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La Contrebande, une spécialité foncinière

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Les échelles de la mort, près de Goumois


Le "Progrès" du 21 septembre 2003, sous la plume de Charles Thevenin, nous raconte comment, à travers le Mont Noir et le Risoux, nos ancêtres sont souvent allé chercher en Suisse l'indispensable qui manquait en France. La contrebande fut une spécialité Foncinière, à une époque où on lui accordait une quasi légitimité, tant les taxes appliquées sur des biens de consommation ordinaire comme les allumettes, atteignaient des proportions scandaleuses.

Cet article nous apprend comment les brigades de douaniers se répartissaient dans les villages autour de Foncine.



Le combat féroce qui opposa gabelous et contrebandiers, contenait trop de parfums épiques pour que le caractère jurassien n'y trouve quelques jouissances. Dans les villages, les deux parties se connaissaient, "trinquaient" parfois ensemble. Bien sûr, il y eut ces solitaires dramatiquement égarés dans les neiges du Mont Noir dont on retrouvait le corps au dégel. C'est l'origine de ces croix de bois, égayés sur les sommités, comme celle "à l'Arthur" ou "de la Houlette". Mais on sait bien qu'aux "gendarmes et aux voleurs" on choisira toujours le camp des insoumis. Braver l'interdit n'est il pas inhérent à l'état de jeunesse ? En tout cas, dans la population le trafiquant bénéficiait, au moins, de complicité passive. Le douanier, le gabelou, dans l'héritage des sinistres gabelles, fils naturels des "fermiers généraux", sur qui se focalisaient les antiques haines populaires, ne pouvaient guère compter que sur les délateurs. Pourtant la vie n'était pas plus aisée pour eux que pour les pauvres diables après qui ils couraient. Combien se sont fait casser les reins à coups de bâtons ferrés après avoir guetté une nuit sous la neige depuis ce primitif ancêtre du lit de camp qu'ils appelaient .... la bagnole ?

les "échelles de la mort" près de Goumois dans le Doubs.

La littérature s'en est mêlée. Numa Magnin, l'écrivain de Fort du Plasne, a fait de Vincent, son héros "imprenable" une sorte de chevalier blanc volant au secours des plus démunis. Dans "la Bique", on le suit dans les gorges de Malvaux, puis sur Entrecôtes, poursuivit par les chiens des douaniers. Mais son grand succès populaire restera incontestablement la pièce de théâtre "Les Contrebandiers du Mont Noir" parue en 1948.

Douaniers du poste de douane de la "Goule", près de Goumois. Photo transmise par Jean-Louis Hardy

Tout tenait en une équation, la vie en France était trois fois plus chère qu'en Suisse. Pourquoi ?

Personne n'en savait trop rien. Les édiles, les "officiels" expliquaient ça de manière, pour le moins, démagogique. On avait plus de "charges". Face à l'Allemagne, ennemie héréditaire, on devait aligner une armée, préparer une flotte. La Pax Helvética, ignorant ces velléités onéreuses, pouvait se permettre une fiscalité moins oppressante. Dans la montagne, les paysans, les bûcherons, les artisans n'étaient pas riches. Et la frontière, depuis les Planches ou Foncine, était portée de la main ..

 

Dans les années qui ont précédé la dernière guerre mondiale, la contrebande s'était marginalisé. On avait plus guère à faire qu'à des "bricotiers", passeurs à la petite semaine, transportant des produits de seconde nécessité. Ce ne fut pas toujours le cas. Dans les époques plus reculées et plus rudes, c'est parfois l'essentiel qu'on devait aller quérir en terre étrangère. Après la révolution, des colonnes entières, regroupant parfois jusqu'à 80 porteurs, inondaient le Jura central de produits suisses. Leur itinéraire était presque immuable. En tout cas une telle troupe parfaitement organisée, se moquait des douaniers. L'hiver, le chemin était en permanence damé par les nombreuses traces imprimées par les "cercles" des clandestins. Sur l'axe le plus directe possible entre Genève et Champagnole, but de ce trafic, les contrebandiers escaladaient le Risoux qu'ils franchissaient à Roche Blanche. Puis par le Lac des Rouges Truites, ils dévalaient la vieille "Vie à charbonniers" qui les mettaient en contact avec le pays de l'Ain supérieur. Champagnole servait de terminus et de lieu de dislocation finale. En 1908, trois préposés de la brigade d'Oye et Pallet poursuivent un groupe de contrebandiers. Ils saisissent "dans une ferme au dessus de Champagnole" (peut-être Montrivel), 110kg de tabac suisse.

