transport et à la manutention étaient jugés préférables aux frais et aux charges engendrés par une journée de battage à la maison. La batteuse, solidement arrimée au sol, fonctionnait suivant les mêmes principes que les machines mobiles. Elle nécessitait toutefois moins de servants puisque, travaillant à une certaine hauteur, l'évacuation des produits séparés s'en trouvait largement facilitée. "L'engreneur" le patron lui-même n'avait guère besoin que de l'aide apportée par le paysan. A l'extérieur, un énorme tas de chutes inutilisables, qu'on appelait la "pousse" ou le "ballot" attendait l'annuelle vidange. ce travail malgré tout saisonnier, laissait de larges plages de temps libre. Léon Chevassus, dans un petit local attenant la batteuse, fabriquait des roues de brouette. |