En fait, suivant l'adage qui conseille un certain recul pour mieux surveiller un territoire donné, c'est sur une zone bien plus profonde que l'administration douanière choisit, au début du XXe siècle d'exercer son entreprise. Au plus près de la frontière, le douanier faisait partie du paysage. La connaissance des gens, agissant de manière symétrique, rendait les rapports étroits. Sur un second front, par contre, la contrebande nécessitait une organisation plus élaborée et s'adressait, par conséquent, à des personnages plus avertis, voire plus professionnels. Pour lutter contre ces fraudeurs, le code des douanes, dans les années trente portera même son rayon d'action jusqu'à 60 km de la frontière. Au début du XIXe siècle, le "maillage" fut extrêmement serré. Il exista, simultanément, outre les grosses brigades de première ligne, des brigades dites "intermédiaires", à Foncine le Haut (6 hommes), à Foncine le Bas (6 hommes). Mais sept hommes étaient encore "encasernés", aux Planches, dans un bâtiment qui subsiste encore sous le nom de "la caserne". Il s'agissait alors d'une brigade de seconde ligne, à l'image de celles que l'on trouvait à Arsure, à à la Latette (6 hommes), à Chalesmes (6 hommes), à Mignovillard (6 hommes également). Il y eut même sous la Restauration, des brigades de troisième ligne. Chacune de ces unités prenait en charge une zone d'action que l'on appelait une "penthière".

Douaniers du poste de douane de la "Goule", près de Goumois. Photo transmise par Monsieur Jean-Louis Hardy.

Plusieurs paramètres sont à inclure dans la perception initiale du phénomène. D'abord l'interdiction n'était formelle que dans un sens. La Suisse n'avait vraiment aucune raison d'enrayer ou même d'entraver ce trafic. La marchandise, quel qu'elle soit était achetée le plus légalement du monde, payée cash, en liquide et en grande quantité. Les autorités helvétiques, même dans les périodes les plus sombres, ne se sont jamais opposées au commerce proprement dit. L'attitude des Français fut pour le moins inconstante. On passa du laxisme impuissant, pendant les époques difficiles ou le pays, en guerre, manquait de tout ou presque, au protectionnisme le plus rigoureux, sous la Troisième République par exemple.

La marchandise de base, celle qui à toute époque, ou presque, justifia l'activité des passeurs, restera le tabac. Elle est même en passe de la redevenir. Au début du siècle, un paquet de 100 grammes, acheté 12,5 centimes, était revendu "sur" France, 55 centimes.

Mais il y eut l'époque du phosphore, pour la fabrication des allumettes à un moment où l'état français imposait un scandaleux monopole. Celles que produisait la Régie, dans les manufactures d'état étaient si chères et de si mauvaises qualités que la contrebande s'en trouvait quasiment légitimée.

Autre époque, autres manoeuvres de salubrité publique perverties, les jeux de cartes, lourdement taxés en France, possédèrent leurs spécialistes. Avec constance l'investissement se trouve au minimum doublé. Le salaire moyen d'un ouvrier atteignant vers 1900, péniblement 300 francs, pouvait être allègrement triplé.

L'activité trouva un nouvel essor avec les pénuries liées à l'occupation allemande. A nouveau les Fonciniers organisèrent des raids à 20 ou 30 hommes. Pourtant les risques cette fois, étaient d'une autre nature. L'Allemand n'hésitait pas à tirer. Le gabelou suisse, contraint par la pression diplomatique "teutonne", faisait lui aussi le coup de feu. On s'aperçut toutefois que ces balles était, très souvent, en caoutchouc ...

Louis-François COUTTOLENC (1853-1928) en poste dans la région de Pontarlier-Chamesol entre 1895 environ à 1908. Photo transmise par Monsieur Jean-Louis Hardy.


 


En 1762 à la Savine

Echelles de la mort, près de Goumois


Ce fait est rapporté par JB. REVERCHON et repris par Maurice GENOUDET

Vers le 20 avril de l'an 1762 une troupe de contrebandiers à cheval, assez nombreux et bien armés, reste ou rejeton des bandes de Mandrin, arrivant de la Suisse, fut attaquée au midi de l'ndroit, dit "Sur le Fort", par les employés des Fermes du Roi qui, du haut de la roche du Béchet, roulaient de gros cailloux, qu'un avis leur avait fait amonceler d'avance, sur les contrebandiers resserés sur la route entre le pied de la roche et la rivière. Un seul fut grièvement blessé et son cheval tué. Les contrebandiers entrent furieux à Morez et menacent de mettre tout à feu et à sang. L'alarme est générale. Cependant, on vient à bout de les calmer et de leur faire entendre que les habitants n'ont pris aucune part à cet événement; ils passèrent outre.

Mais ces mêmes contrebandiers, retournant en Suisse, arrivent à Saint-Laurent le 8 mai suivant et y trouvent quatre employés des fermes qu'ils arrêtent, pensant les immoler à leur vengeance pour l'attaque qu'ils ont essuyée à morez. Ils veulent y conduire de infortunés pour les y sacrifier. Chemin faisant, ils les mutilent du nez et des oreilles. Arrivés au-dessus de la Savine, entre Saint-Laurent et Morbier, ils aperçoivent la roche du béchet et disent à leurs victimes : "Voilà la roche où vous nous avez assassinés. C'en est assez. A mort !" et les employés sont fusillés. Ils furent inhumés à Morbier le 10 dudit mois.


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